Assassination Nation
Comment décrire avec tact cet objet cinématographique punk, destroy, politiquement engagé et à contre-courant total des blockbusters amidonnés ? Ce film de Sam Levinson (fils de Barry, réalisateur de “Rain Man”), recontextualise le fameux fait divers des sorcièresde Salem dans l’Amérique de 2018. Rappelons les faits en quelques lignes : en 1692, un mouvement de paranoïa intense coûte la vie à une vingtaine de femmes de tous âges, qui, injustement accusées de sorcellerie, sont pendues. Une affaire terrifiante, au débit d’une Amérique éprise de puritanisme décadent et de religiosité mal placée et qui inspira maints films dramatiques (comme “Les Sorcières De Salem” de Raymond Rouleau) ou horrifiques (le génial “Lords Of Salem” de Rob Zombie en passant par la saison 3 de “American Horror Story”). Une histoire traumatique tellement ancrée dans la mauvaise conscience collective américaine qu’en juillet 2017, les malheureuses victimes eurent (enfin) droit à un mea culpa tardif (325 ans, quand même) sous la forme d’une stèle comportant leurs noms et placée à l’endroit exact de leur exécution dans la ville de Salem, Massachusetts. Mais les mentalités ont-elles changé pour autant ? Surtout dans l’Amérique de ce cauchemar orangé de Trump, où armes à feu, racisme et attentats reprennent de plus belle. Adieu la compassion, bonjour la violence. C’est probablement ce qui a poussé Sam Levinson à repartir vers Salem pour dire que rien n’a vraiment changé... On suit le quotidien de quatre adolescentes dont les vies sont rythmées par les réseaux sociaux. Jusqu’au jour où leurs téléphones portables — puis ceux d’éminents personnages de la ville, le maire, le proviseur du lycée — sont piratés par un mystérieux hacker. Un déferlement de haine, de suspicion et de paranoïa s’abat alors sur la ville. Et, puisqu’il faut un coupable, c’est la jeune Lily, l’une des quatre ados, qui est visée. Elle devient la cible d’une populace qui pète les plombs tout en ne faisant plus la distinction entre bien et mal... Certes, le thème d’un quidam (ici une fille) poursuivi à tort par une ville entière a déjà donné quelques classiques du cinéma, comme “Furie” de Fritz Lang ou “Panique” de Julien Duvivier. Sauf que Levinson junior en fait une série B provo, sous influence de culture pop, rock et cinéphile. Que ce soit à travers les jeunes filles, clones des gangs d’adolescentes japonaises des années 70 (comme la superbe série des “Stray Cat Rock”, sortie récemment en DVD et Blu-ray chez Bach Films) jusqu’à l’utilisation du splitscreen (écran partagé en deux ou trois, technique popularisée par Abel Gance pour son “Napoléon”) jusqu’à une BO concoctée par Ian Hultquist, connu pour son groupe Passion Pit. Sans compter une dernière demi-heure apocalyptique, quand tous les habitants de Salem se déchaînent, à grand renfort de flingues, masques et armes blanches, comme dans la série démocrato-réac (on ne sait plus trop) des “American Nightmare”. Une folie ambiante qui se veut, également, une dénonciation carabinée et semi prophétique (puisque déjà en cours) d’un pays gangréné par les réseaux sociaux, les fake news, le harcèlement sexuel, l’homophobie, emprisonnant les consciences tout en annihilant l’individualité. Dans une gigantesque pagaille de séquences électrisantes, on passe sans sourciller du drame de moeurs au gore outrancier en passant par le rire libérateur et les scènes de violence urbaine. Comme le précise justement un des producteurs de“Assassinat ion Nation ”:“J’ adore que le film soit construit comme un film d’ horreur où le monstre s’ avère être Internet .”( en salles le 5 décembre)