Gentillesse congénitale
L’autoproduction est un univers mouvant : les groupes ont souvent une durée de vie limitée et se métamorphosent au hasard des rencontres et des opportunités, quand ils ne décident pas, par réaction, de tenir le coup envers et contre tout. Depuis 2000, No Water Please réunit huit musiciens (essentiellement des cuivres) issus de diverses formations adeptes des arts de la rue et du milieu alternatif (Les Fils De Teupuh, Tarace Boulba). Cette fanfare a toujours flirté avec le punk rock et, pour son sixième essai, revisite à sa façon des hymnes du mouvement punk dont elle retrouve l’énergie incandescente, en particulier lorsqu’elle reprend “God Save The Queen” façon ska avec la participation du chanteur de Two Tone Club (“Punk Goes Brass”, Devil Deluxe Music, nowaterplease.fr, distribution Pias). Depuis plus de vingt ans, Les Mauvaises Langues, quartette lillois, défendent une certaine conception de la pop à travers des centaines de concerts et déjà six albums (dont deux coups de coeur de l’Académie Charles Cros). Ce septième essai, enregistré avec des complices de Miossec ou Dominique A, flirte toujours ouvertement avec la chanson française : marqué du sceau d’une gentillesse congénitale, il s’illustre par la qualité de ses textes et des mélodies (“Pourquoi, Comment ?”, Verone, lesmauvaiseslangues.net, distribution L’Autre Distribution). Le quartette brestois Drugstore Spiders a été conçu par un chanteur néo-zélandais installé en France pour succéder à un précédent groupe, Lost Disciple, dont il a repris les fondamentaux. Depuis son premier album, il a attendu huit ans et un changement de bassiste pour enregistrer le second où il reste fidèle à un garage rock qui affectionne les mid-tempos et les riffs incisifs, bénéficiant de l’attrait et de la légitimité anglophone de la voix de son leader (“Still Got The Mojo”, Blue Star Revelation, facebook.com/ pg/Drugstore-Spiders). Un an après ses débuts, Steatorrhea (de Bordeaux) passe à l’offensive avec un premier EP. Constitué d’un trio classique (guitare-basse-batterie) et d’un DJ qui apporte une touche électro avec ses samples, le quatuor est affublé sur scène de masques d’oursons et de blouses blanches. Sur son disque, il n’est pas en reste avec une pochette provocante, des titres explicites (“Bleed Baby Bleed”, “Vivisection”) et cinq morceaux anglophones au croisement du punk et du metal (“Excess Of Fat In Feces”, Steatorrhea Productions, facebook.com/pg/steatorrhea).
Ainsi, la majorité des huit sélectionnés du mois (parmi trente-neuf reçus à la rédaction) sont issus d’autres groupes antérieurs qui leur ont permis de déterminer leur projet actuel, ou bien ils ont insisté et résisté au fil des années.
Venu de Rennes, Cut The Alligator voit les choses en grand : ce collectif adopte la formule big band avec neuf musiciens (dont trois cuivres et deux chanteuses) pour dépoter un funk festif qui plonge ses racines dans les années 70. Son premier album célèbre une soul groovy, fraîche et dansante dont l’efficacité vocale et instrumentale doit beaucoup aux antécédents jazzy de ses membres (passés par le conservatoire) et à une solide expérience scénique en huit ans d’existence (“Niopee’s Call”, Musiques Têtues, cutthealligator.fr, distribution L’Autre Distribution). Remarqué à plusieurs reprises dans cette rubrique, Leo Seeger revient avec son cinquième album en dix ans. Ces Nantais chevronnés continuent de s’inscrire dans un folk rock en anglais évocateur des années 60 et 70, alliant dextérité instrumentale et maîtrise vocale. Pour enregistrer les douze morceaux originaux composés par son leader, ils ont fait appel à une flopée de musiciens du cru, ce qui donne à l’ensemble une profondeur et un panache à la hauteur du projet (“10 Feet Forward”, Cat Says 12:30, distribution InOuïe). Après avoir fait ses classes dans divers groupes aquitains, Mathieu Pesqué a rencontré, en 2000, un chanteur américain qu’il accompagne sur scène tout en développant divers projets personnels en collaboration avec des musiciens croisés dans les festivals de blues qu’il a écumés. Pour son huitième album, il s’est entouré de fines gâchettes qui ont officié avec Ryan Adams ou Dire Straits et ont accepté de se mettre au service de son blues folk intimiste et limpide (“I’m Not Here”, MP Music, mathieupesquemusic.com). Le groupe grenoblois Arabella a emprunté, en 2016, son nom à un morceau des Arctic Monkeys et son EP revendique également des influences britanniques, entre indie rock et britpop : faisant la part belle aux guitares et aux voix, ce six-titres conjugue mélodies et choeurs pop à une énergie rock parfois débridée. Avec des morceaux qui trottent dans la tête d’une manière insistante (“You Know”, “Summertime Again”) il consacre une préciosité impétueuse qui trouve le ton juste grâce à de vraies chansons (“Arabella”, Difymusic, difymusic.com/arabella).