Rock & Folk

JOHN GRANT

Drôle et lucide comme peuvent l’être les gens qui ont connu une vie de chaos, l’Américain mélange voix grave et synthétise­urs sur son quatrième album.

- Olivier Cachin

VOILA PLUS DE HUIT ANS QUE JOHN GRANT A QUITTE THE CZARS,

son groupe de rock alternatif fondé en 1994 à Denver. Sa carrière solo a débuté en 2010, avec l’étonnant “Queen Of Denmark”. Son quatrième album, “Love Is Magic”, part dans une tout autre direction musicale avec un son disco électro vintage. D’un rare éclectisme, Grant est aussi bien capable de coécrire une chanson avec Robbie Williams (“I Don’t Want To Hurt You”, incluse en 2016 sur l’album de Robbie “The Heavy Entertainm­ent Show”) que de discuter lors d’un festival littéraire avec Cosey Fanni Tutti, cofondatri­ce de Throbbing Gristle, autour de son autobiogra­phie “Art Sex Music”. John a d’ailleurs annoncé la sortie prochaine de sa propre bio, chez le prestigieu­x éditeur américain Little, Brown & Company. On a rencontré ce chanteur atypique, de passage à Paris pour évoquer ses diverses obsessions : les oiseaux, le fromage, les synthés analogique­s et les musiques de films d’horreur italiens.

Dans la ville ensoleillé­e

ROCK&FOLK : Sur la pochette de votre album, vous faites penser à un tricheur recouvert de goudron et de plumes comme on en voit dans les westerns. John Grant : J’ai cette obsession pour les oiseaux, d’où les plumes et la cage sur ma tête. On a pris la photo à Paris, le design est de Scott King dont j’ai aimé le travail avec Róisín Murphy. Je voulais un visuel impactant et, en plus, c’est un clin d’oeil à l’album “Gag” de Fad Gadget, un de mes artistes préférés. En ce moment j’écoute beaucoup sa chanson “Coitus Interruptu­s” (un titre de son premier album studio sorti en 1980, “Fireside Favorites”). Il est parti trop tôt mais il a laissé un héritage incroyable. J’aime les artistes prolifique­s, comme Rainer Werner Fassbinder qui a fait une quarantain­e de films en 18 ans de carrière. R&F : Une autre de vos obsessions semble être le fromage... John Grant : Oui, c’est vrai. Surtout ce fromage norvégien de couleur brune que j’évoque dans “Is He Strange?”. Et encore, je n’ai pas cité mon fromage favori, le saint-nectaire. Je dis toujours qu’il a le goût du mois d’octobre... R&F : Vous citez aussi un film italien gore de série Z réalisé par Antonio Margheriti, “Cannibal Apocalypse”. John Grant : J’adore les giallos et les films de cannibale, ils ont des bandes originales incroyable­s. Celle de “Cannibal Holocaust” par Riz Ortolani est géniale, un mix de grand orchestre et de synthés. J’écoute ça au casque en marchant dans la ville ensoleillé­e, ça transforme mon environnem­ent, c’est génial. R&F : Pourquoi cette couleur électro disco pour les musiques de “Love Is Magic” ? John Grant : Ça fait partie de mon ADN musical. J’ai choisi d’aller dans ce studio en Cornouaill­es, Meme Tune, et de travailler avec Benge, un gars qui a toutes sortes de synthétise­urs à l’ancienne comme le Moog C3, le ARP 2600 et le Yamaha CS-80 utilisé par Vangelis pour la BO de “Blade Runner”, qui coûte aujourd’hui autour de 20 000 euros et qui a une sonorité unique. J’ai voulu créer les sons avant les paroles, je ne voulais pas être confiné dans des structures pop classiques. R&F : Vous écoutez beaucoup de musique quand vous enregistre­z un album ? John Grant : Surtout des bandes originales de films, de la musique sans paroles. Là, j’écoutais non stop la compilatio­n “Psycho Morricone” et la BO de David Shire que Coppola n’a pas utilisée pour “Apocalypse Now”. C’est un score au synthétise­ur, terrifiant et très sombre.

Le contraire me rendrait malade

R&F : Est-ce que le succès commercial est important pour vous ? John Grant : Je ne suis pas capable de partir à la recherche du succès, je n’arrive pas à penser comme ça. Quand j’étais petit, je me forçais à correspond­re à ce que l’on attendait de moi ; je ne veux pas faire ça dans mon art. Je dois être moimême, le contraire me rendrait malade. Comme quand j’essayais de camoufler ma sexualité, de ne pas être gay pour ne pas heurter ma famille et mes amis... Ça ne marche jamais, on finit dépressif quand on essaie de dissimuler qui on est vraiment. En ce qui concerne ma musique, j’ai besoin d’être capable de faire exactement ce que je veux. RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN Album “Love Is Magic” (Bella Union/ Pias) En concert jeudi 22 novembre à la Gaité Lyrique (Paris)

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