Rock & Folk

PALACE, BAINS DOUCHES & ROSE BONBON

Quatrième et dernier volet d’une série consacrée aux nuits parisienne­s : l’évocation de quelques hauts-lieux des années 80. Un ultime âge d’or ?

- Patrick Eudeline COUVERTURE PHOTO : DR GRAPHISME : FRANK LORIOU

JE ME SOUVIENS DE CETTE ANNEE (1975) OU LE BUS PALLADIUM REOUVRAIT, sous l’égide, certes, de Sam Bernett mais pour des nuits aussi vides que la piste de danse. Je me souviens du Gibus pareilleme­nt déserté... Entre le glam rock et l’explosion du punk rock, il y eut... Rien. Et la nuit parisienne était à cette image. Oh, il y avait bien l’Elysée Matignon ou l’Aventure, tenue par Dani, des clubs privés où Gainsbourg sirotait son whisky et où les champions de tennis pouvaient discrèteme­nt rouler leur joint. Mais c’est à peu près tout. Les seventies ne se sont pas déroulées comme le croient généraleme­nt ceux qui n’y étaient pas, mais les racontent quand même et témoignent néanmoins. Anecdote : Jimmy Page, sur son nouveau label, Swan Song, décide de signer ses amis de toujours, les Pretty Things ! Pour l’occasion, fête est donnée. Rue de Sèvres, pas loin du Bon Marché, dans un endroit si éphémère... que je n’ai pu en retrouver l’intitulé. Ni dans ma mémoire, ni ailleurs. J’y étais invité. Comme Philippe Manoeuvre ou Nick Kent. Je revois Nick arriver dans son sublime manteau vert Granny (celui qu’il allait revendre à Chris Wilson et que j’allais racheter à Chris Wilson. Intéressan­t, non ?). Son étonnante démarche de skieur à la Keith Richards était un bonheur, mais nous étions inquiet pour lui. L’affreux John Bonham était là. Et tout le monde savait qu’après quelques verres (euphémisme) le bonhomme était hors de contrôle. Qu’il avait promis de se faire le pauvre Nick. En raison, ce me semble, d’une critique pourtant plutôt élogieuse de “Presence” (heureuseme­nt, il ne savait pas que j’avais voué ledit disque aux gémonies, bien plus encore que l’ami Kent). De plus, il y avait une piscine intérieure dans le fameux endroit où nous étions conviés. Tout se passa comme prévu. Tout le monde but. Beaucoup trop. John Bonham déchira la veste de Nick par surprise (la fente arrière... tchakkk !) et chercha bel et bien à le précipiter à la baille. Sinon... Jimmy Page mourait d’envie de “faire une jam” avec ses amis des Pretty Things. D’accord. Mais Où ? Nous étions en semaine, certes, mais Paris était devenu si mort que... Non vraiment ! Moi, je bouillais. J’avais un harmonica en poche. Et si ? On peut toujours rêver. Tout le monde se retrouve donc, finalement, au Gibus puisque cela semblait être le seul endroit ou de la musique live pouvait se produire. Le Golf était fermé en semaine. Il y avait bien un groupe qui jouait (son nom a disparu dans les poubelles de l’histoire), mais le guitariste jazz rock avait décidé que, non vraiment, il ne pouvait pas prêter sa guitare à n’importe qui. Même si ce n’importe qui s’appelait Jimmy Page. Ou Dick Taylor. Et par le fait, tout le monde est rentré chez soi. Non, en cette morne époque, entre jazz rock et pub rock, il n’y avait, hors les clubs privés susnommés, que le Sept. La boîte de Fabrice Emaer. J’étais alors un punk en devenir et, donc, comme mes petits camarades, fréquemmen­t vêtu de cuir noir. Bref, nous étions bien reçus au Sept. Certes, le Sept ne passait quasiment que de la disco. Mais l’endroit était superbe, cool et propice aux rencontres.

Et Fabrice faisait facilement tomber la bouteille à la table des jeunes gens que nous étions. Le 7 rue Sainte-Anne, à coté du Bronx et du Colony, créait le Paris gay. En 1976, le Gibus devint l’endroit incontourn­able. Le punk l’avait sauvé de l’ennui ! Le Golf Drouot, lui, était toujours ouvert. Il le sera jusqu’en 1981, mais Henri Leproux avait du mal à négocier les nécessaire­s virages. Même si des groupes affiliés au renouveau punk y jouaient... En fait, ils y ont tous joué. De Bijou à Asphalt Jungle, en passant par Starshoote­r et Little Bob. Mais le grand événement fut, bien sûr, l’ouverture du Palace. Hormis pour une pièce de David Rochline dont j’ai un souvenir ému, le Palace n’offrait que peu d’attrait. L’endroit était historique depuis la Belle Epoque (il fut l’Alcazar d’Henri Varna, monta nombre d’opérettes pendant la guerre). On y vit Maurice Chevalier comme Mistinguet­t. Et même nombre d’officiers nazis. Mais depuis les années soixante, ce n’était plus qu’une salle fatiguée, bien que classée monument historique, qui se consacrait au théâtre d’avant-garde ou expériment­al. Tout change quand Michel Guy devient ministre de la Culture et offre à Fabrice Emaer l’occasion de racheter l’endroit. Emaer reconstrui­t littéralem­ent le Palace à l’image de ce qu’il avait été dans les années 30 et cherche à copier en tous points le Studio 54 qui, alors, fait recette à New York. Le 1er mars 1978, le Palace ouvre avec un show de Grace Jones. Sur le chemin qui mène à cette soirée, Pacadis me lance : “On allait quand même pas rester punk toute notre vie !” Parallèlem­ent aux nuits parisienne­s, nombre de concerts rock sont programmés au Palace. Des Cramps au Clash. Le Palace est incontourn­able. Concerts comme boîte de nuit. Boîte de nuit ? Enfin, et plutôt, Palace de nuit : tout y est disproport­ionné en ces trois étages. Tout y est rouge et vieil or, comme le costume des serveurs/ faux grooms. Tout le monde se retrouve au Palace, des stars en maraude (de Jagger à Bowie) aux couturiers qui y programmen­t des fêtes délicieuse­ment décadentes. Kenzo, Lagerfeld, Claude Montana, Mugler, et tous les autres, jusqu’aux paumés de la nuit. Paumés mais assez lookés et remarquabl­es pour qu’Edwige ou Paquita, de leur porte les laisse entrer. Et y croiser Grace Jones, Morillon, Didier Lestrade, Andy Warhol, la pubère Eva Ionesco, Amanda Lear ou Pierre Bergé. Peut-être même dans ces immenses toilettes où il se passe tant de choses. En bas du Palace, très vite, apparaît le Privilège. Comme une annexe, un restaurant plus privé que le Palace, avec Henri Flesh, ancien chanteur punk, comme DJ résident. Jenny Bel’Air y tient la porte et Pacadis les banquettes, où il s’écroule chaque nuit ou presque que le diable fait. Certains y perdent leur vie et leur temps, voire leurs illusions. Ce sont encore les temps de l’insoucianc­e. Bientôt, très vite, Fabrice Emaer meurt... Dès 1983, la fête est pliée. Même si elle continue plus ou moins aux Bains Douches. En ligne de mire, il y a le sida, le temps qui passe, le chômage galopant. En fait, les Bains sont un parfait contempora­in du Palace. Ils ouvrent en 1978. Tout se passe comme si le punk avait réveillé une énergie qui s’applique dans tous les domaines, une sorte de résurrecti­on ou plutôt... de réveil avant la fin, comme les derniers feux de la fête. Comme le Palace, les Bains sont faussement privés. Il y un portier (le premier fut Chino ! batteur et saxophonis­te d’Asphalt Jungle circa “Planté” !) qui juge au look. Au feeling. Bien sûr, il y a tout le gratin. Qui vaque dans cet appartemen­t improbable (piscine à côté de la piste de danse, restaurant à l’étage). Comme au Palace, les soirées alternent avec des concerts rock. On y voit le meilleur de l’époque, de Suicide à Jason & The Scorchers. L’almanach des eighties en ce qu’elles ont de meilleur. Comme le Palace, l’endroit est dans le collimateu­r des flics (des stups surtout... C’est l’époque de l’héroïne chic) et ferme parfois quelques jours. Les Bains n’y échappent pas. Il faut dire qu’un temps, le DJ fut Octavio, le cultissime petit camarade des New Dolls et de Johnny Thunders. Je préférais les Bains au Palace. C’est ainsi. Et puis les Bains sont morts de leur belle mort. Oh ! L’enseigne était là encore, bien sûr. Mais ce n’était plus pareil. La nuit à Paris s’endort vers 1983 ou 1984. Avec une certaine idée des eighties naissantes. Celles qu’illustrait si bien Actuel. Bientôt, ce ne sera plus que crise et sida. Comme il me semble l’avoir déjà dit. Parallèlem­ent aux Bains et au Palace, il y a le Rose Bonbon. Qui fut le Nashville, qui fut la Taverne de l’Olympia. Là étaient programmés les groupes Pop 2. Au début des seventies. Ouvert le même mois que le Palace, le Rose Bonbon est à la new wave ce que le Gibus fut au Punk. Tout le monde, de Trust à Indochine y joue. Cela durera quelques années. Jusqu’en 84. Depuis, il y eut le New Moon à Pigalle, pour tenir le flambeau de la boîte rock”. Le New Moon, à la fin, des années 80, abrite tout ce que Paris compte d’alternatif­s. Il y eut, en face, le Pigalle, un court temps. Il y eut l’Erotika... Depuis, je n’ai qu’un seul souvenir, ou quasi, de nuits de Paris. Et c’est le Baron. Au Baron, comme au Palace ou aux Bains, on programme des groupes, malgré l’exiguïté de l’endroit (un couloir !). Au Baron, alors que nous vivons depuis les années 90 sous la domination de la techno, les DJ programmen­t de la musique. Enfin, des chansons. Des chansons de danse. Au Baron, il y a du beau monde, des rencontres et des nuits blanches. Le Baron ouvre en 2004, grâce au célèbre André. L’endroit est donc contempora­in du boom des baby rockers et d’un certain sursaut... Depuis... c’est aujourd’hui. Et je ne sors plus. Mais où irais-je ? Hors le Montana, un temps concurrent du Baron, mais trop privé et qui n’a pour lui que son rooftop, sa prestigieu­se adresse (rue Saint-Benoît, à côté du Flore) et son histoire (le jazz et Saint-Germain-des-Prés) le Silencio, qui programme concerts et événements, en qui beaucoup d’espoirs, un temps, furent portés... Mon coeur ne balance guère. Tout cela est triste. L’époque est trop grogneuse pour vivre la nuit. L’interdicti­on de fumer, pour tout arranger, a mis un coup d’arrêt radical et la nuit semble à l’image de l’époque. Certes, on va me citer Chez Moune (club lesbien historique devenu... club), le Carmen (sympatoche un temps, vu la beauté de l’endroit) ou La Mano, rue Papillon, tous sis à Pigalle ou dans sa proche géographie... Et on aura raison. On peut toujours sortir si on en a l’envie. Ecouter de la vraie musique, c’est une autre affaire. Sinon, la nuit à Paris, c’est aujourd’hui le VIP Room, qui a remplacé le célébrissi­me Queen (formidable endroit, si on est gay ou qu’on aime la techno). Et plus personne ne sort la nuit, sinon les Marseillai­s de la télévision. Normal... De Saint Laurent à Gainsbourg ou Benoît Poelvoorde (âme destroy du Baron s’il en fut) ils sont tous morts ou fatigués. Normal, il n’y a plus de rock mais il y a internet. Non ?

Jenny Bel’Air y tient la porte et Pacadis les banquettes, où il s’écroule chaque nuit ou presque que le diable fait

Newspapers in French

Newspapers from France