The Lemon Twigs
Le groupe de Long Island sort un drôle de deuxième album, une fantaisie rock influencée par Broadway. Michael et Brian D’Addario, l’extraordinaire fratrie derrière tout ça, racontent l’histoire.
“Un son de Stratocaster”
Brian D’Addario répond calmement à une première question et, pendant ce temps, son cadet Michael se contorsionne sur sa chaise. Puis trifouille une lampe, manque de faire disjoncter l’immeuble et coupe finalement la parole à son frangin. Brian hausse à peine un sourcil et laisse parler son frère, habitué au petit numéro. “Go To School”, le deuxième album des Lemon Twigs, raconte la drôle d’histoire d’un chimpanzé qui passe sa dernière année au lycée. Toute ressemblance avec la vie de Michael D’Addario, 19 ans, est évidemment volontaire. L’annonce du disque, “Go To School”, et de son délire narratif ont fait craindre le pire. Opéras rock, concept albums et toutes ces choses auxquelles personne n’a jamais rien compris n’avaient-ils pas été enterrés à la fin des seventies ? C’est oublier que les deux gamins de Long Island, apparus en 2016 avec “Do Hollywood” un album pop trop beau pour être vrai, aiment la fantaisie. On découvrait à l’époque deux mômes incroyables : Brian, l’aîné consciencieux et brillant, 21 ans aujourd’hui, celui qui composait les choses les plus sophistiquées (“These Words”) et Michael, le jeune chiot hyperactif, batteur extraordinaire toujours partant pour enfiler un justaucorps léopard. Le miracle des Lemon Twigs remonte à l’enfance. Dès la maternelle, les deux ont appris à jouer la comédie et, surtout, de tous les instruments de musique qui se trouvaient dans la maison familiale. Rien de malsain là-dedans : Ronnie, le paternel, fut un honnête musicien de séance. La mère, Susan, était elle dans le théâtre. Avant les Lemon Twigs, la fratrie avait déjà derrière elle une carrière bien remplie : de multiples rôles dans d’énormes comédies musicales (“Les Misérables”, cinquième pièce la plus jouée de tous les temps à Broadway), des apparitions dans des séries (“Les Experts : Manhattan” !) et un groupe, formé pour le fun avec leurs copains, Members Of The Press. Les D’Addario chantent comme des dieux, émerveillent à tous les instruments (batterie, basse, claviers, flûte, saxophone, banjo — énumération non exhaustive) et sans doute savent-ils jongler ou faire des tours de limbo. Mais cela ne donne pas nécessairement de bons albums. Pas de bol, ils savent également composer. Le nouveau disque alors ? On peut laisser de côté l’histoire et s’intéresser à la musique, de même qu’on écoute “SF Sorrow” des Pretty Things sans vraiment prendre au sérieux les galéjades cosmiques du groupe anglais. “Go To School” est moins évident que son prédécesseur. Le disque mélange bossa nova, hard rock, cabaret, ballades avec un enthousiasme qui excuse beaucoup. Les deux frangins ont, de toute façon, beaucoup d’autres disques en eux. Ils viennent de faire celui-ci tout seuls dans le sous-sol de leurs parents et s’en expliquent, un jour de fortes chaleurs, à Paris, habillés comme des mômes d’une série vintage, en pantalons patte d’eph et chemisette à carreaux. Les gamins ont souvent raison.
ROCK&FOLK : De quoi parlons-nous ? Un concept-album ? Une comédie musicale ?
Brian D’Addario : Une comédie musicale, c’est quelque chose avec des dialogues entre les morceaux. On n’a pas écrit de dialogues... Ce n’est pas non plus un concept-album ; pour cela il aurait fallu construire tout un délire, un univers très précis, presque comme une opérette. On n’a pas fait ça du tout. On considère que ce disque est une bande-son, mais sans le spectacle ou le film qui va avec. Les chansons parlent d’une histoire, mais celle-ci n’est pas vraiment racontée. On a fait des chansons, c’est ce qu’on sait faire, et on a enregistré le tout. A terme, si l’opportunité se présente, on n’exclue pas d’en faire autre chose, un spectacle.
R&F : Qu’est-ce qui est arrivé en premier ? L’histoire ou les chansons ? Brian D’Addario : J’ai écrit deux ou trois chansons qui, dans ma tête, étaient connectées. On a construit à partir de ça. R&F : Il faut préciser que les comédies musicales représentent une partie majeure de votre culture. Vous avez tous les deux joué à Broadway...
Brian D’Addario : Vous ne trouverez pas de meilleures chansons que celles des comédies musicales. S’il y a eu des milliers de représentations pour certaines d’entre elles, c’est parce qu’elles supportent magnifiquement le passage du temps. On a toujours adoré ça. On a grandi là-dedans, progressivement est né ce fantasme de faire, un jour, notre propre comédie musicale.
R&F : Il y a souvent un spectacle musical à la fin de l’année dans les écoles américaines...
Michael D’Addario : Je n’ai jamais postulé pour un rôle. J’avais déjà fait pas mal de vrais spectacles à Broadway, si je n’avais pas eu le rôle au lycée, j’aurais vraiment eu la honte... Durant notre enfance, on a vu un tas de spectacles. Plus jeunes, nous connaissions mieux “Les Misérables” que n’importe quel disque de rock. Je connaissais les chansons par coeur. Mais ça c’est parce que Brian jouait dedans...
Brian D’Addario : Notre mère a eu une influence là-dessus. Elle nous a emmenés voir la plupart des spectacles et nous avions les disques à la maison. Elle nous a fait découvrir les comédies musicales de Stephen Sondheim, par exemple.
Michael D’Addario : Les spectacles de Sondheim nous ont fait réaliser qu’une comédie musicale pouvait être un truc super cool. Puis, on a compris que les spectacles plus traditionnels pouvaient également être excellents.
R&F : Et les albums de rock avec une histoire, un concept, vous aimez aussi ?
Michael D’Addario : “Berlin” de Lou Reed est le meilleur album du genre. L’histoire, en fait, n’est pas très compliquée. Car beaucoup de concept albums sont vraiment très compliqués, fumeux. On a parfois
“On considère que ce disque est une bande-son, mais sans le spectacle ou le film qui va avec”