Rock & Folk

DYLAN LEBLANC

Ce songwriter du Sud américain modernise son art sur un “Renegade” remarquabl­e : un peu de revival FM assumé, beaucoup de chansons imparables. Tom Petty peut dormir en paix.

- Léonard Haddad

A UNE EPOQUE, 29 ans était un âge vénérable pour un musicien. Un âge que certaines idoles n’ont jamais atteint, un âge où les Beatles étaient déjà séparés et où un certain Dylan, Bob de son prénom, était en pleine traversée du désert. Mais à 29 ans, cet autre Dylan, LeBlanc de son nom de famille, est encore un jeune rocker, avec tout à construire. Ses trois premiers albums faisaient dans l’americana ouvragée, guitares acoustique­s élégantes, pedal steel aux petits oignons et cordes délicates ici et là, l’ensemble sous haut patronage du Neil Young baladin, celui des belles harmonies et de la section rythmique poum-tchak de l’époque “Harvest”. Sur “Pauper Fields” (2010), il y avait même la voix d’Emmylou Harris dans un coin, histoire de tamponner l’ensemble d’un certificat de raffinemen­t et de bon goût. Mais un bon goût sans trop d’importance ni de nécessité, comme un Jason Isbell qui n’aurait pas eu la chance d’être tout à fait Jason Isbell.

Loin du cliché

Mais Dylan LeBlanc vaut mieux que ça. Tout chez lui respire l’authentici­té, un fantasme de mauvais garçon sudiste à guitare, dont les mélodies douces et le coeur tendre ne faisaient que cacher jusqu’ici la peau dure, et les errances qui vont avec, lui qui a grandi entre Muscle Shoals et la Nouvelle-Orléans. On évoque nos fantasmes, il répond sur sa réalité. “Bah, ce truc de l’Amérique profonde... c’est une chose de l’idéaliser de l’extérieur, et une autre de baigner dans son jus, croyez-moi.” Rock&Folk lui parle

par téléphone, à mi-chemin entre la sortie du nouveau disque, “Renegade”, au titre bravache comme une accolade à Tom Petty (“Rebels”, “Refugee”, “Renegade”, voilà qui ferait une bonne trilogie de southern pop) et sa venue à Paris, le 28 août, pour un concert aux Etoiles qu’il promet “très loin du cliché du show du jeudi soir, où un mec poli vient chanter ses chansons, armé de sa guitare et de sa bonne volonté. Non, nous, on va venir proposer une vraie expérience rock’n’roll. Il y aura de la sueur, sur la scène et dans la salle. Garanti.” Entre “Cautionary Tale” (bel album précédent) et “Renegade”, il y a eu trois ans et une prise de conscience, le recrutemen­t d’un groupe (The Pollies) et d’un producteur, Dave Cobb, qui a “décrété d’emblée deux ou trois règles du jeu : pas de piano, pas d’orgue, que des synthés analogique­s, plus un maximum de reverb sur les guitares et un vieux préampli Fairchild pour les faire passer dedans.” Dylan a accepté le deal de sa propre réinventio­n (“Born Again”, somptueux second titre), armé d’une poignée de chansons plus énergiques, plus tendues, mais non moins splendides. Là où “Cautionary Tale” sonnait comme une promenade à Topanga Canyon en décapotabl­e, “Renegade” peut faire penser à War On Drugs, en moins esthète, davantage retour aux sources. Le disque porte en étendard ses références fin seventies/ début eighties, quelque part entre “Rumours” (Fleetwood Mac), “Southern Accents” (Petty) et le Gene Clark tardif, celui de “McGuinn-Clark-Hillman” et du groupe CRY. Au bout du fil, LeBlanc apprécie qu’on lui parle de son “membre favori des Byrds” et se montre surpris de ce soudain intérêt venu de France (premier concert en vedette, première interview pour un magazine hexagonal). Sa théorie ? “Les gens de chez vous préfèrent quand la musique bouge un peu.” Pas sûr d’être d’accord : les gens de chez nous sont surtout fascinés par le rock américain qui “baigne dans son jus”, comme il dit. Celui qui sonne vrai.

La vérité chez un homme

Sur ce plan, il y a la voix, qui ne trompe pas. Haut perchée, mélodieuse mais blessée, comme la plainte d’un coyote une patte prise dans un piège à loup, il l’a “développée, au fil de centaines d’heures de concerts. D’un disque à l’autre, je crois qu’elle définit une personnali­té, quelque chose qui fait que c’est immanquabl­ement moi, quel que soit le style choisi.” Cette voix est chargée de vécu, d’une éducation religieuse aliénante, d’une culture abusive, de trop de mauvais alcool, de mauvaises rencontres et de mauvaises ruptures. “Sur mes disques précédents, la douceur des chansons était là pour apaiser la douleur. Cette fois, je l’exorcise d’une autre manière, plus cathartiqu­e, mais cette douleur est toujours là, bien ancrée, et il est normal qu’elle s’entende. Il y a deux choses qui disent toujours la vérité chez un homme : son regard et sa façon de chanter.”

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