Rock & Folk

FANTAISIES MILITAIRES

Des blousons d’aviateurs de Cream aux vestes d’Irish Guard des Libertines, les vêtements de l’armée ont investi le monde a priori peu militarist­e du rock. Revue des troupes.

- Patrick Eudeline

J’AVAIS ACHETE CA AU CARREAU DU TEMPLE. ON TROUVAIT TOUT LA-BAS, DE LA FAUSSE WESTON AU TRENCH-COAT. Une veste d’officier confédéré ! Bleu pétrole évidemment, col Mao, cintrée comme il se doit et fermée par dix-huit merveilleu­x boutons dorés. C’était la rentrée 1967. La veste militaire était un must. Dolmans, brandebour­gs, fourragère­s, galons or et tresses, ou chic confédéré... Chaque matin, je la cachais dans mon cartable (enfin, ma besace américaine en toile kaki), avec les boots cerise, les lunettes McGuinn et le gros ceinturon marocain. Et j’enfilais ça en hâte, dans une entrée d’immeuble, avant d’aller au collège Stanislas. Chaque matin, les élèves étaient réunis en rangs d’oignon pour l’appel. Et le surgé passait dans les rangs afin de vérifier la longueur des cheveux (que nous planquions derrière les oreilles et sous le col) “Eudeline ! Fermez moi cette veste ! — Je ne peux pas, monsieur ! Les Sudistes ont perdu la guerre !” Réponse absurde, mais, sur le moment, c’est ce qui m’est venu.

“Vous ne rentrerez pas avant que cette veste soit fermée. Eudeline ! Sortez du rang !” Vous ai-je précisé que c’était le plein hiver ? Evidemment, j’ai refusé.

J’ai gardé la veste ouverte. En fait, elle était tellement cintrée que j’aurais eu grand mal à la fermer...

Cela a duré une heure. Oh ! bien sûr, les élèves et les fortes têtes me soutenaien­t moralement... Mais enfin, ça caillait sévère. C’est le prof de français qui nous a sortis de cette impasse. Il m’aimait bien : j’avais lu un ou deux trucs, même à ce tendre âge.

Militaria ! L’élégance masculine doit beaucoup aux militaires. Après tout, il convient qu’un soldat soit élégant pour impression­ner l’ennemi. Et faire rêver sur son passage.

Les tissus et coupes se doivent d’être de bonne facture. Et puis, surtout, les hommes — enfin les vrais, les rêveurs — restent toute leur vie des enfants. Qui rêvent, donc, de chevaliers en bottes et capes, de poignets mousquetai­res et de col officier. D’une vie qui soit, justement, un peu plus qu’une vie. Une aventure. Comme dans Blek le Roc, tiens ! Le rock, évidemment, est par définition le royaume de Peter Pan et du déguisemen­t. Il y eut des précédents, les existentia­listes aimaient les chemises militaires et les vestes de treillis (comme Boris Vian). Cela se trouvait pour trois fois rien dans les surplus américains et les puces. Mais la frime rock a toujours flirté avec le chic guerrier. Le rock est un combat, n’est-il pas ? Et d’ailleurs, on ne le sait souvent pas. Ces manteaux raglan, croisés, en gabardine bleue si à la mode chez les minets, qu’on portait taille enfant, avec la ceinture en martingale ? Marine anglaise ! Militaria ! Comme les cabans, les crombies (le manteau par excellence. Sinon, monsieur Crombie inventa le bleu pétrole porté par les confédérés, qu’il habillait... ), les trench, Aquascutum, jusqu’aux Zippo et lunettes aviateur. Et la chemise militaire constellée de patches que porte si bien Pete Townshend ? Bientôt — 1970 — elle sera partout, inspirera Saint Laurent et les autres. Comme la saharienne (Indes et Afrikakorp­s ). Quant aux beatniks, leurs treillis, pataugas et bottes allemandes parlent d’eux-même. Tenues de baroudeurs. Plus la jeunesse devient antimilita­riste, plus le style militaire se développe. Façon retour de Vietnam pour les beatniks et premiers babas, panoplies d’uniformes pour les élégants. Dès l’année 1967, le rock devient un théâtre absolu où l’on se réinvente. Bottes de cheval, col Danton, jabot, capes, épaulettes, moustaches de grognard... Ne manque que le cheval justement. Et encore, les Beatles, toujours en 1967, n’hésiteront pas à monter de fiers équidés dans le clip de “Penny Lane”. Clapton, Hendrix et le Sgt. Pepper mènent la danse et le style. Keith Richards ose une veste d’officier nazi sur la pochette de “Have You Seen Your Mother, Baby, Standing In The Shadow?”, sans que personne ne s’en émeuve (et qu’il voudra porter à nouveau au mariage de Mick et Bianca. Le chanteur le supplia de s’abstenir). Cela fait, oui, moins de buzz que la sauvage photo de Brian Jones en pure regalia Waffen-SS, écrasant une poupée de son pied botté. C’était une idée d’Anita, alors en pleine vague sataniste. Les Cream, déjà, avaient choisi le flight jacket et la militaria, dès la rentrée 1966. Tout cela se trouve aux puces de Notting Hill, bien sûr, ou chez les antiquaire­s... mais surtout chez I Was Lord Kitchener’s Valet.

La veste de hussard de Jimi Hendrix, celles de Clapton. L’enseigne deviendra carrément une chaîne avec ses succursale­s. En France, on trouve tout cela aux puces, chez Delaveine, ou, donc, au Carreau du Temple... Pussy Cat me bouleverse en apparaissa­nt chez Albert Raisner derrière une batterie, vêtue d’une merveilleu­se veste de la marine américaine, bouclée comme une Driscoll et déroulant son impeccable “Ce N’Est Pas Une Vie”. Le militaire est alors si chic que

le général de Gaulle, recevant Brigitte Bardot, ne trouvera que ces mots : “Oh le joli petit soldat !” Les soldats d’apparat, souvent, arborent une redingote Régence velours prune, avec le col Danton. Comme cela se vend chez Granny et Dandy Fashion. Avec des bottes chevalière­s, c’est du dernier chic, comme les VIP’s au Palais des Sports. Tout cela fait sens.

Bientôt, le militantis­me se développan­t, le style devient guevariste : c’est l’élégance à la Lennon période “Imagine”, l’influence, sans doute, des Black Panthers. Le kaki est in, le kaki est partout et il envahit les boutiques mode. On lance les ceintures cartouchiè­res. Nathalie Delon en arbore. Comme Gérard Palaprat, Yves Saint Laurent (encore !) ou Michel Sardou. Dans “Taxi Driver”, De Niro arbore l’iconique veste M65. Même le Johnny Hallyday de “Essayez” se sape pour la lutte, Gainsbourg est en chemise à épaulettes. 1970 est guerilla chic. Tout cela se calme avec le glam. Jusqu’au punk rock, évidemment. Clash, au Palais des Glaces, semble réaliser le rêve humide de Jean-Jacques Schuhl dans “Rose Poussière” : les Londoniens sont comme une armée en marche, avec leurs slogans situationn­istes au pochoir, leurs lourdes Dr Martens, leurs pantalons zippés, leurs saharienne­s détournées. Le punk rock est en guerre. Même s’il ne sait peut-être que vaguement contre quoi et qui. Mais c’est ce qui fait sa force, après une décennie de slogans contrits et de rhétorique révolution­naire. Son cri est libérateur, à la façon des surréalist­es. Et puis, il y a ceux qui rêvent de Seconde Guerre mondiale. Chris Farlowe, par exemple, le shouter mod, s’était un temps reconverti dans le négoce de souvenirs militaires. Breloques, médailles, guêtres et insignes millésimés. Son meilleur client ? Lemmy Kilmister, évidemment. Lemmy qui doit tant aux Hell’s Angels et à leur sulfureuse éthique. Lemmy, qui collection­ne insignes et dagues nazies, ne recule devant aucune casquette siglée d’une douteuse totenkopf.

Le metal, vu par Lemmy, flirte avec l’esthétique “Rêve De Fer”. Mais, comme Ron Asheton ou Blue Öyster Cult, Lemmy est avant tout un ancien hippie. Et un enfant de la guerre. Depuis, le punk rock a reculé, donnant naissance à quantité de mouvements éclair. Ska, power pop, indus, jusqu’aux mal nommés nouveaux romantique­s ! Tenpole Tudor, Spandau Ballet, Duran Duran, Bow Wow Wow et Adam And The Ants. Adam Ant est un ancien punk et adore les vestes de hussard, les tricornes, les diligences de cape et d’épée. Il règne sur une armée de marquises, de gentils pirates, de mignons à bilboquet, de combattant­s prétendume­nt jacobites et de guerriers en armure. Armures ? Bien sûr, ses amis de Tenpole Tudor oublient parfois, alors qu’ils arborent d’arthurienn­es et brinquebal­antes répliques dignes de “Kaamelott”, d’enlever leurs lunettes et montres à quartz. Mais Adam Ant lui-même n’est pas longtemps pris au sérieux. Sa veste ne fait plus rêver grand monde. Mais plus personne, au fond, ne fait encore rêver avec une veste à brandebour­gs. Même pas Michael Jackson (peut-être parce que la sienne était une fausse, façon déguisemen­t de farces et attrapes ?). L’excès a fait son temps. Tout est là. C’est que, après tant de

Blitz Kids, c’est l’indigestio­n. Le grunge, austère, succède donc à tout cela. Il sera l’alphabet du siècle qui arrive. Façon laine qui suinte et look SDF. On en est toujours là, au fond. Le fond de la classe, la discrétion, ne plus jouer... Même si, un temps, Doherty avec ses Libertines, sembla crédible en veste de Royal Irish Guard. Mais on devine l’obsession Move et Smoke, les pochettes trop souvent reluquées : c’est de la citation.

Oui, on en est là. Il faut aller dans le metal pour trouver de valeureux combattant­s, et encore. Mais, avec un peu de chance, on peut encore trouver un trench d’armée française (ceux que chérissaie­nt les punks parisiens), un caban anglais, un manteau d’armée russe, l’indispensa­ble treillis ou une veste de la marine américaine. Ce sont des classiques, désormais, bien coupés et abordables. Des pièces de vestiaire. Mais rêver ?

C’est une autre affaire. Qui a envie, encore, de jouer au petit soldat ?

Plus la jeunesse devient antimilita­riste, plus le style militaire se développe

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