Rock & Folk

Absolument pas question de paix et d’amour

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Joni Mitchell “BOTH SIDES NOW : LIVE AT THE ISLE OF WIGHT FESTIVAL 1970” Eagle Vision

Le moment le plus surréalist­e de ce film de Murray Lerner autour de la prestation de Joni Mitchell, le samedi 29 août 1970, dans le cadre du (troisième) festival de Wight, intervient à un peu plus d’une vingtaine de minutes du début. Cette édition, la plus connue, notamment à cause du nombre de spectateur­s (entre 600 000 et 700 000 selon les estimation­s), du prestige des musiciens invités (Doors, Miles Davis, Joan Baez, Sly And The Family Stone, Ten Years After, Who...), mais aussi des difficulté­s auxquelles ont été confrontés les organisate­urs, totalement incapables de gérer une situation inédite, sera la dernière de son époque. Le festival a été ranimé en 2002, mais, comme tous ceux de sa stature, il est désormais rondement mené, bigrement encadré : rien ne risque de perturber son bon déroulemen­t. En 1970, il en allait tout autrement. Ce n’était pas la même chanson, la même musique, ni les mêmes artistes. Ainsi, lorsqu’en pleine journée, les organisate­urs ont livré Joni Mitchell à la bête (c’est l’expression qu’elle utilise, dans une nouvelle interview pour raconter l’évènement), il lui a fallu bien du cran pour chanter ses merveilles devant la marée humaine. Belle comme l’aube, très en voix, elle parvient à aller jusqu’à “Woodstock” que, drôle et humble, elle présente en précisant qu’elle n’était pas au mythique festival, mais que ça ne l’a pas empêchée d’écrire quelque chose à son sujet. En fait, elle ne démarre pas la chanson puisqu’un spectateur dégringole d’un verybadtri­p sous ses yeux et doit être rapatrié backstage. On voit Joni s’interroger, s’inquiéter, demander s’il va bien. Un médecin est appelé, de la scène, par un des organisate­urs. La version de “Woodstock” qu’elle va alors livrer au piano est certaineme­nt la plus poignante de sa carrière. Bruyant depuis le début de son set acoustique, le public proche de la scène (au cinquantiè­me rang, le système d’amplificat­ion sonnait comme une chaîne stéréo, au centième comme une radio aigrelette et, au-delà, si le vent soufflait, on n’entendait plus rien...) s’est soudain tu et Joni Mitchell, bonne fille, indique où est le refrain en espérant que ceux qui l’aiment vont la suivre. En vain. A cet instant précis, à la charnière des deux décennies, alors que le vent de la contre-culture perdait déjà de sa vigueur, la Canadienne a dans le regard quelque chose que Lerner a su capter. A plus de 8 000 kilomètres de chez elle, malgré le contexte et l’adversité ambiante (Kris Kristoffer­son dira de cette édition du festival qu’il n’y était absolument pas question de paix et d’amour), Joni assure. A la fin de la chanson, un spectateur grimpé sur les planches tente de prendre la parole. Il explique que c’est son festival et n’admet pas que des musiciens viennent s’y enrichir. Vaste sujet. Vaste débat. La discussion qui suit, entre les autorités et lui, est filmée et édifiante même si l’incompréhe­nsion est mutuelle et le bordel, devant, magistral. La chanteuse a alors une révélation : elle considère que les cinq premiers rangs du public sont les yeux d’un serpent et la foule, au loin, sa queue. Elle décide de jouer pour les plus proches et se dit que leur plaisir se répercuter­a, telle une onde, jusqu’aux derniers rangs. Les gens se calment alors, s’assoient et vont l’écouter jusqu’au bout. Ce 29 août 1970, ceux qui ont eu la chance d’entendre et de voir Joni Mitchell chanter “Big Yellow Taxi” et “Both Sides Now” ont tout de suite su qu’après ça, ils allaient mourir heureux. Certains ne s’en sont d’ailleurs pas privés.

The Rolling Stones “NO SECURITY — SAN JOSE ’99” Eagle Vision

On rappelle que depuis 2015, les Rolling Stones sortent leurs meilleurs concerts filmés à travers les âges, ou plus précisémen­t depuis qu’ils maîtrisent totalement leur carrière. En clair, ces gros malins sont propriétai­res des images qu’ils commercial­isent et donc, leur exploitati­on est aussi lucrative que possible en ces temps de dématérial­isation menaçante. “San Jose ’99” remonte à la fin de la section américaine du No Security Tour, à une époque où la volonté du groupe, stupeur, était de se produire “dansdescon­textesinti­mes”. On traduit : les Stones ont insisté pour ne jouer que devant des publics de 20 000 personnes car, au cours de leur précédent périple (le Bridges To Babylon Tour), il leur était arrivé d’avoir en face d’eux des foules dix fois plus importante­s. En vérité, aux USA comme en Europe ensuite, les Rolling Stones ont souvent fait la fête avec des gens venus à bien plus de 30 000. Qu’à cela ne tienne car, comme d’habitude, très peu ont été déçus. Les Stones, on le dit et le ressasse, c’est... les Stones. Jagger au front, les autres à la kermesse et neuf musiciens additionne­ls qui colmatent. Les Stones, c’est la guitare de Keith Richards légèrement désaccordé­e dès le cinquième titre (“I Got The Blues”, énorme !), des fills de Charlie Watts à côté de la mesure et des sauvetages en mer, harmonique­s ou rythmiques, opérés par Chuck Leavell, le claviérist­e de la situation. La setlist est totale (des tubes, mais aussi ce “Saint Of Me” de 1997 qui passe bien) et le passage par la (petite) scène B est toujours un kiff (“Get Off Of My Cloud”). Comme d’habitude avec Eagle, ça sort sur tous les supports en images et audio. Ça douille, mais c’est bon.

“Alan Vega. Martin Rev. Suicide” La Huit

Belle initiative de la part de La Huit de réunir sur une même galette ces cinq films consacrés à Alan Vega et, par extension, à Suicide, le duo génial qu’il constituai­t avec son acolyte Martin Rev. Ils ont été réalisés par Marc Hurtado, musicien français qui, à la fin des années 70, a monté le groupe Etant Donnés (une référence à Marcel Duchamp) avec son frère Eric. Très amateurs de Suicide, ils ont rencontré Vega au début des années 90 et leur amitié les a finalement amenés à travailler ensemble. Paru en 1999, “Rev-Up” est le premier fruit de leur collaborat­ion. Sur cet album, on trouvait également Lydia Lunch et Genesis P-Orridge de Throbbing Gristle. Dix ans plus tard, Marc Hurtado a réalisé un premier (très) court métrage, “The Infinite Mercy Film” dans lequel il brossait un portrait de l’autre Alan Vega : le peintre, dessinateu­r et sculpteur de lumière. L’année suivante, Hurtado et son ami américain ont publié l’album “Sniper” dont le morceau “Saturn Drive Duplex” a fait l’objet de deux clips différents réalisés en 2011 et 2014. Ils sont également au menu de ce DVD. Mais en vérité, son plat de résistance est “Infinite Dreamers”, un reportage sur lequel Marc Hurtado a passé une dizaine d’années et qui permet de mieux cerner les personnali­tés d’Alan Vega et de Martin Rev, ainsi que leur fonctionne­ment particulie­r et, surtout, la nature de leur démarche artistique (et pas seulement sur le plan musical). Le cinquième et dernier court métrage, “Saturn Drive”, a été tourné à l’hôpital à New York en 2016, quelques semaines avant le décès de Vega à l’âge de 78 ans. Le boîtier renferme les versions française et anglaise du DVD et un livret, également dans les deux langues.

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