Rock & Folk

Phil Lynott

Sa tête mise à prix par les fans de Thin Lizzy “THE PHILIP LYNOTT ALBUM” Vertigo

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THIN LIZZY S’IMPOSE TOUT AU LONG DES ANNEES 70 comme le champion d’un rock’n’roll fédérateur et flamboyant. Il lui faut, après neuf albums, négocier le virage vers une nouvelle décennie. Le leader, Phil Lynott, chanteur le plus cool et célèbre d’Irlande, profite de la disparitio­n du guitariste Gary Moore, qui plante le groupe sans préavis en pleine tournée américaine, pour remanier son gang. Il embauche Midge Ure, membre de Visage. Un choix qui surprend même le principal intéressé : “Qu’est-ce que je venais foutre avec mon synthé dans Thin Lizzy ? Ma présence était une farce, mais Phil ne voulait pas que leur son passe de mode.” Lors d’une balance au Japon, Midge règle son instrument. Lynott déboule :

“C’est super ça ! Refais-le !” Rentrés à Londres, les deux transforme­nt l’affaire en chanson : “Yellow Pearl”, hommage à Yellow Magic Orchestra. Un morceau qui n’a rien à voir avec l’esthétique Thin Lizzy, mais ce n’est pas grave : le métis a signé un contrat en solitaire. Lynott commence l’enregistre­ment de son disque solo aux Bahamas, au fameux Compass Point, avant de rallier les Good Earth Studios de Tony Visconti à Londres. Ce dernier, qui planche sur “Scary Monsters”, laisse les manettes à son ingénieur, Kit Woolven, coproducte­ur avec Phil, alors que les musiciens défilent — les membres de Thin Lizzy (qui ne savent pas si le morceau atterrira sur un disque du groupe ou sur l’échappée en célibatair­e), plus des gusses comme Mark Knopfler, Huey Lewis et Billy Currie. “Solo In Soho” sort en avril 1980. Les fans de Thin Lizzy ratissent Dublin et Londres armés de bâtons, à la recherche de Lynott : il faut rosser ce traître qui a viré funk, electro, reggae et même calypso. L’erreur, c’est d’appréhende­r ce disque comme un concurrent d’Aerosmith. Il doit s’écouter comme un album pop, aux côtés de ceux de Dire Straits, Blondie, Police, The Cars... Dans “Talk In ’79”, l’Irlando-Guyanais cite PiL, The Stranglers, Devo, Steve Strange, concluant “This broadcast was brought to you in 1979, I’m just talking over these waves, the old wave was gone and controlled” : Lynott reste un artiste de son temps — et un des meilleurs. La célèbre émission Top Of The Pops récupère un remix de “Yellow Pearl” comme générique, mais “Solo In Soho” se vend beaucoup moins qu’un disque signé Thin Lizzy, et la plupart des critiques le massacrent : le NME décrit l’Irlandais comme un has been tentant de rallier le post-punk, alors que “Solo In Soho” est simplement un grand album pop. Lynott essuie une dépression, se fait serrer par les poulets, son mariage bat déjà de l’aile, sa vie part en sucette, il doit retourner à son groupe, mais entre deux nouveaux Thin Lizzy et une addiction à l’héroïne de plus en plus funeste, il persévère, compose un second disque solo. Toujours pointilleu­x sur le songwritin­g, il commence à perdre la boule. Un jour, il règle tous les détails en studio, avant de s’apercevoir qu’une bande de zonards l’entoure. Il compte : il y a là 12 types. Il sort sa cocaïne, prépare 13 lignes. Tout le monde se frotte les narines. Mais voilà que le chanteur s’envoie la totalité des traces, une à une. Message reçu : les im-portuns décampent. Parfois, le métis se pointe avec une bouteille de whisky pour tout le monde, parfois, il saute à la gorge d’un mec qui lui a pris une chips. Il veut que Jimmy Bain joue du synthé, le guitariste Brian Robertson décrypte : “Bain sait autant manier un clavier que Linda McCartney : il était là comme camarade de dope”. L’Irlandais s’absente plusieurs jours : il a filé à New York rendre visite à Johnny Thunders — pas pour faire les magasins. Il revient, demande à Kit Woolven d’écouter les prises. Le coproducte­ur lance les bandes, entend un bruit bizarre. Ce n’est pas l’enre-gistrement : derrière lui, Lynott s’est endormi et ronfle. Il émerge, Kit relance les bandes. Nouveaux ronflement­s. Sa santé, mentale et physique, terrifie Mark Knopfler et Midge Ure, qui passent à l’occasion donner un coup de main. “Solo In Soho” était sensé incarner une renais-sance. Il a marqué le début de la chute. La chute, c’est “The Philip Lynott Album”, encore plus beau que son prédécesse­ur. “Old Town”, “Gino”, “Fatalistic Attitude”, “Together” (et sa face B “Somebody Else’s Dream”), “Don’t Talk About Me Baby”, plus la version Top Of The Pops de “Yellow Pearl”, l’album, à la fois inventif et impactant, enfile les merveilles — Elvis Costello et Paul Weller en rêvent encore. On se demanderai­t presque pourquoi ce génie pop a passé une décennie à défouraill­er du heavy rock. Parolier exceptionn­el, Lynott se révèle plus bouleversa­nt que jamais. Mais l’album reçoit un accueil pire que le précédent, puisqu’il ne provoque même plus la fureur : juste des bâillement­s — contrairem­ent à de jeunes compatriot­es en pleine ascension, U2. Devant tant d’ingratitud­e, le héros se venge sur l’héroïne, mourant à 36 ans en 1986. Il n’aura pas à subir le triomphe de “The Joshua Tree”. Première parution : 17 Septembre 1982

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