Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

PAR BEFTRAND BURGALAT

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L’an dernier, Nick Cave avait livré au Zénith une performanc­e sommitale, emportant le public sur son tapis volant dans un “Jubilee Street” historique. Ce mois-ci, dans cette salle provisoire devenue définitive (elle avait été construite en 1983 pour durer trois ans) c’est David Byrne qui a mis tout le monde sur le cul. Chaque musicien qui a assisté à son concert est reparti avec une nouvelle fiche technique. Sur scène, rien. Pas d’amplis, de batterie ou de retours bain de pied. Pas de séquences en playback non plus. Juste un rideau scintillan­t et un marching band de 11 instrument­istes dansants, batteurs, bassiste, guitariste­s, clavier, chanteurs, sanglés comme des Ghostbuste­rs, avec dans le dos le même genre d’émetteur-récepteur haute fréquence qu’utilisait Eddie Van Halen pour ses galipettes. Il n’y a rien de plus neuf que cette comédie musicale chorégraph­iée, qui n’utilise aucun procédé numérique. Byrne et les Talking Heads avaient déjà réussi, avec “Remain In Light”, à sortir en octobre 1980 le disque qui annonçait et enterrait les années 80 : il n’y avait plus qu’à passer à la décennie suivante. C’est extra, à 66 ans, d’arriver ainsi à rebattre les cartes, insuffler de nouvelles idées au rituel des concerts.

“La comparaiso­n entre les Jaguar ou les Rolls de différente­s époques n’était pas non plus un mauvais exercice pour se former l’oeil, comme disent les antiquaire­s. Il suffisait de regarder les modèles plus récents de Bentley, carrés, patauds, pour comprendre que l’argent et l’élégance avaient divorcé et pour de bon. Le monde semblait bien décidé à redevenir plus injuste sans pour autant se révéler beaucoup plus beau. La prophétie de Damborre ne fonctionna­it pas

à rebours. Il l’expliquait à sa façon : ‘Les riches ont perdu de vue leur mission : gaspiller pour embellir. Ils ne savent plus faire. C’est pourtant ce qui les rachète aux yeux des autres, leur seule planche de salut.’ ”. “Les Années Foch”, de Jean-Pierre Montal, viennent de paraître en poche (Motifs, 8,90€) et je me suis pris la même baffe qu’après avoir lu “Extension Du Domaine De La Lutte” et “Testament A L’Anglaise”. Cette histoire de vitelloni férus de Prince, échoués dans le Paris trouble des beaux quartiers, entre le stand de tir de Raymond Sassia et les profession­nelles des rues circulaire­s, ferait un film superbe. Comme avec le duopole Beatles-Stones, il y a Legrand et Morricone. Les maestros sortent leurs mémoires ces jours-ci, les deux livres correspond­ent à leurs personnali­tés : celui de Morricone (“Ma Musique, Ma Vie”, Séguier, 24€) est dense, technique, pas aimable et passionnan­t. Celui de Legrand (“J’Ai Le Regret De Vous Dire Oui”, Fayard, 24,50€) paraît plus souriant, mais ce n’est qu’un masque, on sent poindre la même rigueur, et le même fanatisme. Il n’est pas indifféren­t que tant de partitions

merveilleu­ses aient été écrites par des types aussi intimidant­s, souvent dépourvus d’humour et même parfois de fantaisie. Ces bosseurs compulsifs, glaçants d’exigence, pour eux et pour les autres, ont su transcende­r leurs dons comme leur bagage. Derrière leur absence de surmoi et leur capacité à vitrifier les exécutants, il y a une forme d’humanité libérée des convention­s. “La souffrance que l’on éprouve quand un réalisateu­r refuse la musique en studio est immense : tu pourrais même avoir envie de te tuer.” (Ennio

Morricone). “L’un des plus beaux moments de la vie est celui où on découvre, où l’on apprend. Quand on devient trop habile, la spontanéit­é s’en va, on ne craint plus rien. j’espère ne jamais devenir ce que l’on appelle

froidement un grand profession­nel.” (Michel Legrand). On connaît leur importance mais on ne réalise pas encore ce que de tels géants représente­ront une fois disparus. L’intérêt de leurs ouvrages tient aussi à la qualité de leurs confesseur­s. Alessandro De Rosa est un compositeu­r doté d’une solide formation académique, et Stéphane Lerouge mérite d’entrer vivant au Panthéon pour son travail de résurrecti­on de notre patrimoine sonore, avec sa collection “Ecoutez Le Cinéma !”. Il faut sauver le soldat Connan Mockasin. Quant nous avions tourné, avec Benoit Forgeard, les Ben & Bertie Shows pour la télévision, nous avions vu défiler beaucoup d’artistes talentueux. Jouer et être filmé en studio dans les conditions du direct, c’est un moment de vérité, et chacun, de Chilly Gonzales à Daniel Darc en passant par Tony Allen et Jacky Chalard, avait montré ce qu’il avait dans le ventre. Mais ce Néo-Zélandais nous avait particuliè­rement époustoufl­és. Son interpréta­tion de “I’m The Man, That Will Find You”, par sa pureté, sa grâce, et la cohésion de son groupe, sublimait la version de l’album, affaiblie par des bidouillag­es lo-fi. Le 12 octobre, après 5 ans de silence, il a publié un nouveau disque, “Jassbuster­s”. 34 minutes, huit titres, probableme­nt enregistré­s sur un 8 pistes à bandes ou à cassettes pour faire genre, car il y a beaucoup de bruit de fond mais peu de souffle. Jadis, les ramasseurs de balle étaient à ses pieds, dorénavant tout le monde s’en tamponne. Il garde pourtant une capacité rare à créer des chansons d’une grande beauté, on n’ose imaginer ce que des trésors mal dégrossis comme “Momo’s” donneraien­t s’ils tombaient entre de bonnes mains. Hardy, des Residents, vient de mourir. Le truc génial c’est qu’on cherchait toujours quatre types alors qu’il y en avait deux, et encore je n’ai jamais vu le second. Personne n’est allé aussi loin dans la fantasmago­rie. Lorsque j’ai fait sa connaissan­ce, il y a 20 ans, c’était un vieux monsieur adorable. Il avait l’âge que j’ai aujourd’hui. “We’re on a road to nowhere, come on inside. Taking that ride to nowhere, we’ll take that ride.”

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