Johnny contre Brahms
Blues Sur Paroles
OLIVIER APERT Le Temps Des Cerises
Nous le savons évidemment tous ici, sans le blues, la plupart de nos musiques préférées n’auraient pas vu le jour et on ne serait certainement pas là à discuter des mérites de l’un ou de l’autre rocker si quelques malheureux n’avaient pas chanté leurs vies souvent misérables. Cet enfant de l’esclavagisme — la carte des grands berceaux du blues se superpose exactement à celle des Etats américains qui autorisaient l’immonde commerce — porte, depuis sa naissance, une parole et des sentiments d’une si grande humanité qu’il en est devenu un genre musical universel, quoique partiellement incompris des non-anglophones. Ce sont pourtant, de l’oeuf ou de la poule des origines du genre, les mots qui en furent les fondations et leur sens qui unit les rythmes et les voix en ces cris déchirants. Olivier Apert, écrivain, poète, homme de lettres donc, a choisi, lui, pour raconter l’histoire du blues, de le faire par le biais des textes, et dans une édition bilingue et donc doublement passionnante. Grands classiques, monuments historiques ou titres très oubliés se succèdent ici et racontent, en creux comme en pleins, les vies, les errances, les difficultés comme les joies des bluesmen et de leurs contemporains. Joies et malheurs au premier rang desquels figurent l’amour et le sexe, sexe qui nourrit le blues de savoureux double-sens et sous-entendus plus ou moins évidents, tout comme il nourrira plus tard, en douce, le balancement rock’n’rollien. Les poches vides des vagabonds, Roosevelt, la tuberculose, le Titanic, les inondations, les femmes mariées, les hoochie coochie ou la longueur des cheveux, les thèmes explorés sont extraordinairement divers et révélateurs de la vie de leurs auteurs. Toujours abordés avec la même liberté et le même sentimentalisme — peut-être le secret de leur attrait toujours aussi prégnant — et traduits ici avec un esprit et une musicalité intacts, ces chants racontent mieux que des livres d’histoire la réalité d’une communauté maltraitée et pourtant exceptionnellement créative et féconde.
Life From A Window Paul Weller Et L’Angleterre Pop
NICOLAS SAUVAGE Camion Blanc
Et si Paul Weller, à l’insu de la plupart des Français, était un des musiciens les plus importants de sa génération ? Pour Nicolas Sauvage, auteur, prof, conférencier rock — oui, ça existe — la cause est entendue et les 500 pages de son “Life From A Window — Paul Weller Et L’Angleterre Pop” en sont un plaidoyer tout à fait convaincant. Entré par hasard temporel plus que par appartenance musicale dans le clan étroit des punk rockers, Weller et son premier groupe Jam connurent alors un succès que son groupe suivant, Style Council, très différent musicalement, n’égala jamais. Depuis, sa très riche carrière solo montre chez ce brillant musicien une rarissime capacité à changer, évoluer et s’ouvrir aux collaborations ou aux influences sans jamais y perdre son originalité et son caractère propre. Immense star en Grande-Bretagne, figure tutélaire d’un certain dandysme local, aussi musical que vestimentaire, Weller n’a jamais vraiment joui de la même popularité hors de ses frontières natales et la France, entre autres, ne lui a certainement jamais accordé l’attention qu’il mérite. Réparant l’outrage, Sauvage offre une biographie très détaillée mais avant tout musicale, nous épargnant donc les écueils crapoteux des bios classiques de rock star et, dans le cas du discret Weller, nous évitant ainsi, au passage, quelques descriptions de bonheur conjugal à répétition, vu que le sieur Weller est quand même papa de huit rejetons, égalant par là, quoiqu’à un plus jeune âge, les exploits prolifiques de sir Mick Jagger. Fort d’une carrière de plus de 40 ans — et ce n’est pas fini — Weller, qui n’a cessé de se réinventer et qui, à chaque carrefour, a toujours choisi les chemins inattendus et les voies nouvelles, reste malgré tout fidèle aux idéaux de sa jeunesse et à une élégance, physique tout autant que morale, pur héritage mod, qui explique peut-être aussi sa longévité.
Bleu Blanc Brahms
YOUSSEF ABBAS Jacqueline Chambon
De toute les brûlantes soirées d’été qui marquent nos souvenirs, il en est une, en juillet 98 qu’aucun Français, amateur survolté de foot ou incroyant alors saturé, n’a pu oublier. Cette soirée, Youssef Abbas ne l’a pas oubliée du tout et son livre, “Bleu Blanc Brahms”, raconte donc ces quelques heures électriques dans la petite banlieue d’une ville de province où ses héros, habitants du même triste ensemble, vont vivre très différemment ces extraordinaires minutes. L’auteur, qui avait alors 15 ans, évoque sa succincte bio et c’est, sans aucun doute, une des raisons qui expliquent l’épatant naturel de ses deux jeunes héros et le réalisme des sentiments et des dialogues. Gens des centres-villes contre banlieusards, filles contre garçons, Johnny contre Brahms, ces rencontres inattendues ne se feront pas sans conséquences et cette chouette reconstitution n’essaie pas non plus de ripoliner un passé bien sûr plus complexe que les apparences. Les amateurs de foot auront eux, en plus, le plaisir d’y retrouver la fièvre de ce tournant enchanté et de partager ainsi à nouveau cette excitation et cette joie. Abbas réussit là un premier roman d’initiation bien joliment écrit qui touchera les amateurs de ballon rond mais rappellera aux autres que le foot, parfois, porte et dépasse ses spectateurs, bien au-delà du terrain.