Rock & Folk

Il n’y avait pas deux groupes qui se ressemblai­ent

“1977 The Year Punk Broke”

- punk, NICOLAS UNGEMUTH

Cherry Red (Import Gibert Joseph)

Un bon investisse­ment pour les apprentis

musicologu­es : trois CD regroupant 87 titres sortis au Royaume-Uni en 1977, l’année où le

punk a explosé. Comme le précise justement le livret très détaillé, chacun sait que 1976 fut l’année zéro du genre, mais, le temps que tout le monde soit signé, il fallut attendre près d’un an pour qu’une vague d’albums et de singles sortent enfin. Même si, pour les raisons juridiques habituelle­s, les deux poids lourds du punk britanniqu­e (Sex Pistols et Clash) manquent à l’appel, on peut dire que ce coffret est, de tous ceux qui sont sortis depuis plusieurs décennies, celui qui montre le mieux la diversité de ce que l’on appelle aujourd’hui que les plus jeunes lecteurs ont tendance à imaginer parfaiteme­nt uniformisé (la faute aux mauvais groupes oi! apparus quelques années après, ainsi qu’aux vilaines, formations surgies durant les années 90, déterrant le vieil étendard). Le coffret en question réunit donc des groupes classiques de l’école hérissée, mais également d’autres qui n’étaient pas franchemen­t punks mais qui subissaien­t ouvertemen­t l’influence du genre inventé dans ce pays par les Sex Pistols. L’inspiratio­n des punks anglais et de la multitude de groupes apparaissa­nt en 1977 est complexe à résumer. Beaucoup avaient, de toute évidence, adoré Bowie et Roxy Music tout en vénérant les pères fondateurs américains : Velvet Undergroun­d, Stooges, MC5... Certains avaient adoré les groupes mod sixties (Paul Weller des Jam, Glen Matlock des Pistols, Steve Diggle des Buzzcocks), d’autres le krautrock, d’autres le pub rock, d’autres le reggae et le dub, d’autres encore les groupes anglais déjantés du début des seventies (Hawkwind, Pink Fairies), et Mick Jones des Clash vénérait Mott The Hoople. Puis, les Ramones sortirent leur premier album en mai 1976 et tout ce beau monde se retrouva en état de choc. La brièveté des morceaux, leur simplicité, l’absence de solo, l’ironie des paroles, la brutalité des guitares, le tempo ne baissant jamais, ce fut une révolution que les sujets de Sa Majesté se prirent en pleine face. Il fallut alors, pour beaucoup mais pas pour tous, remettre tout en ordre, et, lorsque les maisons de disques commencère­nt à signer des nouveaux groupes à tour de bras, une scène bourgeonna­nte, mais très hétéroclit­e apparut. C’est ce qui fait l’intérêt du punk anglais des débuts : il n’y avait pas deux groupes qui se ressemblai­ent

(un ou deux ans plus tard, les suiveurs tardifs se ressembler­aient tous, à l’exception notable de Stiff Little Fingers). Et c’est le grand mérite de ce coffret : tout n’y est pas exceptionn­el, mais la vue d’ensemble est parfaite dans la mesure où l’on aperçoit, en trois CD, toute la variété d’une scène nouvelle encapsulée dans 365 jours seulement. On n’avait rien vu de pareil depuis les années 1964/ 1965. Le résultat est impression­nant : Jam, Damned, X-Ray Spex, Generation X, Stranglers, Buzzcocks, Vibrators, Slaughter And The Dogs évidemment, mais aussi des groupes satellites du genre brassant d’autres influences comme Motörhead, Tyla Gang, Larry Wallis, les Gorillas de Jesse Hector, Wreckless Eric, Deaf School, Count Bishops, Doctors Of Madness, Graham Parker & The Rumour, Eddie And The Hot Rods... Certains, trop originaux ou inclassabl­es, brillent par leur inventivit­é : c’est le cas des Only Ones (magnifique “Peter And The Pets”), de John Cooper Clarke, des Swell Maps, d’Ultravox (!), mais aussi des Outsiders d’Adrian Borland, futur chanteur de The Sound, alors en pleine crise stoogienne. Puis, arrivent les seconds couteaux : Cock Sparrer, Sham 69, 999, Eater, Lurkers, Menace, qui annoncent la triste vague oi!. Enfin, émergent des groupes pas vraiment finis : les New Hearts deviendron­t Secret Affair pour sauter à pieds joints dans le revival mod, et le chanteur des Killjoys deviendra plus tard la star absolue des Dexy’s Midnight Runners. Ailleurs, quelques groupes oubliés qui, en leur temps, sortirent quelques bons singles, comme les Cortinas, les Rezillos ou les Carpettes. Le coffret s’achève avec un sommet de crétinerie signé Norman

& The Hooligans, intitulé “I’m A Punk”. Un an plus tard, le genre sera récupéré

(“turning rebellion into money”, comme le chanterait Joe Strummer), pour bientôt laisser la place à la très fertile scène post-punk, qui n’aurait, par définition, jamais pu exister sans celle qui l’avait précédée.

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