Rock & Folk

JOAN JETT

A l’occasion de la sortie du documentai­re “Bad Reputation”, l’Américaine, en transit à Roissy, raconte les péripéties d’une vie de rockeuse.

- Isabelle Chelley

LE 5 AOUT 1975, JOAN JETT FORMAIT LES RUNAWAYS avec Sandy West à une époque où les filles jouant du rock n’étaient pas légion. Quatre décennies plus tard, accompagné­e de ses fidèles Blackheart­s, elle a tout défoncé au Hellfest avant de sillonner les routes américaine­s en hardest working woman in rock...

Baston avec Chuck Norris

On préfèrerai­t le Château Marmont, mais c’est au Mercure de Roissy que l’interview a lieu, la veille du Hellfest. Alors qu’on attend au bar de l’hôtel, Kenny Laguna — manager, partner in crime, cofondateu­r de Blackheart Records, label créé en 1980 pour relancer la carrière de Joan Jett post-Runaways après 23 refus de maisons de disques — nous appelle. Il annonce qu’il n’y aura pas de retard et nous demande de lui faire une faveur. Plaît-il ? Et prend beaucoup à boire.” “Commande-toi à déjeuner à nos frais.

Deux verres plus tard, il vient nous chercher et ouvre la porte de la chambre en lançant : “I give you the queen of

rock’n’roll !” La réaction survient avant qu’on aperçoive la reine, assise au fond de la pièce. “Pffff... Kenny, arrête...” La voix est grave, sans inflexion, le ton amusé. Joan Jett se lève, petite, épaules carrées, bras musclés, dans sa tenue civile — jeans skinny délavés et débardeur noirs, baskets, eyeliner. A bientôt 60 ans, elle en paraît 20 de moins.

Le rock’n’roll, ça conserve. On tend la main, elle l’ignore et nous prend dans ses bras. Kenny Laguna tire les rideaux, commande à boire. “J’ai eu une carrière avant elle et quand je l’ai rencontrée, je me suis dit ça durera six mois, un an. Et c’est devenu le reste de ma vie. J’ai toujours cru en elle, je la traitais comme une reine et après toutes ces années, personne ne l’a remplacée. Je vais dire une bêtise de plus... On a fait la tournée Warped en 2006 et c’était la fille la plus en forme de toutes. Elle ne vieillit pas.” Elle rigole. “Pas vraiment, Kenny...” Quel est le secret de sa jeunesse ? Se baigner dans du sang de vierge ? “Evidemment ! Je n’ai jamais eu besoin de faire de sport, j’ai toujours été en pleine forme et mon métier faisait que je bougeais. Sur scène, c’est du sport. Sinon, je ne foutais rien, j’ai de bons gènes... Mais cette année, j’ai fait une remise en forme pour être prête pour la tournée.

C’est très physique.” On a rarement vu une légende aussi no bullshit et directe que Joan Jett. Elle regarde droit dans les yeux et n’offre jamais de réponse automatiqu­e aux questions. Il est temps de réviser pour ceux qui croient que sa carrière se résume à “Cherry Bomb”, “Bad Reputation” et “I Love Rock’N Roll”. Outre quatre albums studio avec les Runaways, elle en a sorti douze avec les Blackheart­s, a été citée comme marraine des riot grrrls, a tenu quelques rôles au cinéma et un dans “The Rocky Horror Show” à Broadway, s’est battue contre Chuck Norris dans “Walker Texas Ranger”, a remplacé Kurt Cobain pour l’intronisat­ion de Nirvana au Rock And Roll Hall Of Fame, avant d’y entrer à son tour en 2015.

Tout en défendant les droits des femmes, le végétarism­e, les animaux et l’environnem­ent, produisant des albums (des Germs en 1979 au prochain Wanda Jackson) ou collaboran­t avec la moitié de la planète rock, de Kathleen Hanna à Alice Cooper. Le tout selon ses termes, sans perdre son intégrité. Un regret... Pourquoi ne pas jouer plus souvent en France ? La dernière fois, c’était en 2009. “On ne veut pas se faire rare en Europe, mais c’est difficile de savoir si on peut tenir une tournée en vendant assez de billets pour que ce soit possible. On est sur des labels différents dans chaque pays. Ça a changé à présent, on a eu de très bonnes réactions récemment.” A raison. Sur les dernières vidéos de concerts, Joan Jett et ses Blackheart­s s’éclatent, à l’inverse de ces groupes qui tournent pour relever les compteurs et s’ennuient sur scène de façon

contagieus­e. Là aussi, on veut le secret. “Je pense que c’est de rester concentré sur ce que tu as fait au début, être dans un groupe de rock’n’roll. On n’a pas besoin d’en faire plus. On est cinq, il y a des harmonies, mais pas de danseurs ou autre... A cause des réseaux sociaux, des vidéos, les gens se préoccupen­t plus de l’aspect visuel. Ça peut être au détriment de la musique. Il faut se concentrer sur ce qui reste excitant, la musique et rien d’autre. On réalise qu’on aime ce qu’on fait, on est tellement privilégié­s par rapport à tant de gens qui s’usent dans un boulot qu’ils détestent pour gagner trois fois rien. Chaque jour, je me rappelle que j’ai une chance folle.” On aimerait savoir d’où elle tire cette assurance, ce côté chef de gang. On soupçonne que son look de fille dure à cuire et son fameux maquillage noir ont un rôle. “Ça peut en faire partie. Mes parents m’ont élevée en me disant que je pourrais être qui je voulais. Mais je suis très timide. Il m’a fallu des mois avec les Runaways pour chanter devant des gens. Quand on enregistra­it, c’était dans le noir pour que personne ne puisse me voir. Et je ne voulais pas montrer un centimètre de peau.” Comme sur ces photos des Runaways à la plage où elles sont toutes en bikinis ? “Et je suis en combinaiso­n de plongée parce que je ne me sentais pas du tout à l’aise en maillot de bain. Dans le rock’n’roll, j’ai confiance en moi, je sais ce que je fais. J’ignore d’où ça vient, de l’univers sans doute. Et si ça déplaît aux gens — comme c’est arrivé il y a très longtemps — on devient une petite armée qui se déplace. Si le public aime, génial. Sinon, on fait le concert sans se venger sur le public, au contraire, il faut le conquérir. J’ai bien répondu ?”

Les filles pensent au sexe

Lorsque, aux Etats-Unis, le public et la presse ont compris que les Runaways étaient là pour conquérir le monde, la réaction a été violente. Crachats, insultes, jets d’objets, critiques mesquines. Le sexisme a-t

il reculé à présent ? Sourire entendu. “Et de ton côté ? Les choses n’ont pas changé pour les filles. On a l’impression qu’il y en a plus, mais en réalité, pour percer et réussir, c’est toujours difficile. On voit les filles qui jouent dans des groupes dans chaque ville. Et personne ne mise d’argent sur elles. Dans le rock, on ne les signe pas, je ne pense pas que ça ait beaucoup changé depuis les Runaways. Avec internet, on peut diffuser sa musique. C’est plus facile, les filles font tout par elles-mêmes.” Et avant ? “On n’a pas voulu de moi. Dans le documentai­re ‘Bad Reputation’,

“Les choses n’ont pas changé pour les filles, pour percer et réussir, c’est toujours difficile”

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