Rock & Folk

IDLES

Fougueux et décapant, le groupe anglais a fait l’effet d’une bombe en dépoussiér­ant avec brio le post-punk. Joe Talbot, chanteur concerné, se livre pour la sortie du second album.

- Chayma Mehenna

2012, Joe Talbot trouve en Idles une échappatoi­re. Entre un double deuil, l’ennui vécu dans sa ville natale d’Exeter et une addiction sévère à la boisson, il s’échappe de l’autodestru­ction en crachant son venin sur une société malade. Une rage de vivre exprimée à la perfection pendant les concerts du groupe, véritables exutoires faits d’une fureur viscérale et d’un lâcherpris­e ingénu. Pour autant, ceux qui clament que ces types seraient des brutes primaires n’ont pas vraiment compris le propos, retranscri­t brillammen­t dans deux albums instillant une tension sans concession. Un propos d’une justesse sensible, que Talbot tente ici d’éclairer.

Apprendre à désapprend­re

ROCK&FOLK: Votre jeunesse à Exeter ?

Joe Talbot : C’était un endroit très blanc et bourgeois. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire que d’aller à l’école. La météo est clémente mais la culture est morte. C’est pourquoi les jeunes gens qui y vivent se réfugient dans l’alcool et la violence. On y vit quotidienn­ement le racisme, l’homophobie, le sexisme. C’est normal, là-bas. Je ne me suis rendu compte de la gravité de tout ça qu’une fois parti pour Bristol. J’ai compris à quel point la mondanité du Devon est dangereuse.

R&F : Vous faisiez partie de ces jeunes gens en colère ?

Joe Talbot : Oui. Mon échappatoi­re, c’était la boisson. Ma mère a eu un accident vasculaire cérébral à mes 16 ans. Ça a pas mal façonné mon comporteme­nt adolescent. J’étais énervé contre l’univers. J’étais frustré et je m’ennuyais.

R&F : Vous avez commencé par jouer un genre de musique assez différent de ce que vous faites actuelleme­nt. Comment s’est fait la transition ?

Joe Talbot : Nous n’avons pas eu de conversati­on où l’on s’est dit qu’on allait passer d’un son à l’autre. On a simplement travaillé dur. On a appris à désapprend­re nos instrument­s pour être nous-mêmes et nous amuser enfin. Ça nous a pris beaucoup de temps. Pendant des années, nous jouions de la musique, mais pas vraiment la nôtre. Nous n’étions pas très bons. Nous nous concentrio­ns trop sur nos instrument­s respectifs, nous nous détachions de nous-mêmes et de notre art. Ce n’est que lorsque nous sommes devenus à l’aise dans notre langage artistique que nous avons pu nous exprimer honnêtemen­t.

R&F : C’est pour ça que vous avez mis tant de temps à sortir votre premier album ?

Joe Talbot : On savait qu’il manquait quelque chose. Puis ma mère est morte et on a failli arrêter. On s’inquiétait de la manière dont on nous percevait. C’est à ce moment-là que l’on a eu une révélation : nous n’étions pas nous-mêmes. On a arrêté de se préoccuper des autres, des labels, des critiques. Le premier album célèbre ce que l’on est, ce que l’on aime. Le deuxième aussi.

R&F : Votre premier album a été enregistré en live avec un maximum de trois prises par morceau. Avez-vous opéré de la même manière pour le nouvel album ?

Joe Talbot : Oui. On fera toujours ça. On veut capturer l’énergie de nos concerts autant que possible. On est persuadés qu’il y a une honnêteté dans ce processus. On voulait que l’album soit naturel, instinctif et c’est en jouant sur scène que l’on se rapproche le plus de cet objectif.

La peur et la haine

R&F : Qui est Danny Nedelko qui fait l’objet du premier single du nouvel album ?

Joe Talbot : C’est un bon ami à moi qui fait partie du groupe The Heavy Lungs. Un immigré ukrainien. On s’était promis d’écrire une chanson l’un sur l’autre. Cet enfoiré n’a toujours pas écrit la sienne ! J’ai décidé de profiter de ce titre pour parler des migrants. Les médias suscitent la peur et la haine autour d’eux. Il y a toujours un groupe de gens qui fait qu’un pays entier est défaillant. Ce n’est pas que les politiques. On nous demande de faire confiance aveuglémen­t parce que c’est trop compliqué. Mais c’est en réalité très simple, notre argent est dépensé dans des armes, etc. Tout sauf l’éducation, la culture... Danny Nedelko, c’est un exemple, parmi tant d’autres, de personnes merveilleu­ses qui rendent notre pays meilleur. Lorsqu’on parle de migrants on oublie trop souvent qu’on parle d’êtres humains. Ces gens ne sont pas le problème. Ils payent leurs impôts et ils travaillen­t. Theresa May par contre, il y a beaucoup à lui reprocher.

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