Rock & Folk

THE STOOGES

Comment quatre sauvageons du Midwest ont sans le savoir pulvérisé les utopies sixties ? C’est l’histoire du premier album du groupe des frères Asheton, sorti il y a cinquante ans.

- Vincent Hanon

IL ETAIT UNE FOIS... A DETROIT. An 1967, peace and love et flower power éclairent de leurs couleurs bigarrées l’Amérique du Nord... L’été de l’amour n’est pourtant pas passé partout aux Etats-Unis. Avec les violentes émeutes que connaît la Motor City, il est alors plus judicieux de parler d’été de la haine. Pas marrant, ni loin de là, surgit au même moment dans la ville universita­ire d’Ann Arbor un groupe composé de quatre personnali­tés extravagan­tes, comme seul en produit, en ces jours sombres, le Michigan.

Perruque afro en aluminium

A sa tête, mais moins que plus tard, James Newell Osterberg Jr a d’abord commencé par jouer de la batterie avec les Iguanas et les Prime Movers, puis est parti à Chicago pratiquer le blues sous la tutelle de Sam Lay, batteur pour Chess Records et de Paul Butterfiel­d Blues Band, avant de revenir à Detroit sous le nom d’Iggy Pop. Il se marie mais, réalisant que cette union trop confortabl­e représente une menace pour sa musique, divorce l’année suivante. C’est au magasin de disques où il bosse qu’il rencontre Ron Asheton, son frère Scott et Dave Alexander, une belle bande de délinquant­s juvéniles. Le quartette partage vite une maison commune, la Fun House, répète laborieuse­ment mais d’arrache-pied et donne son premier concert à une fête d’Halloween, avant de se forger rapidement une réputation scénique avant-gardiste à l’aide d’un son différent. Une musique pop conceptuel­le bizarre, libératric­e, et dangereuse­ment nihiliste, où suinte l’aliénation industriel­le des Big Three (General Motors, Ford et Chrysler). Les Stooges jouent régulièrem­ent au Grande Ballroom aux côtés de leurs grands frères de MC5, mais aussi d’autres fantastiqu­es groupes de Detroit comme The Rationals, SRC, Amboy Dukes. Sur scène, le chanteur au visage peinturlur­é de maquillage blanc, coiffé d’une perruque afro en aluminium, habillé d’une robe de maternité avec des chaussures de golf, se révèle aussi imprévisib­le que scandaleux. Iggy sort des sons expériment­aux d’un aspirateur, se couvre de beurre de cacahuète, se roule dans le verre brisé et invente, à force de plonger dans le public, ce qu’on appellera le stage diving. “Comme un babouin sur le point de combattre”, expliquera-t-il plus tard dans le film “Gimme Danger”. Drôle d’animal. Même si le chanteur des Stooges est loin d’être un simple ersatz de Jim Morrison, l’Iguane ne s’est jamais caché d’avoir été influencé par le jeu de scène outrancier du Lizard King. C’est pourtant plus du côté de James Brown que James Osterberg lorgne alors. Vocalement, difficile aussi de nier l’impact qu’a eu Mick Jagger, dont Iggy Stooge accentue à ses débuts chaque mimique. Inspirés par la new black music, les frères Asheton croient aux vertus de la transe musicale et ne voient pas encore trop l’intérêt de composer des chansons avec un début, un milieu et une fin. Scott, le batteur, est du genre intimidant et taciturne. Surnommé Rock Action, ce beau gosse torturé tape avec autorité, et dégage derrière ses fûts le même magnétisme qu’Elvis Presley. Ron, le guitariste, écrit tous les riffs. Derrière ses lunettes fumées, il reconnaît un penchant pour les uniformes nazis, sans bien sûr embrasser une seconde la philosophi­e du Troisième Reich. Dave Alexander, le bassiste, est adepte de la macrobioti­que et a un net penchant pour la bouteille. A la ville, les quatre amis fument aussi beaucoup de hasch, courent les jupons et prennent du LSD. Influencé par Jimi Hendrix et les Who, inspiré par la musique bouddhiste, Harry Partch et les chants grégoriens, mais encore trop limité dans ses capacités d’action pour sonner comme les Rolling Stones, le groupe s’appelle The Psychedeli­c Stooges, en référence à la série télévisée “The Three Stooges”. Ron Asheton demande l’autorisati­on d’utiliser le nom aux comédiens Larry Fine et Moe Howard. Ce dernier répond que peu lui importe tant qu’il ne s’agit pas d’un trio comique. Ça ne sera pas le cas : ces Stooges-là sont quatre et ne font pas de cinéma. Sur les conseils du manager visionnair­e Danny Fields, dépêché de New York en septembre 1968 pour assister à une prestation du groupe qui joue avec MC5 lors d’un concert hommage à John Coltrane, Elektra Records signe les deux chaudes attraction­s de la capitale de l’automobile américaine. En 1969, Jac Holzman, le boss du label, propose aux Stooges de venir à New York, leur file une avance princière de 25 000 $ et leur demande de combien de chansons ils disposent. Bravache, la formation qui n’a qu’un maigre répertoire prétend avoir de quoi remplir un album entier. Elle écrira trois ou quatre chansons au Chelsea Hotel deux jours avant l’enregistre­ment. Tout semble possible avec les Stooges.

Glorieuse sincérité

A l’époque, personne n’ose imaginer une seconde que le disque qu’ils s’apprêtent à enregistre­r deviendra l’un de ces albums qui changent la vie. Mais l’onde de choc se fera sentir des années après 1969, et même bien au-delà de la dissolutio­n du groupe en 1973. Grâce à leur glorieuse sincérité, les chansons antisocial­es des Stooges se répandent telle une traînée de poudre dans le futur. “No Fun”, d’abord revisitée par les Sex Pistols, ou “I Wanna Be Your Dog”, que le groupe reprendra deux fois par soir lors de la réunion du groupe entre 2003 et 2016, marquent de leur empreinte de nouvelles génération­s de rebelles, bras cassés et laissés pour compte à travers toute la planète. Dans les garages, en France, Angleterre, Suède, Australie, Japon, Amérique du Sud, et bien sûr du Nord, le groupe génère autant de vocations qu’il rencontra d’indifféren­ce, voire d’hostilité, au moment de son existence. Cinquante ans plus tard, il n’y a toujours pas de film biographiq­ue sur le groupe. On a eu droit à “Velvet Goldmine” en 1998 avec ce Curt Wild largement inspiré d’Iggy, ainsi qu’au récent documentai­re de Jim Jarmusch, et c’est tant mieux. Pas assez caricatura­le pour les canons hollywoodi­ens, l’histoire reste trop chaotique et extrême pour un autre biopic. Quand il s’agit de dirt, c’est toujours là que ça se passe.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France