PRINCE
Un peu plus de deux ans après la mort du musicien, ses ayants droit commencent à dévoiler quelques archives : Première sortie, le très lo-fi “Piano & A Microphone 1983”.
LE MOINS QU’ON PUISSE DIRE, C’EST QUE LES HERITIERS DE PRINCE ont une curieuse manière de faire vivre le legs du génie de poche. Flashback : 21 avril 2016, après l’annonce de la mort du chanteur, des milliers de fans se retrouvent à Minneapolis pour une communion païenne et funky en l’honneur de leur héros. Depuis un balcon, le journaliste du Star Tribune, Aaron Lavinsky, filme les fans en train de reprendre en choeur “Purple Rain”. Sa vidéo devient vite virale avec plusieurs dizaines de milliers de vues sur Twitter. Séquence émotion.
Ambiance privée
Pourtant, la vidéo disparaît du réseau social et, à sa place, apparaît ce texte “This broadcast is
not available in your location”. Le Digital Millenium Copyright Act de 1998 a été invoqué par Universal, obligeant Twitter à supprimer le contenu de cet émouvant hommage. Heureusement, après une campagne menée par Lavinsky (soutenu par les fans), le clip refait surface en juillet dernier. Fin heureuse, même si l’affaire sonne comme un écho de celle qui, en 2008, vit la vidéo d’un enfant dansant au son de “Let’s Go Crazy” retirée du web pour les mêmes raisons, preuve s’il en fallait que Prince lui-même (et pas seulement son exécuteur testamentaire) a toujours eu un rapport ambivalent avec internet. Là encore, la justice avait donné raison à David face au Goliath du business, et le label avait du faire volte-face. Avec la sortie de ce premier projet posthume d’envergure après le greatest hits “4Ever” et la Deluxe Edition de “Purple Rain”, on passe enfin aux choses sérieuses.
Le hasard de l’actualité voit ce disque acoustique du kid de Minneapolis sortir au moment où le clan Jackson est au coeur des polémiques suite aux accusations de fraude à la voix sur trois chansons de l’album “Michael” (“Breaking News”, “Monster” feat 50 Cent et “Keep Your Head Up”). Ici, le dépouillement spartiate de “Piano & A Microphone 1983” a le mérite d’écarter d’emblée tout doute quand à l’authenticité du produit. L’intro de “17 Days” donne le ton intimiste et volontaire à la fois de cet album, dont certains fans hardcore connaissaient la teneur, mais dans des versions de médiocre qualité. “Is that my echo ? Give me the straight one. Can you turn the lights down ? Good God !” Et c’est parti pour 35 minutes de jam au piano. Une façon de boucler la boucle puisque, comme le rappelle Troy Carter, membre du Prince Estate, “cet album enregistré alors que Prince s’apprêtait à connaître un succès mondial est similaire au format de la tournée Piano & A Microphone qui
a conclu sa carrière en 2016”. On est clairement dans une ambiance privée puisque la prise de son originale s’est faite dans le home studio de Prince à Chanhassen sur une K7 audio, reboostée pour la sortie 2018 par Don Batts, l’ingénieur et seul accompagnateur de Prince lors de cette jam minimaliste. Prince est loin d’être un inconnu quand il enregistre cette session : il a obtenu un joli succès avec le double album “1999” l’année précédente, son cinquième projet. Grâce au single “Little Red Corvette”, en haute rotation sur la chaîne musicale MTV qui démarre, “1999” définit le style de Prince dans les années 1980 : un funk rock synthétique aux arômes avant-gardistes qui n’oublie jamais la mélodie malgré les multiples prises de risque stylistiques. En 1984, “Purple Rain” permettra à Prince d’obtenir un grand chelem qui a toujours échappé à son rival d’alors Michael Jackson : un disque multiplatiné et un blockbuster aux 80 millions de dollars de recettes, avec l’Oscar de la meilleure musique de film pour faire bonne mesure. Le court extrait de la chanson “Purple Rain” ici proposé est un intéressant témoignage sur la genèse de ce hit planétaire. La mélodie est encore chancelante, les paroles incomplètes, et Prince enchaîne avec le morceau suivant, la reprise de “A Case Of You” (Joni Mitchell), après 1’27. Le son brinquebalant du vieux gospel “Mary Don’t You Weep” (déjà interprété par Aretha Franklin, Bruce Springsteen et Nat King Cole), entendu dans la BO du dernier Spike Lee “BlacKkKlansman”, révèle les limitations du son source, comme si la K7 avait été endommagée. L’équivalent en bande magnétique du craquement des sillons d’un vieux disque vinyle, en quelque sorte. Quand à “Cold Coffee And Cocaine”, chanté par Prince avec la voix trafiquée de son alias Jamie Starr, c’est un des inédits qui était probablement destiné à The Time.
Ovni lo-fi
Reste l’ultime question après des écoutes répétées de cet ovni lo-fi : qui, à part les fans, se passionnera pour ce disque ascétique ? Curieux choix que cette brève sélection en forme de répétition quand on sait combien Prince était prolixe et obsédé par le son. Une chose est sûre : avec les centaines d’heures de musique disponibles dans la vault récemment transférée à Los Angeles, les ayant droits de Prince ne risquent pas d’avoir recours à un imitateur comme le firent les frères Cascio pour le premier album posthume du King of Pop. On espère entendre ces inédits avant le siècle prochain, si le Prince Estate le veut bien.