Rock & Folk

THE GOOD, THE BAD & THE QUEEN

Damon Albarn, Paul Simonon, Tony Allen et Simon Tong ont réactivé ce curieux projet monté en 2007 : une réunion d’excellents musiciens en goguette, pour un deuxième album qui évoque le Brexit.

- Olivier Cachin

“Si vous trouvez le mot Brexit dans une seule des chansons, je vous donne 50 euros”

LEUR PATRONYME FAIT PENSER A UN TRIO, MAIS CES MOUSQUETAI­RES-LA SONT QUATRE. The Good, The Bad & The Queen, c’est le band imaginé par Damon Albarn en forme de supergroup­e (un piètre terme pour les désigner, comme on le lira ci-dessous). Un ex-Clash (Paul Simonon), le batteur nigérian qui créa l’afrobeat avec Fela Kuti (Tony Allen) et un guitariste virtuose passé par The Verve et, brièvement, Blur (Simon Tong) épaulent le créateur du projet. Onze ans après un premier album aussi riche en surprises que pauvre en hit singles, six ans après le side project Rocket Juice & The Moon (avec Flea des Red Hot Chili Peppers et, déjà, Tony Allen), Damon amorce le grand retour de TGTBATQ avec “Merrie Land”, ode désabusée à une Grande-Bretagne devenue moins great en s’isolant du continent. L’Angleterre étriquée rêvée par les passéistes du Brexit n’est pas celle de ces musiciens d’exception qui frisent le concept album avec cette collection de dix chansons nimbées d’une infinie nostalgie, toutes coproduite­s par Tony Visconti. Rencontre à trois voix avec Paul, Damon et l’autre Tony.

ROCK&FOLK : Pourquoi ouvrir cet album avec un sample du film culte et peu connu de Michael Powell et Emeric Pressburge­r, “A Canterbury Tale” ? Damon Albarn : On a essayé plein de trucs mais si ça ne tenait qu’à moi, on aurait pu mettre tout l’audio du film et vous n’auriez jamais entendu l’album. C’est une façon de donner le ton, l’ambiance... R&F : Merrie Land, c’est l’Angleterre ? Damon Albarn : Vous ne seriez pas loin de la vérité en disant ça. R&F : L’album traite-t-il du Brexit ? Paul Simonon : Si vous trouvez le mot Brexit dans une seule des chansons, je vous donne 50 euros. On n’en parle pas directemen­t mais, en sous-texte, on balance quelques idées. Damon Albarn : Le vote contre l’Europe ne m’a pas plu. J’ai grandi dans une ère multiracia­le, multicultu­relle, multiconfe­ssionnelle. On m’a élevé en m’apprenant à respecter tous les gens de mon pays, qu’ils viennent du Pakistan, du Kenya où d’où que ce soit dans notre monde postcoloni­al. Ce n’est pas un hasard si les premiers mots du disque sont “If you are leaving”. Il y a de la passion derrière cette formule. Ça n’est pas un disque politique ni un manuel d’instructio­n, c’est un appel aux armes pour une réponse émotionnel­le. Paul Simonon : Aujourd’hui, on peut trouver du pastis, du bon vin et des croissants à Londres. Vous voyez, je suis à moitié européen. R&F : Vous souvenez-vous où vous étiez quand vous avez appris la victoire du Brexit ? Paul Simonon : J’étais dans un hôtel génial à Paris. Déjà en exil ! (rires) J’ai appris la nouvelle devant la télé, j’ai éteint le poste et je suis sorti manger des escargots (en français dans le texte), boire du bon vin, profiter des bonnes choses que la France a à offrir. Je ne m’attendais pas à ce résultat, et, un des problèmes, c’est que des politicien­s comme Boris Johnson ont menti aux gens en disant que l’argent de l’Europe irait à la santé. C’était bidon, mais un peu plus de 50% des Anglais y ont cru. R&F : Pourquoi onze ans entre ces deux albums ? Paul Simonon : Bonne question, je me la pose aussi. En vrai, on a tous plein de choses à faire. Après le premier album j’ai travaillé avec Damon et ses Gorillaz, j’ai également tourné avec Mick Jones... Tout ça prend du temps. Si on n’était pas tous sur autant de projets, ça serait arrivé avant. Damon Albarn : Ça prend longtemps pour faire un bon ragoût. On a beaucoup joué en Afrique aussi, on se voyait, on traînait ensemble. Ça me semble si loin, il s’est passé tellement de choses depuis ce premier album. En 2007, j’avais 39 ans... Tony, toi aussi tu étais plus jeune, pas la peine de rigoler !

R&F : A l’écoute des dix chansons, c’est un sentiment de tristesse, de nostalgie qui domine. Damon Albarn : Vous trouvez ? Tout l’album est une déclaratio­n d’amour, mais aussi une lettre d’adieu. On est une famille qui a été coupée en deux par quelque chose qu’on n’a pas vraiment compris. Paul Simonon : Il y a beaucoup d’émotions dans l’album, certaines joyeuses et d’autres plus sombres, plus sinistres. Rien de prémédité, c’était l’ambiance du moment. D’une certaine manière, “Merrie Land” c’est un peu la descriptio­n de l’Angleterre. C’est une formule victorienn­e, c’est la façon dont on regarde tous ces gens qui ont la nostalgie d’un passé supposé glorieux, mais qui doivent réaliser que ce temps-là n’est plus. On doit penser à demain, pas se braquer sur le souvenir probableme­nt tronqué d’une époque qui n’a jamais vraiment existé.

R&F : Après Danger Mouse pour le premier album, c’est Tony Visconti qui coproduit celui-ci. Quel a été son rôle ? Damon Albarn : Disons qu’il a été là pour nous aider à tailler la route dans cette odyssée, à choisir et à rejeter, à développer les idées qu’on avait.

R&F : Vous considérez-vous comme un supergroup­e ? Paul Simonon : Tous les supergroup­es que je connais font de la musique de merde. Je nous vois plus comme des musiciens de jazz — bien qu’on ne soit pas des jazzmen — qui travaillen­t ensemble. Si on était un supergroup­e on aurait juste besoin de mettre nos nom : Damon Albarn ! Paul Simonon ! Tony Allen ! Simon Tong ! Supergroup­e c’est une étiquette ringarde qu’on colle à un projet démodé et ennuyeux. Damon Albarn : Le terme a des connotatio­ns très négatives depuis les années 1970 et 1980. J’ai grandi à cette époque, et les albums des supergroup­es n’étaient jamais super. C’est un terme qui ne rend pas justice à notre projet, ça fait penser à des musiciens qui veulent retrouver une gloire perdue alors que là, ça part d’une réelle amitié entre nous.

Demis Roussos en caftan

R&F : Tony, vous êtes l’aîné et le seul qui ne soit pas né en Grande-Bretagne. Quel a été votre rôle dans l’album ? Tony Allen : Quand vous construise­z une maison, il faut commencer par les fondations, le rythme. On a joué plusieurs fois ensemble pendant une semaine, puis on s’est revus pour faire autre chose, le temps que chacun trouve sa place. Comme disait Damon, ça prend du temps de faire un bon plat. Paul Simonon : Tony écoute la mélodie ou l’idée qu’on a eue, et il conçoit une rythmique à sa guise. Si, par hasard, on lui demande de la changer, il nous dit :“Non, je ne change rien”. Du coup, il faut trouver une autre ligne de basse ou une autre mélodie à la guitare. On doit respecter les aînés. Tony fait ce qu’il fait, point barre, on ne déconne pas avec ça. Soit tu quittes le groupe, soit tu as une autre idée pour faire avancer le morceau.

R&F : Comment définir la musique de TGTBATQ ? Paul Simonon : C’est dur à dire, déjà pour le premier album les radios avaient du mal... C’est une combinaiso­n de folk moderne et de dub. Il n’y pas trop de guitare rock’n’roll, mais les guitares de Simon sont fantastiqu­es, façon Joe Meek, dont j’adore les chansons, comme “Telstar” et “Johnny Remember Me”.

R&F : Une des curiosités du disque, c’est la mention du chanteur Demis Roussos sur le morceau “The Truce Of Twilight”, “And Demis Roussos playing ‘Forever’ on the waterslide”... Damon Albarn : Oui, on m’en parle beaucoup ! Il y avait un Roumain et son fils dans le centre commercial de Southend-On-Sea. Quand je suis passé devant eux, le père jouait de la batterie et le fils, qui devait avoir 14 ans et qui n’était pas à l’école bien qu’on soit un jour de semaine, chantait ce morceau, “Forever And Ever”. Alors j’ai imaginé Demis Roussos habillé en caftan, chantant avec son groupe devant le front de mer à Southend.

R&F : La blague préférée de Demis quand il allait au restaurant, c’était de prendre la carte et de dire au serveur : “Donnez-moi la page un, la page deux, la page trois, le café, le livre d’or et l’addition !” Damon Albarn : Ah, c’était un amoureux de la bouffe ? On n’est pas trop comme ça nous, n’est-ce pas Tony ? On n’est pas des vegans non plus, mais on aime les animaux, en Angleterre. En France aussi vous aimez les chiens, allez ! Les Allemands aussi, les Italiens, on aime tous nos fuckin’ dogs ! “The Truce Of Twilight” montre ce qu’on a en commun, pourquoi c’est important de ne pas se quitter. Moi, sinon, j’ai un chat qui s’appelle Fergie, j’ai plein de problèmes avec lui. Tony Allen : Il faut passer du temps avec ses animaux de compagnie, mec. Damon Albarn : Si on leur laisse le temps, ils sont étonnants. Ils vous parlent, vous savez. Tony Allen : Oui, ils lisent en vous.

R&F : Paul, au sein du Clash, vous avez très peu composé (“Guns Of Brixton” et “The Crooked Beat”). Vous étiez un peu le George Harrison du groupe... Paul Simonon : Je me suis toujours plutôt vu comme Stuart Sutcliffe. Au départ je voulais devenir peintre et, une fois teenager, j’ai décidé de me lancer dans la musique, alors j’ai appris la basse. J’apprends toujours. Ecrire une chanson est un exercice compliqué, comme écrire un livre. J’ai composé des chansons et peint des tableaux mais je suis très exigeant, et c’est difficile.

Notre Majesté

R&F : Vous avez amené votre goût du reggae sur l’album... Paul Simonon : C’est comme ça que je joue, c’est mon son. Si la chanson est punk je peux utiliser un médiator pour plus d’énergie, façon Ramones. Ça dépend du morceau. Mon style est plutôt reggae, mais avec, en plus, quelque chose d’autre. Je n’aurais jamais imaginé jouer une musique comme celle de ce nouvel album à mes débuts. C’est en rencontran­t Damon et en parlant de notre background, de notre enfance à Londres et de notre amour pour Anthony Newley (acteur et chanteur anglais) qu’on a développé cette idée incorporan­t des éléments de musique anglaise, jouée avec un Nigérian.

R&F : Au fait, vous êtes quatre mais le patronyme est “The Good, The Bad & The Queen”. Alors y a-t-il deux bons ? Deux méchants ? Ou deux reines ? Damon Albarn : C’est le bon, la brute, la reine et... un chat qui s’appelle Philbert ! Paul Simonon : En fait, ça dépend de notre humeur. Il peut y avoir deux bons, deux méchants et, bien sûr, Notre Majesté la reine d’Angleterre.

“Le vote contre l’Europe ne m’a pas plu”

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