Les fans risquent de faire un AVC
Bob Dylan “LIVE 1962-1966 RARE PERFORMANCES FROM THE COPYRIGHT COLLECTIONS” Columbia/ Sony Legacy
A l’origine sortis uniquement au Japon (et désormais quasi introuvables) dans le but de conserver les droits d’un catalogue susceptible, selon les lois européennes alors en vigueur, de tomber dans le domaine public, ces enregistrements captés entre 1962 et 1966 sont aujourd’hui disponibles pour tous. Durant ce court laps de temps — quatre années — Dylan a publié pas moins de sept albums dont un double. C’est aussi le moment crucial où il a effectué sa mue, passant du statut de chanteur folk à celui de grand prophète des sixties lorsqu’il a branché les amplis. C’est donc son évolution rapide qui est détaillée ici, le tout sonnant très bien pour du live de l’époque. Son autorité et son aisance, dès les titres de 1962, laissent pantois de la part d’un si jeune homme devant tant aux grands anciens. Le voici donc conquérant au café Gerde de Manhattan, gravissant tous les échelons, du Town Hall au Carnegie Hall seulement un an plus tard, puis à la marche des droits civiques le 28 août 1963 le temps d’un “When The Ship Comes In” ruiné par le chant ultra ridicule de Joan Baez, avant de s’attaquer à l’Europe : en 1964, il est impérial au Royal Festival de Londres, la légende est plus que lancée. Le second CD attaque avec plusieurs titres acoustiques extraordinaires (“It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeding)”, “Love Minus Zero/ No Limit”, “It’s All Over Now, Baby Blue”, “She Belongs To Me”), puis on passe à la transformation électrique : le Zim avec Robbie Robertson et Levon Helm ainsi qu’Al Kooper, puis avec l’intégralité du Band, mais sans Helm, remplacé par Mickey Jones, le temps d’asséner, plein de morgue, en 1965 et 1966 des versions pionnières de ses nouvelles compositions, parmi lesquelles “Maggie’s Farm”, “Ballad Of A Thin Man”, “Visions Of Johanna”, etc. Hier, Manhattan, aujourd’hui le monde...
The Real Kids “THE KIDS 1974 DEMOS — THE REAL KIDS 1977/ 78 DEMOS/ LIVE” Crypt (Import Gibert Joseph)
Achtung, l’objet est à manier avec précaution : matériau explosif et dangereusement inflammable. Le truc est affolant et risque de s’autodétruire... Sachant que le legs des Real Kids est très mince (deux albums, en étant indulgent, sachant que seul le premier, sorti en 1977 sur Red Star, label de Suicide, compte vraiment) la moindre découverte vaut son pesant de cacahuètes. Et voici que Crypt sort un objet moitié livre, moitié disque, qui aligne une suite de déflagrations au-delà de tous nos espoirs. D’abord, des démos des Kids, en 1974. John Felice n’était pas un débutant puisqu’il avait joué avec les Modern Lovers dès 1970. Il avait bon goût, vénérant les Stooges et les Dolls (mais les Dolls n’ont jamais joué aussi bien que les Kids sur ces démos) et, derrière ses longs chicots se cachait l’une des plus grandes voix que le rock’n’roll à tendance haute énergie ait jamais entendues. On peine à croire ce qu’on entend ici : une charge de huit morceaux féroces et déjà très bien construits, un truc sans pause à faire passer les Ramones pour une bande de hippies. Puis, il y a les démos de 1977 précédant l’album, et enfin, le rêve : un live au son nickel capté au club Rathskeller, surnommmé le Rat, à Boston, la ville dont ils étaient les grands héros, et durant lequel ils promeuvent leur album. Les Real Kids y jouent comme des dieux et leur rock’n’roll désormais plus mélodique — une sorte de power pop ultra violente — frôle l’absolu. Crypt Records a frappé fort en accompagnant ces découvertes archéologiques d’un livret de 200 pages truffé de memorabilia, interviews, témoignages (dont un vieux machin de Philippe Garnier en personne, qui, si nos souvenirs sont bons, était parvenu à profiter d’une interview avec Mick Jagger pour lui faire écouter le dernier single des gonzes de Boston, lequel n’eut pas l’air impressionné), photos, articles d’époque, etc. Les fans risquent de faire un AVC. La version live de “All Kindsa Girls” nous a presque achevé.
Gene Clark “GENE CLARK SINGS FOR YOU” Omnivore (Import Gibert Joseph)
Après son départ des Byrds et l’échec d’un premier album sans eux assez bancal (“Gene Clark With The Gosdin Brothers”), l’immense songwriter, connu pour sa fragilité et ses tourments, se mit à composer comme un fou pour combattre la dépression. Fin 1967, il utilisa deux studios pour y enregistrer les démos de ce qui devait devenir un jour “Gene Clark Sings For You”. Disparues durant des décennies, des acétates de ces séances ont refait surface et leur écoute est un choc. Un choc et une désolation. Que ces morceaux somptueux, comptant réellement parmi ses meilleurs, n’aient jamais eu droit au traitement final d’un authentique album, qu’ils soient restés au niveau de simples démos est une injustice navrante. Avec un groupe compétent (le son est très correct, le groupe bénéficie même de cordes), le héros tourmenté chante à merveille et signe des compositions déchirantes. Huit en tout, seulement. Omnivore a également ajouté l’acétate des cinq démos qu’il avait offertes au groupe de fanatiques des Byrds, Rose Garden, ainsi qu’un titre, “Till Today” qu’il chante avec eux. Quant à ce “Gene Clark Sings For You”, il faudra donc se résigner à l’écouter dans cet état inachevé, mais une chose est sûre : on le réécoutera plus d’une fois.
The Rose Garden “A TRIP THROUGH THE GARDEN — THE ROSE GARDEN COLECTION” Omnivore (Import Gibert Joseph)
Et comme Omnivore fait toujours bien son travail, l’excellent label sort en même temps l’unique album de Rose Garden allongé de quelques raretés et inédits : du folk rock avec Rickenbacker douze-cordes et choeurs byrdsiens, le tout épicé par la voix étonnamment grave de la chanteuse de Diana DeRose. Le groupe connut le succès via un tube anglophile, “Next Plane To London”, mais les autres morceaux ne sont pas à dédaigner. Outre quelques excellents titres offerts par Gene Clark, ce groupe incapable de composer reprend “Down To The Wire” de Neil Young période Buffalo Springfield ou “She Belongs To Me” de Dylan. Quelques extraits live montrent les Californiens en grande forme reprendre “So You Want To Be A Rock’N’Roll Star” de leurs héros. Belle curiosité pour tous les fans des Oyseaux.
“Make Mine Mondo !” Ace (Import Gibert Joseph)
Une petite trentaine de titres exhumés du label de Los Angeles, Doré Records, lequel était tenu par un authentique excentrique, Lew Bedell. Bedell aimait enregistrer vite fait des novelties qui ne lui coûtaient pas cher à produire et plus elles étaient bizarres, plus il les goûtait. Dans ces curiosités, on appréciera les rires maniaques de Spencer’s Van Dykes, la reprise délirante de “Satisfaction” des Rolling Stones par Los Corvets en espagnol (ils venaient de l’Equateur), mais aussi “The Blob” ou “Russian Roulette” par les Zanies (un nom générique pour différents groupes officiant chez Doré, parmi lesquels Davie Allan & Arrows qui signent ici un réjouissant “Camel Walk”), “Gorilla Hunt” des Altecs, etc. On imagine que ces singles, invariablement dérangés, devaient faire la joie des Cramps.
Nirvana “RAINBOW CHASER : THE 60S RECORDINGS (THE ISLAND YEARS)” Island (Import Gibert Joseph)
C’était dans les années 80... En plein revival psychédélique américain ou anglais, alors que le magazine Bucketfull Of Brains semblait totalement dédié au genre, on pouvait trouver à la librairie Parallèles, à Paris, un livre à la couverture souple sur laquelle figurait le fameux troisième oeil dans la pyramide, et à l’intérieur, agrémentés de photos en noir et blanc, des articles sur les soi-disant plus grands groupes psyché. Parmi ceuxlà, des formations dont nous n’avions jamais entendu parler : It’s A Beautiful Day, Kaleidoscope, Tomorrow, Morgen, etc. Dans les années qui suivirent, leurs disques, introuvables jusque-là, furent peu à peu réédités et les déconvenues s’empilèrent au rythme des achats. Pour un excellent Tomorrow, beaucoup de choses médiocres qui n’avaient par ailleurs rien de psychédélique (Morgen donnait dans le hard rock, par exemple et It’s A Beautiful Day était une sorte de folk électrique chiatique et plein de violon genre gitan). Dans ce même ouvrage, le journaliste jurait ses grands dieux que le groupe anglais Nirvana confinait au génie, en particulier sur son second album, “The Existence Of Chance Is Everything And Nothing While The Greatest Achievement Is The Living Of Life, And So Say All Of Us”. L’oeuvre de Nirvana, le premier en date, incluant le fameux album “All Of Us” est aujourd’hui rééditée en un coffret de deux CD, et elle n’a rien de psychédélique. Il s’agit, en fait, de pop anglaise administrée par un Irlandais et un Grec, très orchestrée, avec beaucoup de cordes — en particulier du violoncelle — et du phasing sur son titre le plus connu, “Rainbow Chaser”. Le tout sonne comme les Bee Gees des débuts, en moins bon, mais reste assez plaisant quoique foncièrement mineur. Pour amateurs du genre popbaroque, comme on dit aujourd’hui, uniquement...
“PLANET MOD – BRIT SOUL, R&B AND FREAKBEAT FROM THE SHEL TALMY VAULTS”, “PLANET BEAT FROM THE SHEL TALMY VAULTS” Big Beat (Import Gibert Joseph)
Le sillon mod a été tellement labouré depuis son grand retour dans les années 90 que, compilation après compilation, on en arrive forcément aux quatrièmes couteaux voire aux appellations usurpées. Ainsi de ces deux anthologies : certains groupes se retrouvent à la fois sur la compilation beat et la compilation mod, cette dernière comprenant même un titre de Screamin’ Jay Hawkins, pas franchement connu pour être l’idole des modernists. Par ailleurs, la plupart de ces gens assez médiocres ne sont même pas produits par Talmy — rien ici ne sonne comme les Who ou les Kinks du début — mais sont juste des produits de son label Planet. Les complétistes et obsédés des sixties anglaises prendront peut-être un certain plaisir à écouter The Untamed, The Lancastrians, The Soul Brothers ou les Corduroys, les autres pourront s’abstenir ou s’acheter le coffret Creation chez Numero paru l’an dernier ou patienter jusqu’à l’automne pour celui qui sera consacré à The Action...