Rock & Folk

Mesdisques­àmoi

- Livre “Metal Stories” (Hachette)

L’an dernier, j’ai fait pas mal de trips sous acide en écoutant ça et, putain... Par exemple, pour la première fois je me suis rendu compte que “Rainy Day, Dream Away” et “Still Raining, Still Dreaming” annonçaien­t et débriefaie­nt “1983”, qui est en fait le rêve absolu et le climax de l’album. Révélation numéro 1, alors que je le connais par coeur ! Révélation numéro 2 : les deux derniers titres du disque. “All Along The Watchtower” est un hommage à l’un de ses plus grands inspirateu­rs Bob Dylan et “Voodo Child (Slight Return)” est un genre de manifeste :

“Voilà, moi, ce que je peux faire !” C’est d’une grande arrogance, mais c’est remarquabl­e. C’est l’oeuf de Fabergé de Hendrix. La perfection totale. Et il avait 25 ans !

R&F : Restons dans les années 60. Beatles ou Stones ?

Andrew O’Neill : Beatles. Les Stones m’ont toujours semblé plus inégaux. Comme les Who, d’ailleurs, qui doivent attendre “Live At Leeds” pour sortir un chef-d’oeuvre. Les Beatles ont, eux, une succession de disques hallucinan­te en 7 ans. C’est complèteme­nt hors-sol. Et puis “Helter Skelter”, quand même...

R&F : Dans votre livre vous citez, le “You Really Got Me” des Kinks comme pouvant prétendre au titre de premier disque de metal...

Andrew O’Neill : C’est l’usage de la distorsion qui change tout. En même temps, quelqu’un aurait fini par le faire. Comme le mec qui a inventé les roues pour les valises. Combien d’années et d’ingénieurs a-t-il fallu pour que quelqu’un comprenne enfin le problème ! Mais je ne dirai pas que c’est le premier disque metal. Le premier, c’est Black Sabbath.

R&F : Il y a quand même 7 ans qui passent entre les deux...

Andrew O’Neill : Il a fallu ce temps pour que de jeunes anglais, déprimés par la scène hippie et le peace and love, se réveillent dans leurs trous à rats industriel­s, comme Birmingham pour Sabbath, où tous les mecs bossaient plus ou moins dans des usines de métaux, en se disant qu’il fallait passer à autre chose...

R&F : Il y a d’ailleurs un côté working class dans le metal anglais.

Andrew O’Neill : Exactement. Un côté paroissial, même... Ces groupes viennent de Birmingham, comme Sabbath, donc, de Newcastle, comme Venom, Ipswich, Bristol... Ou Halifax comme Paradise Lost... Londres, de son côté, est pourri gâté par le rock. Tu sors à n’importe quelle heure tu as tout à portée de main, tu peux écouter de la super musique. Personne n’allait plus jouer à Newcastle depuis belle lurette dans les seventies. D’ailleurs, il n’y a pas de grands groupes metal venant de Londres.

Mouvement autonome

R&F : Vous faites une différence entre metal et blues rock, en gros entre Sabbath et Led Zeppelin... Andrew O’Neill : Led Zeppelin vient du blues et du folk. Il n’a pas l’aura, l’atmosphère, la négativité de Sabbath... R&F : Même des trucs comme “Dazed And Confused” qui sonne un peu doom, non ? Andrew O’Neill : Non. Trop de rock’n’roll là-dedans. R&F : C’est donc l’élément blues qui marque la séparation entre Sabbath et Zeppelin. Andrew O’Neill : Exact. Led Zeppelin n’essaie pas de faire une musique effrayante, il veut faire une musique sexy. C’est la grosse différence. R&F : Votre chapitre sur la New Wave of British Heavy Metal de la fin des années 70 est passionnan­t et voit défiler des groupes aussi différents que Judas Priest, Iron Maiden, Venom et Def Leppard. Que se passe-t-il ? Andrew O’Neill (tendu) : Judas Priest ne fait pas partie de la New Wave of British Heavy Metal. Il la précède. R&F : OK. Mais ses compositio­ns sont largement en-dessous de “Dazed And Confused” quand même... Andrew O’Neill : Non (rires). Mais ce mouvement reste très sous-estimé. La raison étant qu’il était pris entre deux façons d’envisager le metal. D’un côté, tout le monde voulait devenir Led Zeppelin, les stades, les limousines, les groupies... De l’autre côté, Venom arrive et radicalise le mouvement. Mouvement qui se dispersera à l’arrivée de Metallica, au début des années 80, ringardisa­nt tous les groupes anglais.

R&F : Judas Priest, donc ?

Andrew O’Neill : Avec l’album “Screaming For Vengeance”, c’est la première fois que le mouvement metal est immédiatem­ent reconnaiss­able et s’affirme comme un mouvement en soi, autonome. Vous pouvez encore aimer Black Sabbath si vous aimez le bon vieux rock’n’roll, mais Judas Priest va changer tout ça. Les membres du groupe assument complèteme­nt leur appartenan­ce au heavy metal, terme alors péjoratif, et en parlent dans leurs textes, le théorisent quasiment, entraînant derrière eux une flopée de groupes... C’est une subtile différence avec Sabbath. R&F : Quelle est la différence alors, entre les Anglais et les Américains au début des années 80 ? Andrew O’Neill : Diamond Head. “Lightning To The Nations”. Des Anglais, certes, mais aussi le groupe qui a le plus influencé Metallica. Et soudain c’est le thrash metal. R&F : “Kill ’Em All”, donc ? Andrew O’Neill : Je ne mange pas de fromage.

R&F : Pardon ? Andrew O’Neill : Je vais appeler le serveur... Il y a du fromage dans

ma salade. Je ne mange pas de fromage. ( Andrew O’Neill est vegan. Et pas qu’à moitié, il épluche thrashemen­t sa Caesar Salad, qui du coup n’en n’est plus une).

“Mötley Crüe, c’est tout ce que je déteste : capitalist­e, sexiste, vide, superficie­l... Le bon metal est profond”

R&F : Or, donc, “Kill ’Em All”, l’un des derniers grands moments ex nihilo du rock... D’où ça vient ? Andrew O’Neill : Ce qu’il y a de fantastiqu­e dans “Kill ’Em All” c’est la précision, malgré les limites du batteur (rires, Lars Ulrich est un peu la blague belge d’Andrew O’Neill dans ses spectacles)... C’est ce contrôle qui rend le thrash tellement différent du punk. Metallica possède cette puissance brute, imbattable. Cette adrénaline, cette testostéro­ne, cette colère adolescent­e...

R&F : “Reign In Blood” de Slayer est pas mal dans le genre... Andrew O’Neill : Le meilleur album de tous les temps... R& F : Vous dites ça de tous les albums...

Andrew O’Neill : “Electric Ladyland” est le meilleur album de Hendrix de tous les temps. “Reign In Blood” est le meilleur album de tous les temps ! Il n’y a pas une note à côté. C’est une machine furieuse, terrifiant­e, mystérieus­e, (il hausse le ton) SATANIQUE ! Mais cool en même temps.

R&F : Pourtant, au même moment c’est le glam metal qui remporte la bataille des charts aux Etats-Unis.

Andrew O’Neill : Mötley Crüe, c’est tout ce que je déteste : capitalist­e, sexiste, vide, superficie­l... Le bon metal est profond, quand même... “Girls, Girls, Girls”, c’est pas possible. En plus, les mecs ne savent pas jouer. Horrible.

R&F : Vous racontez l’histoire de cette rencontre avec une jeune fan de Sepultura à qui vous demandez : “Quel album tu

préfères ?” Elle vous répond qu’elle ne sait pas, qu’elle les écoute sur YouTube...

Andrew O’Neill : C’était bizarre. Mais il faut accepter que tout change. L’industrie, la société, l’économie... Les maisons de disque se sont gavées pendant 50 ans, quand même... Non, la grande différence pour cette génération c’est écouter les titres un par un sans savoir quel titre le précédait sur l’album ou lui succédait. Généraleme­nt, je trouve que les nouvelles génération­s n’écoutent pas la musique comme si c’était une activité à part entière c’est-à-dire : s’asseoir et écouter de la musique. C’est plus un environnem­ent susceptibl­e d’être dérangé. Je rappelle qu’à mon époque, on achetait 10 livres des albums dont on ne savait, la plupart du temps, rien.

Lézard qui sommeille

R& F : Album non metal préféré, en dehors d’ “Electric Ladyland” ? Andrew O’Neill : “Rain Dogs” de Tom Waits (il imite la voix dans un raclement de gorge). La bizarrerie angulaire de ce truc... Et c’est un artiste qui continue à m’étonner. Son dernier album... Waouh... Je pense que le rapport avec le metal, c’est que ça prend possession du lézard qui sommeille dans mon cerveau. C’est primal. Tribal. R&F : Album de l’île déserte ? Nous vous en donnons trois... Andrew O’Neill : “Electric Ladyland”, encore. “Queen’s Greatest Hits”, je ne m’en lasserai jamais. Et “Master Of Puppets”, parce qu’il est plus long que “Reign In Blood”.

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