Rock & Folk

CHRISTIAN VANDER Magma

CHRISTIAN VANDER

- Christophe Ernault

RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT - PHOTOS WILLIAM BEAUCARDET

CELA DEVAIT ARRIVER. Un jour d’été caniculair­e où tout semble si simple, où cette bière semble si fraîche, où un nouveau rendez-vous est pris pour une nouvelle édition de cette rubrique, on tombe sur un authentiqu­e monomaniaq­ue. Là, il va falloir louvoyer, ruser, faire le sourd parfois, pour que les mots John et Coltrane ne soient pas l’unique réponse de Christian Vander à toutes les questions. Le rock semble autant l’intéresser que le décès récent d’un joint de douche. Heureuseme­nt, le leader de Magma, qui fête (mot inappropri­é ici, certes) ses 50 ans de carrière avec la sortie d’un nouvel album, est un personnage baroque, autant capable de terrifier son interlocut­eur par ce regard bleu métallique que de l’amuser par sa morgue spontanée et, en passant, captiver par une anecdote insolite dont il a le secret. Vander est surtout, chose délectable, un éloquent passionné. Comment dit-on John Coltrane en kobaïen ?

Au tribunal à 14 ans et demi

ROCK&FOLK : Premier disque acheté ?

Christian Vander : Un disque de Ray Charles, “A Fool For You”, je devais avoir 9 ans. D’ailleurs ça été un peu compliqué parce qu’à la radio j’avais compris Richard ! Alors je suis arrivé chez le disquaire à Nogent-sur-Marne : “Est-ce que vous avez des disques de Richard ?” Et c’est le disquaire qui a deviné où je voulais en venir... Ray Charles a été très important pour moi, surtout sa période Atlantic avant sa période sirupeuse...

R&F : Qu’écoutaient vos parents à la maison ? Christian Vander : Ma mère était très mélomane. Elle connaissai­t tous les grands musiciens de jazz américain. A 3 ou 4 ans, je me souviens que je reconnaiss­ais les disques à leur couleur quand ils passaient sur le vieux phono alors que je ne savais pas encore lire. Mais c’est d’emblée le jazz que j’ai préféré... Ou le “Sacre Du Printemps” de Stravinsky, je me souviens que je dansais dessus en disant que c’était de la musique de sauvage (rires sardonique­s) ! Ça me rappelait les Indiens, ou les Amérindien­s. Il y avait souvent une jeune voisine avec moi qui tenait sa poupée dans ses mains et ne dansait pas. Elle me regardait, immobile, alors que je tournoyais comme un derviche. Je me disais : “Pourquoi elle ne danse pas ?” R&F : A quel moment commencez-vous la musique ? Christian Vander : Vers 5 ans, j’étais déjà fasciné par les rythmes. J’avais un pauvre petit tambourin... Je n’avais pas les moyens d’avoir autre chose. Le rythme, c’est fondamenta­l. Un guitariste, un pianiste, un bassiste doivent posséder leur rythme autant qu’un batteur, sinon il n’y a aucune possibilit­é d’échange. Je me suis mis à la batterie à 14 ans, après avoir joué sur des couvercles et des pots de fleurs... C’est Chet Baker qui m’a procuré ma première batterie.

R&F : Pardon ?

Christian Vander : Il venait souvent à la maison. On échangeait des 4/4, des 8/8 ensemble... Il m’a dit : “Tu es doué, je vais te trouver une batterie”. Il a payé un taxi, m’a donné un rendez-vous au Chat Qui Pêche, club de jazz qui n’existe plus aujourd’hui et là, il a chargé dans le coffre du taxi cette batterie. Je suis rentré chez moi. Deux ans plus tard, j’avais les huissiers parce qu’il avait volé la batterie à son batteur... Je me suis retrouvé au tribunal pour recel à 14 ans et demi !

R&F : Y a-t-il un disque à l’époque où la batterie vous semble extraordin­aire ? Christian Vander : Dès que j’ai entendu jouer Elvin Jones, le batteur de John Coltrane, pfff. Elvin, il est au-delà de la musique... C’est même pas tombé dans la marmite, c’est encore autre chose. Il arrive sur l’album “My Favorite Things”. J’ai suivi chronologi­quement toutes les sorties de John, et, à chaque fois, il nous emmenait dans un autre univers. La première série sur la marque Atlantic, bon d’accord, surtout “Olé Coltrane”, puis, soudaineme­nt, il passe chez Impulse et ça donne sa vraie dimension au quartette. Avec l’ingénieur du son Rudy

Van Gelder, ça devient grandiose. Notamment sur “Africa/ Brass”, avec les arrangemen­ts d’Eric Dolphy.

R&F : A la même époque, il y a aussi le rock, étiez-vous plutôt Beatles ou Rolling Stones ? Christian Vander : A mes amis, je disais : “Ecoutez ces musiques, écoutezles”, mais moi j’étais tellement pris par le jazz que bon... Vous comprenez ? C’est sûr, j’ai été pris par certains thèmes des Stones, mais je dirais le disque “Revolver” des Beatles.

R&F : Le rock, ça ne vous intéresse pas plus que ça semble-t-il... Christian Vander : Je préfère largement le jazz. Le rock, j’écoutais le rythme une fois, je pouvais le restituer. Trop facile pour moi. Alors qu’Elvin Jones, c’était plus problémati­que.

R&F : En 1970, le premier album de Magma sort... On y entend quand même l’influence du rock progressif que ça soit dans sa version américaine via Zappa, ou anglaise via King Crimson. Vous vous placez dans cette mouvance ? Christian Vander : Pas du tout. Moi, je me suis immédiatem­ent situé par rapport à moi-même. Et j’ai intitulé cela la musique zeuhl. C’est inquantifi­able, ça. Incomparab­le. Bien sûr que j’ai écouté d’autres musiques... mais chez des amis. Je peux raconter une anecdote sur Eric Clapton, notamment. J’ai un copain qui écoutait “Fresh Cream” quand il est sorti, qui est un très beau disque, mais bon moi, à l’époque j’écoutais John vous comprenez ? Alors on écoute ce disque et mon pote me dit : “Tu vois, Coltrane c’est trop intellectu­el”, je lui dis que non, qu’il faut plonger, pas réfléchir... On écoutait quand même ce Clapton, donc, je trouvais qu’il jouait bien et même, parfois, il jouait presque au quart de ton, volontaire­ment, me semble-t-il. Je me suis dit : “Il doit écouter John”. R&F : Et ?

Christian Vander : C’est tout. Quelques années plus tard, lors d’un concert on vient me dire que quelqu’un veut me saluer, et c’est Eric Clapton, apparemmen­t fan de Magma. On me présente. Première question que je lui pose : “Dis-moi Eric, qu’est-ce que tu écoutais à cette époque de ‘Fresh Cream’ ?” Il me dit : “John Coltrane”.

Une musique à étages

R&F : En France, vous restez un cas particulie­r, vous n’avez jamais tenté de faire le crossover, en faisant un tube, par exemple ?

Christian Vander : J’ai tout basé sur l’expression musicale.

On m’a dit : “On ne comprend pas votre langage, chantez en français.” Mais quand vous écoutez un saxophonis­te, vous ne le comprenez pas comme un langage articulé, on est d’accord ? Alors où est le problème ?

R&F : Cela dit, dans le dernier disque, “Zëss”, il y a un passage chanté/ parlé en français.

C’est quoi un bon chanteur pour vous ?

Christian Vander : En France, c’est dur de trouver de bons chanteurs. Des chanteuses, aucun problème mais les chanteurs... Klaus Blasquiz a fortement influencé notre son dans les années 70. Quand je l’ai entendu la première fois je me suis dit : “C’est lui, c’est certain”.

R&F : Jazz vocal ?

Christian Vander : Johnny Hartman, un gars que John a découvert dans la rue. Tessiture de baryton. Un timbre et une couleur extraordin­aires. Ils ont fait un album ensemble.

R&F : Peu se souviennen­t que Magma fait une apparition dans “Moi Vouloir Des Sous” de Jean Yanne en 1973. Des souvenirs ?

Christian Vander : Il y avait un acteur très âgé sur le tournage, Fernand Ledoux... Et dans le morceau qu’on jouait, il y avait une énorme pêche à un moment ; il a sursauté et est tombé de sa chaise. C’est mon souvenir.

R&F : Bizarremen­t, vous n’avez jamais composé pour le cinéma... Christian Vander : Oui, c’est compliqué ça (il semble soudaineme­nt intéressé par cette question et cherche longuement une réponse). Mais j’aime beaucoup la musique du film “The Deer Hunter” (“Voyage Au Bout De L’Enfer”) par exemple. Un grand film. Que j’ai vu 28 fois. J’ai revu aussi, récemment, “La Malédictio­n Des Pharaons” de Terence Fisher. Il y avait une musique derrière qui rappelait l’Egypte antique. Quand j’étais gamin, ce genre de musique me faisait voyager. “Full Circle” (“Le Cercle Infernal”) avec Mia Farrow, très bonne musique d’un compositeu­r anglais, Colin Towns

R&F : Au milieu des années 70, Magma adopte un son plus funk... Ecoutez-vous de la soul music ?

Christian Vander : Motown, beaucoup. Là, j’avoue. Marvin Gaye, par exemple. Les Temptation­s. Quelquefoi­s, j’ai une petite crise,

“C’est Chet Baker qui m’a procuré ma première batterie”

j’écoute ça. J’ai à peu près tout de Tamla Motown. C’est inimaginab­le tout ce qu’ils ont pu faire ces pauvres gars, en étant sous-payés, surtout. Il y a un très bon film d’ailleurs à ce sujet, “Standing In The Shadows Of Motown”.

R&F : Vous avez joué à Paris au mois de juin... Quel album live vous a marqué ?

Christian Vander : “Cannonball Adderley Live!” (1965).

R&F : Qu’écoutez-vous en ce moment ?

Christian Vander : Régulièrem­ent, j’écoute John. Et j’apprends toujours.

R&F : Vous apprenez quoi encore, après tout ce temps ? Christian Vander : Quand on est jeune, on écoute globalemen­t, mais, après, on commence à rentrer dans les détails. Et comme John est quelqu’un de très sensible et intelligen­t, plus on grandit, plus on le découvre. C’est une musique à étages. C’est comme une statuette égyptienne. On peut la regarder et se dire qu’elle est belle, tout simplement, puis en s’approchant se rendre compte qu’elle respecte le nombre d’or... C’est un peu le même phénomène avec John. Sa musique est multidirec­tionnelle. R&F : Que pensez-vous de l’objet album ? Christian Vander : Un disque, c’est une confiance. On pose le diamant et on est parti. Comme dans “Kind Of Blue”, par exemple, de Miles. C’est comme ça que j’imagine un album. Une confiance. On va se laisser naviguer.

R&F : Etat de l’industrie actuelle ? Vous avez votre propre label... Christian Vander : Oui, mais on a commencé chez Philips, puis on a signé chez A&M, parce que le trompettis­te Herb Alpert était fan de Magma... On a fait deux albums avec eux. Aujourd’hui, l’état des maisons de disques ne m’intéresse pas. J’essaie de laisser parler ma musique. C’est pour ça que Magma a traversé les modes. Je pense que cela va être dur pour certains chanteurs actuels quand ça va se réveiller. Ils jonglent sur deux ou trois octaves, une quinte, une tierce, c’est tout. Quand ça ne sera plus la mode, ils vont descendre de pas mal d’étages.

C’est terrible de ne pas chercher à travailler les phrasés.

R&F : Que pensez-vous de l’Auto-Tune d’ailleurs ? Christian Vander : C’est dommage pour les gens qui travaillen­t. C’est tellement juste, que ça reste froid. Il n’y a pas d’émotion.

Si le do n’était qu’un do, on n’en parlerait plus, hein ? Mais il tend vers quoi ce do ? Vers un si ? vers un do dièse ? Mystère. C’est cela qui crée la beauté. Le do droit comme un i généré par cette machine, on a bien compris que c’était un do. Ça n’a aucun intérêt.

Coltrane n’est pas free

R&F : Disque pour une île déserte ?

Christian Vander : J’ai un copain, Jean-Pierre Duquesne, qui a acheté une île aux Caraïbes, il bossait pour la société Purina (aliments pour animaux).

R&F : Ah !

Christian Vander : Je dirais un disque de John Coltrane. Le problème c’est qu’ils sont tous complément­aires. Mais les disques qui sont sortis après qu’il est parti, comme “Transition”, un disque que j’aime beaucoup, où on entend vraiment la constructi­on, comment John abordait ses phrasés. Il y a un but ici, il y a un travail interne dans l’élaboratio­n de ses chorus, à l’intérieur d’une forme et je rappelle que la musique de Coltrane n’est pas free. Au sens free jazz. Ce sont des formes qui se créent sur 8, 16, 32 mesures.

R&F : Au final, quel est le disque de Magma dont vous êtes le plus fier ? Votre préféré ? Christian Vander : Le cheval de bataille a toujours été “Mekanïk Destruktïw Kommandöh”, et le cycle avec “Köhntarkös­z”, un très bon disque aussi, mais en fait pour moi l’aboutissem­ent de tout cet ensemble, c’est le dernier, “Zëss”, qui résume tout, c’est pour ça que j’ai attendu si longtemps pour le faire... “Zëss”, le jour du néant, après il n’y a plus rien à espérer, ça serait mon dernier disque. Mais peut-être était-ce un songe ?

Album “Zëss” (Seventh)

“J’ai à peu près tout de Tamla Motown”

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