Rock & Folk

LES RITA MITSOUKO

- Jérôme Soligny

“Le rêve des Rita, au départ, c’était de faire un disque aussi fin que ‘Ziggy Stardust’ ”

Qui, en France, a traversé les années 80 avec une telle grâce déglinguée ? 12 ans après la fin de la fête, retour sur l’oeuvre excentriqu­e et tubesque de Fred Chichin et Catherine Ringer.

PAR OU COMMENCER ? Par un malentendu qu’il faut désamorcer. Dans les Rita Mitsouko, Fred Chichin n’était pas le musicien et Catherine Ringer n’était pas la parolière. Ils étaient, chacun, les deux à la fois. Elle a joué sur tous les disques, allumé des mélodies de forêt. Fred mettait son nez partout, et donc dans les textes. Pour le reste de la genèse, tout a déjà été dit. Fred, fugueur, squatteur, taulard, rocker de l’ombre dans les années 70, Catherine, fugueuse aussi, attirée par le hors norme, théâtreuse pour voir, chanteuse pour qu’on l’entende, actrice rose parce que, Piaf en savait quelque chose, la vie ne l’est pas toujours. La rencontre à Montreuil, l’étincelle tout de suite. Paris brûle, merci pour lui. Le look pas comme celui des autres, Clouseau Musique et donc Virgin, la rue de Belleville. La lune dans le caniveau. Véridique. On y était. Une vraie carrière qui commence. Des tubes aussi, mastoc au début d’un parcours un peu en dents de scie quand même, parce que les gros médias les aiment sans les comprendre, parfois l’inverse. Même Gainsbarre va s’en prendre à Catherine. La réédition massive de leur oeuvre est prétexte à s’épancher sur leur cas, sur leurs disques. Avec la complicité de Tony Visconti, Russell Mael et Mark Plati. Champagne !

“Rita Mitsouko” (1984)

Le plus dingue à l’écoute de ce premier album, c’est ce qu’il confirme : le temps n’a aucune emprise sur Catherine Ringer. Comme toutes les personnes qui croisent leur visage dans la glace plus ou moins régulièrem­ent, elle dirait le contraire, mais les textes de “Restez Avec Moi”, “Jalousie” ou “La Fille Venue Du froid”, pour ne citer que les trois premières chansons, Catherine aurait pu les écrire hier et même les balancer dans une discussion, au cours d’un repas, ou à quelqu’un dans le métro. Car bien sûr, aujourd’hui comme depuis toujours, c’est son mode de transport. Peut-être pas favori, mais elle n’a rien contre. Car il permet de voir les gens, d’aller à leur rencontre. En choisissan­t, en 1984, d’aller finaliser ce qu’ils avaient enregistré dans leur coin chez Connie Plank, le sorcier teuton qui, dix ans plus tôt avait accueilli Kraftwerk pour “Autobahn” (et sacrément mis le feu au goudron), Fred Chichin et sa douce n’ont pas agi autrement : ils ont estimé que ce bidouilleu­r étranger, aussi génial qu’allumé, serait en mesure de comprendre la tempête sous leur crâne ou plus exactement, de les aider à l’en faire sortir. En y ajoutant une bonne dose de lui-même, car Plank ne savait pas agir autrement. L’ouverture, c’est toujours une preuve d’intelligen­ce et de lucidité. Fondu déchaîné du rock, Fred aurait pu se sentir apte à tout faire. Mais pour les Rita, ça ne date donc pas d’hier, créer signifiait aussi partager. Avec les autres et entre eux. Ici, maniement des boîtes à rythmes compris, ils jouent tout : les guitares, la basse, les synthés d’autrefois et même du tambourin. Forcément, plus de trois décennies après, “Marcia Baïla”, l’hommage énergique à la prof de danse de Catherine qui, un an après la sortie de l’album, a cartonné gros comme ça, a tendance à occulter le reste. Mais il vaut le détour et pas seulement à cause de l’inclusion (sur le CD, en 1987) des singles qui ont précédé sa sortie, dont le superbe “Don’t Forget The Nite”.

“The No Comprendo” (1986)

On les sentait venir, dès le 33 tours précédent, sans même avoir besoin de tendre l’oreille. Certaines guitares ne trompaient pas, notamment celles directemen­t inspirées du jeu de Marc Bolan. Tôt ou tard, frotter leur musique à Tony Visconti, producteur américain de T Rex, alors tenancier d’un studio londonien, allait sembler naturel. Après tout, Visconti avait été un des équipiers de David Bowie et, à Rock&Folk, en 2000, Catherine allait confier : “Le rêve des Rita, au départ, c’était de faire un disque aussi fin que ‘Ziggy Stardust’ ”. C’est donc à Good Earth sur Dean Street, à partir de leurs bandes remplies à la maison, que Visconti va s’impliquer au point que le duo, le temps d’y mettre un peu d’ordre sans nuire à sa folie, sera une sorte de trio (enrichi de quelques visiteurs parmi lesquels le percussion­niste venu d’ailleurs, Luís Jardim). Les trois vont donc jouer, chanter (ces choeurs...) et surtout Tony, l’homme derrière “Hot Love”, “Children Of The Revolution”, “Heroes” et “Ashes To Ashes” va faire des tubes de prestige de “Les Histoires D’A”, “Andy” (également déclinée en anglais) et “C’est Comme Ça”. Dégoupillé­es à la suite en ouverture, ces trois-là avaient la teneur de l’ordinaire de l’ItaloAmeri­cain, qui n’a eu qu’à raffiner un poil pour en extraire la moelle pop. Encore un peu new wave, glam discoïde, funk comme ce blanc-bec de Fred savait le jouer, et un brin expériment­al, “The No Comprendo” va être pigé par tout le monde, presse et public. Bien sûr Jean-Baptiste Mondino et Philippe Gautier, clippeurs au vent des eighties en poupe, seront pour beaucoup dans cette belle unanimité, mais surtout parce qu’ils sauront filmer Fred (les deux Dupondt à lui tout seul) et contenir Catherine, grouillant­e comme un essaim de tarentules, dans leur cadre.

Encore un peu new wave, glam discoïde et un brin expériment­al, “The No Comprendo” va être pigé par tout le monde

“Marc & Robert” (1988)

Avant les meilleurs de la French touch, le groupe français le plus exportable (sans tricherie institutio­nnelle ou magouille bureaucrat­ique...), c’était les Rita. Leur maison de disques a tout mis en oeuvre pour que ça se sache et les Anglo-Saxons ne s’y sont jamais trompés. Ceux que le duo a sollicités pendant sa trop courte carrière ne se sont pas fait prier pour être de la fête. Malgré son titre franchouil­lard, “Marc et Robert”, coproduit par Visconti, s’était ouvert à Sparks, notamment auteurscom­positeurs d’une de ses temps forts : la scie musicale (en anglais et parue en single) “Singing In The Shower”. Mais surtout, pour courtiser au-delà des mers, l’idée de faire appel à un remixeur branchouil­le du moment avait été jetée comme une bouteille. Au bout du compte, Jesse Johnson, musicien qui avait sévi dans l’entourage de Prince (ex-guitariste de The Time, le groupe de Morris Day, un vrai proche du génie pourpre) a tripoté quelques titres de l’album, mais pas “Mandolino City” ni “Le Petit Train” (qui les emmènera en Inde...), les deux autres singles auxquels on l’associe le plus souvent et à raison. Le premier a été cocomposé par Mondino et l’autre, déjanté comme pas deux, est un de ceux qui ressemblai­ent vraiment au groupe découvert grâce à “Marcia Baïla”. Si “Marc Et Robert” pèche, c’est du côté de ses sonorités clinquante­s, de boîtes à rythmes surtout, typiques de la décennie. Forcément, elles tirent certaines compositio­ns, non pas vers le bas, mais vers un temps qui échappe aux moins de trente ans... A ce stade, les Rita allaient extraire de leur système l’album de remixes “Re”, un best of étiré en somme, avec de chouettes passages (réalisés par William Orbit ou Fat Freddy) et une relecture, pas nécessaire, de “Don’t Forget The Nite”.

“Système D” (1993)

Ça devait arriver. Au début de la nouvelle décennie, Fred et Catherine s’estiment aptes à voler de leurs propres nageoires et produisent seuls ce quatrième album. Il faut savoir qu’ils ont pris de l’assurance. Elle, en chantant avec Marc Lavoine l’inattendue et réussie “Qu’est-ce Que T’es Belle”, lui, en continuant de s’intéresser aux bons sons et aux techniques qui y mènent. Et c’est le point fort de “Système D”, comme débrouille, dont l’accent n’est mis sur aucun travers. Certes, il y a du synthé, mais un vrai batteur. Des scratches, mais de la guitare sèche. Certains lui reprochero­nt son manque de singles potentiels, mais les Rita, obligés de l’assumer et de faire avec, deviennent un groupe à albums. Dans ce “Système D” en partie mis en boîte au Maroc, ils retournent au rock (“Elevator” et son solo roxiesque), revisitent une face B de 45 tours du premier album (“La Steppe”), citent Gainsbourg (“L’Hôtel Particulie­r”), rendent hommage à James Brown (“Godfather Of Soul”) et invitent Iggy Pop à en pousser une petite (“My Love Is Bad”), pas la meilleure. Rarement mises en avant, les trois chansons qui terminent l’album (“Chères Petites”, “La Belle Vie” et “Modern Baleine”), sans annoncer la suite, laissent entendre que la maturité, pour eux, passera par davantage d’authentici­té, la vérité après feus les artifices. Premier album pour Delabel en 1996, “Acoustique­s”, captation live aux allures d’Unplugged de luxe abondera dans ce sens. A noter, dans les images de cette émission de M6 qui traînent sur YouTube, la présence de Princess Erika et Doc Gynéco, et le regard de Chichin lorsque Catherine fait sa Ringer. Du beau partout.

“Cool Frénésie” (2000)

Et soudain, la charrue avant les beaufs, leurs goûts à eux avant ceux du public. C’est décidé et pas autrement. En 2000, ça fait plus de quinze ans que le couple de la pop brocantée et du rock de chiffonnie­r maintient le cap en ayant pris soin, avant de quitter le port, de scier le gouvernail. Delabel n’est pas là pour perdre du fric, mais ne pense pas qu’à ça. Ça va faire la différence. Sur “Cool Frénésie”, soyons sympa, il y a au moins trois morceaux de trop. On le sait, on a les titres. Mais qu’importe, les bons comptent double. A commencer par “Dis-Moi Des Mots”, au texte coécrit par Jean Néplin, le copain d’avant et de toujours qui avait monté Fassbinder avec Fred à l’époque où les punks avaient des dents. Pas dégueu non plus, la chanson-titre ou l’art d’en faire des caisses avec pas grand-chose (une basse disco, simple comme Donna Summer) ce qui vaut toujours mieux que le contraire. Limite réaliste, “Toi & Moi & Elle” fait dans l’electro-valse, tandis que “Gripshitri­der In Paris” tire profit d’un gros méchant loop que Catherine chevauche à cru en dégorgeant une mélodie entre spoken word et vertige des cimes. Si elles tombent là-dessus, les expertes de la vocalise d’aujourd’hui

Dans “Système D”, ils citent Gainsbourg, rendent hommage à James Brown et invitent Iggy Pop

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