REEDITIONS
Tout simplement, l’un des plus grands disques de rock
Jimi Hendrix “ELECTRIC LADYLAND 50TH ANNIVERSARY DELUXE EDITION” Legacy/ Sony Music
La plupart des gens rétifs à l’oeuvre d’Hendrix ne l’aiment pas pour de mauvaises raisons : ses nombreux, et si souvent médiocres imitateurs les ont dégoûtés à jamais des solos de guitare électrique, des Stratocaster (alors que ce fut l’engin de prédilection de Dick Dale dans un genre pourtant très différent), du blues, des power trios, de la guitare jouée avec les dents, on en passe et des meilleures. C’est le privilège et le grand désavantage des vrais inventeurs : ils marquent tellement leur temps que leur futur finit parfois par les desservir. Inventeur, Hendrix en était un, au même titre que les plus grands compétiteurs de son époque. Il venait du R&B et du blues ; il en a fait autre chose : de la dynamite. Un truc inédit. Et même ceux qui pensent ne pas pouvoir le supporter devraient pourtant bien admettre que “Electric Ladyland” est non seulement l’un des plus grands chefs-d’oeuvre des sixties, mais aussi, et tout simplement, l’un des plus grands disques de rock jamais enregistrés. Ce troisième et dernier album studio de Jimi Hendrix fête aujourd’hui ses 50 ans, et, comme le mois dernier, pour les Kinks de “Are The Village Green Preservation Society” ou ce mois-ci pour le Bob Dylan de “Blood On The Tracks”, le traitement est carrément hallucinant. Et ne s’adresse, comme d’habitude avec ce genre d’objet, qu’aux fans. Lesquels se délecteront du mastering, des trois CD et du Blu-ray (qui propose, outre le documentaire déjà publié “At Last... The Beginning : The Making Of Electric Ladyland”, une version 5.1 pour ceux qui ont l’équipement idoine et la version stéréo originale en 24-bit, 96kHz). Voici pour les audiophiles. Le reste est constitué de démos, de chutes, de prises alternatives ainsi que du merveilleux “Angel” (voir ce qu’en a fait Rod Stewart), et de “My Friend”, tous deux exclus de la version officielle. Cadeau ultime pour les fans, le “Live At The Hollywood Bowl” capté le 14 septembre 1968, connu des maniaques, sauf que cette fois-ci, le concert a été directement enregistré depuis la console. Enfin, arrive le beau livret attendu, et la pochette — moche et clairement sous-exposée signée Linda Eastman plus connue sous le nom de McCartney — souhaitée par Hendrix à l’époque mais rejetée par sa maison de disque qui choisit la tout aussi hideuse, mais plus marquante, version avec les bonnes femmes à poil (une autre, présentant son visage de profil avec un grain énorme, n’est guère plus réussie : décidemment, cette merveille n’a pas eu de chance en ce qui concerne ses visuels). Et puis, il reste l’album... Il faut accepter l’effort immense : l’écouter comme si c’était la première fois. “Electric Ladyland” a été majoritairement conçu en 1967, plus précisément entre juillet de cette année et janvier 1968. C’est-à-dire durant la grande année psychédélique. L’album, qui est double (c’était encore peu courant à l’époque) s’en ressent, et le ton est donné dès l’ouverture “...And The Gods Made Love”, immédiatement suivi d’un hommage manifeste à Curtis Mayfield, “Have You Ever Been (To Electric Ladyland)”. Et puis, arrivent les deux véritables entrées en matière : la furie de “Crosstown Traffic”, d’abord, comme de la soul super psychédélique et heavy, pleine d’idées géniales de production, et le manifeste blues de plus de 14 minutes “Voodoo Chile”, mètre étalon du blues électrique post-Chicago qui a engendré tous ces pénibles bâtards voulant rivaliser avec le maître. La suite ne débande pas (“Little Miss Strange” qui sonne comme les Who avec des guitares fluides, “Long Hot Summer”, hyper cool, le très funky “Gypsy Eyes”) mais brille particulièrement pour quelques perles majeures : le féerique et ultra psychédélique “Burning Of The Midnight Lamp”, l’expérience soul jazz de “Rainy Day, Dream Away”, la grande montée psyché tellement 1967 de “1983... (A Mermaid I Should Turn To Be)” (tout comme l’interlude “Moon, Turn The Tides... Gently Gently Away”), et le monument absolu de l’album, la reprise de “All Along The Watchtower”. Bob Dylan lui-même, pas très psychédélique, fut, paraît-il, sur le cul. Sidéré d’entendre ce que Hendrix avait fait de sa belle petite chanson folk : un engin tout en turbo, au moteur surgonflé, dévalant les autoroutes spatiales tous azimuts. Dieu sait que Dylan a été repris des milliers de fois, personne ne l’a transformé de telle manière. La version reste fascinante, avec ses castagnettes, sa guitare acoustique, sa guitare sonnant comme une slide, cette production tellement merveilleuse, ces effets sonores et l’utilisation inédite de la wahwah, ce solo dantesque avec ces progressions en octaves, sans doute son plus mémorable : c’est une perfection absolue. Que faire après cela ? Clore l’album avec “Voodoo Child (Slight Return)”, blues ruisselant de sueur, certes difficile à écouter tant il a été massacré depuis son invention par une armée de péquenauds sans scrupules, mais tout de même monumental, justement infiniment précieux car inégalable. Et c’est ainsi que l’on atteint, finalement, le sommet de cette pyramide psychédélique à laquelle ont participé Jack Casady (Jefferson Airplane), Brian Jones (Rolling Stones), Al Kooper, les Sweet Inspirations et Steve Winwood (Traffic). La messe était dite, il y a un demi-siècle, déjà.