Groupe rock et culte de la fin de l’Union soviétique
High Life
Claire Denis a pour habitude de faire des films assez immersifs sur les relations humaines tordues. Y compris quand elle transforme Béatrice Dalle en maîtresse cannibale sexuée et vorace dans “Trouble Every Day”, probablement son meilleur film. Mais, en envoyant Robert Pattison et Juliette Binoche se prendre la tête dans l’espace pour des expériences de reproduction, la cinéaste retombe un brin dans le train-train du fameux deux-pièces-cuisine du cinéma français. Essayant de s’approcher — mais de loin ! — de la science-fiction méta à la Kubrick (on y parle vaguement de trou noir), “High Life” s’évertue à rester les pieds sur terre en parlant de survie, de solitude et de relations incestueuses faussement choquantes. Avec le rythme lancinant d’un ancestral vinyle 78 tours passé en 16 tours. Problème de taille : le duo Pattison/ Binoche, aussi professionnel soit-il, ne fait passer ni compassion, ni émotion. Restent quelques beaux plans dont un, sublime, où des cadavres d’astronautes flottent dans l’espace (actuellementensalles).
Suspiria
On peut, à la limite, pardonner certains remakes médiocres de classiques du cinéma d’horreur des années 70. Car, les versions années 2000 de “La Malédiction”, “Fog” ou “Carrie”, au moins, ont été conçues par des passionnés du genre, mais probablement dépassés par les contraintes hollywoodiennes du moment. En revanche, “Suspiria”, version 2018, est impardonnable. Chaque seconde passant, le visiblement pédant réalisateur italien Luca Guadagnino semble vouloir offenser Dario Argento à tout prix. En faisant l’exact contraire de son chef-d’oeuvre ! “Suspiria”, version 1977, était un film coloré ; la nouvelle version est terne et cafardeuse. L’original balançait l’horreur à coup de tripes ; celui de 2018 s’autoréfléchit jusqu’à l’abstraction frimeuse. Le cru 1977 emmenait progressivement aux enfers ; le nouveau pousse le spectateur dans un ennui infernal. L’original durait 1 h 38 ; l’actuel comptabilise 2 h 32 (mais pourquoi donc ?). Pour le final, Guadagnino réussit, enfin, à égaler le maître. Hélas, celui du pire de toute sa filmographie ! A savoir “La Terza Madre”,
film où des sorcières kitsch, hanteuses de ballerines exécutaient un sabbat semblant sortir d’un mauvais spectacle du Châtelet. Mais chez Argento, au moins, ça restait sympathique ! (actuellementensalles)
Leto
En traitant de l’émergence de la scène rock en Russie au début des années 80, le cinéaste russe Kirill Serebrennikov joue la carte de la nostalgie, mais aussi celle d’un sentiment diffus de liberté recherchée. Car, c’est en écoutant des vinyles de Lou Reed et de David Bowie, qu’une bande de jeunes gens de Leningrad saisissent instruments et micro pour former Kino, groupe rock phare et culte de la fin de l’Union soviétique. De l’insouciante jeunesse à la maturité, du triangle amoureux à des rêves de vie utopique, le film, tourné dans un magnifique noir et blanc à la Anton Corbijn, est un chouette feelgood movie relativement politisé. Celui-ci n’a, du coup, pas été au goût de Vladimir Poutine qui, n’appréciant pas toujours les élans punk de son peuple, a interdit à son réalisateur de se pointer au dernier festival de Cannes (ou le film fut projeté), accusant ce dernier, semble-t-il à tort, pour une histoire de détournements de fonds publics( en salles le 5 décembre ).
Les Confins Du Monde
Drôle de carrière que celle de Guillaume Nicloux, capable de passer du polar glauque (“La Clef”), à la comédie libertaire (“Holiday”) en passant par le road trip étrange (“The End” avec Gérard Depardieu en roue libre dans les bois), le biopic catho (“La Religieuse” d’après Diderot) et le huis clos expérimental hilarant (“L’Enlèvement De Michel Houellebecq”). Avec “Les Confins Du Monde”, il réalise son meilleur film. Une sorte de mini-“Apocalypse Now” sur l’errance vengeresque d’un militaire français pendant la guerre d’Indochine. Gaspar Ulliel semble ainsi traîner son âme en deuil dans cette quête morbide, gore et existentialiste où l’ennemi, la plupart du temps invisible, est planqué dans une forêt vorace et vivante, quasiment une métaphore de la folie humaine. Voire de l’enfer. “Les Confins Du Monde” est certes nihiliste, mais aussi terriblement poétique. Du désespoir sublimé sur des sens atrophiés. Le film français du mois( en salles le 5 décembre ).