Rock & Folk

LIAM GALLAGHER

Une décennie après la fin d’Oasis, le Mancunien ne change guère, rock star immuable dans un monde qui change. Au programme : un deuxième album solo réglo et quelques fulgurance­s verbales...

- Vincent Hanon

BELLE JOURNEE D’ETE A PARIS. Nous sommes le 28 août, dix ans jour pour jour après l’altercatio­n entre Liam et Noel qui avait entraîné la dissolutio­n immédiate d’Oasis au festival Rock En Seine.

Des tracas qui arrivent dans un groupe. Sauf que, depuis la brouille entre les deux frangins Gallagher, la situation n’a fait que prendre des proportion­s dantesques. Une affaire de grandes gueules, mais aussi de millions d’albums vendus. Liam reste sans doute le plus marqué par la situation. S’il ne peut s’empêcher de balancer des vannes, on sent bien qu’il n’a qu’une envie : renouer avec son frère et relancer la grosse machine. La voix en avant et les mains dans le dos, ce type est un grand chanteur, un putain d’artiste,

d’you know what I mean ? En public, c’est lui qui pose les questions, comme l’indique le titre de son second album solo, “Why Me? Why Not”. En privé, il fait aussi toutes les réponses, la classe en sus, et on s’étonne à peine que le mot biblique, employé à tour de bras par la presse, ses fans et lui-même revienne si souvent à son sujet. La vérité, c’est qu’une bonne moitié de “Why Me? Why Not” est thaumaturg­ique, avec des mélodies qui vont jusqu’à faire monter les larmes aux yeux, une gageure par les temps qui courent. Liam va de l’avant, sûr de son but.

“Antagonist­e, super sensible. De temps en temps très arrogant. Intrépide, et plus ambitieux qu’il ne pense l’être”, résume sa fiancée dans le récent documentai­re “As It Was”. A défaut de s’allonger, on lui demande de s’asseoir pendant une trentaine de minutes. Debout sur le divan, il fait trois fois le tour de la pièce, s’excite quand il s’agit d’évoquer “Shockwave”, le premier simple au parfum glam de l’album.

“Quand je ne suis pas là, tout part en couilles.

Je crée cette putain d’onde de choc.”. La modestie ? Pas son fort, et c’est aussi pour ça qu’on l’aime.

ROCK&FOLK : Bravo pour “Why Me? Why Not”. On vous sent compléteme­nt en phase avec vous-même.

Liam Gallagher : Exact, je refuse de changer de musique. J’aime les Beatles, les Rolling Stones, les Kinks, les Sex Pistols. J’aime Oasis. Je peux écrire des chansons, j’apprécie le processus, les regarder évoluer, grandir. J’ai aussi travaillé avec deux ou trois gaziers qui m’ont aidé à les faire... Je ne peux pas m’en attribuer tout le mérite.

R&F : Vous avez en effet fait appel à quasiment la même équipe que sur le précédent : Greg Kurstin, Andrew Wyatt, Michael Tighe...

Liam Gallagher : J’avais davantage écrit sur “As You Were”, ici on a tous composé collective­ment. Je ne peux pas tout faire tout seul. Si c’était le cas, je devrais passer cinq ans le cul vissé sur une chaise. Je suis sacrément reconnaiss­ant aux gars. Le résultat est là, mec.

R&F : On ne peut pas coécrire une chanson comme “Once” sans un certain degré de connexion avec cet entourage... Liam Gallagher : C’est une putain de belle chanson. Avec un peu de chance, les gens vont aimer le disque, et on pourra en refaire un autre.

R&F : Voilà aujourd’hui dix ans qu’Oasis a splitté, et l’émouvante vidéo de “One Of Us” a fait ce matin son apparition sur internet... Liam Gallagher : Oui, et je suis à Paris, vieux. “One Of Us”, c’est une chanson très mélancoliq­ue, qui parle de frères, d’amitié, de trouver sa place. C’est dommage et bien triste que le groupe ait splitté, mais aucun de nous n’a encore claboté. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Même s’il y en a un qui fait de la putain de disco stupide (il parle du dernier titre de son frère, “Black Star Dancing”), l’autre a su rester lui-même.

R&F : John Lennon est partout dans votre musique. Liam Gallagher : Oui mec, je le vois comme un guide spirituel. J’ai l’impression que le Beatle est toujours là.

R&F : En 2020, ça fera 40 ans qu’il est mort et 80 ans qu’il est né...

Liam Gallagher : 80, putain... Il en avait certaineme­nt encore sous le pied, musicaleme­nt.

R&F : Quel effet ça vous a fait de rencontrer Paul McCartney ? Liam Gallagher : La première fois que je l’ai vu, c’était à Los Angeles. J’avais pris une cuite la veille et j’avais la gueule de bois. C’était en studio, il était venu voir Zak (Starkey, le fils de Ringo Starr qui jouait de la batterie avec Oasis). Il était sympa, mais il n’arrêtait pas de me vanner.

R&F : Avez-vous rencontré Ringo ?

Liam Gallagher : Une fois oui, il est cool. Je n’ai en revanche jamais vu George Harrison. Et moi, à l’évidence, je suis John Lennon.

R&F : Quand vous écrivez, pensez-vous parfois à égaler Oasis ? Liam Gallagher : Oasis n’a pas réinventé la roue : couplet, couplet, refrain, pont... Du rock’n’roll de base. Au-delà des chansons, ou du fait que Bonehead était à la guitare, ma voix était un putain d’élément prépondéra­nt. Quand je compose, je ne m’impose pas de sonner pareil. C’est juste que ça se termine souvent comme ça. Si ça n’était pas le cas, je me dirais : “Merde, on dirait les Beatles !” (rires).

R&F : Ce qu’il y a de bien, c’est que les auditeurs ont le choix entre vous et Noel, et droit à deux fois plus de musique... Liam Gallagher : Il ne fait pas du Oasis, mais de la merde pour videordure­s. Il a tellement l’impression d’être extraordin­aire... Au bout du compte, si tu lui demandes de jouer ses chansons avec une guitare acoustique, ça fait un putain de choc, au mauvais sens du terme : c’est ridicule. Ces chansons resteront des bouses, quoi qu’il advienne. Mais je n’ai pas l’impression qu’il soit dans une forme olympique, alors je le laisse faire ses trucs.

R&F : Le documentai­re à votre gloire, “As It Was”, a le mérite d’être très honnête. C’était quoi l’idée de départ ? Liam Gallager : Rien. Les gens savent qui je suis. Beaucoup ont cru que c’était un coup de pub mais je n’ai pas besoin de ça. Je n’ai pas non plus besoin de la presse anglaise pour me dire qui je suis. Je suis extraordin­aire mais je peux aussi être une tête de noeud, je sais tout ça. Il y a de jolies images dans ce docu, maman est dedans, on a également réussi à capter le succès de mon retour. OK, ce n’est pas “Star Wars” non plus (rires).

R&F : Le rock’n’roll n’est pas au top en ce moment. Qu’estce qui cloche ?

Liam Gallager : Oui, c’est triste, je ne peux parler que pour moi, et je n’ai pas à me plaindre. Beaucoup de vos enfants viennent à mes concerts. Avec un peu de bol, ils vont choper le boogie, tu comprends ? J’en sais rien... Le monde veut tout, tout cuit. En une chanson, les groupes veulent remplir les stades. Ils ne veulent plus ramer, tourner dans tout le pays sous la flotte. La joie, l’amour d’être dans un groupe de rock’n’roll ne sont plus ce qu’ils étaient. A cause des réseaux sociaux, de ce putain de téléphone (il agrippe l’appareil sur lequel est enregistré la conversati­on, le jette en l’air, le rattrape au vol). On n’aura plus de putain de Keith Moon. Pendant les concerts, tout le monde veut faire des photos. Résultat : tu ne te souviens de que dalle le lendemain matin. Plus personne n’achète de disques. Le rock’n’roll est dans le coma. Mais il n’est pas mort, il est toujours là. Il reviendra. Les groupes sont nombreux de nos jours. Mais ils n’ont pas toujours les bons titres, ni l’attitude. Beaucoup de ceux qui font notre première partie ne dépasseron­t jamais ce stade. Je ne vois pas de putain de leader qui soit aussi beau que moi à vingt ans. C’est peut-être les drogues qu’ils prennent. Ou celles qu’ils ne prennent pas, d’ailleurs. La picole qu’ils s’envoient. Ou qu’ils oublient de s’envoyer. Personne n’a plus l’air d’avoir de putains de couilles.

R&F : Ça n’est pas votre cas. Un peu comme AC/DC (“Big Balls”)... Que pensez-vous de la scène australien­ne ? Liam Gallager : Il y a ce groupe qui s’appelle You Am I que j’aime bien. Tame Impala aussi, c’est intelligen­t. Les DMA’S sont pas trop mal. A chaque fois que je vais en Australie, je constate que la scène locale en a sous le pied. Mais ça ne voyage pas toujours bien, et quand ça arrive par ici, on a envie de leur dire : “Allez vous faire foutre avec votre putain de soleil, vos putains de fleurs et vos tongs”. Vu le temps de merde qu’on se cogne dans notre pays, on sait faire.

J’aime les pubs, j’aime mes potes

R&F : Justement, que pensez-vous de Fat White Family, Sleaford Mods, Idles ?

Liam Gallager : Je n’aime pas trop Sleaford Mods et Idles. Je ne suis pas dans les groupes à moustache. Putains de ’staches ! Des vieux à moustache en colère. Fuck off, mon pote, tu vois ce que je veux dire ? J’aime bien Slowthai, c’est un super mec. Il a une vibration Pistols je trouve.

R&F : Rétrospect­ivement, que pensez-vous des deux albums de Beady Eye ?

Liam Gallager : Le premier était bon, mais il y avait un truc un peu rétro. Le second était très bon. Ça n’a plus décollé plus que ça, c’était un peu tôt après le split d’Oasis, j’imagine. Ou peut-être était-ce à cause du nom... Toujours est-il que le groupe déchirait tout.

R&F : Bon, et le Brexit ?

Liam Gallager : Je peux comprendre les deux camps. Pourquoi les gens veulent partir, pourquoi d’autres veulent rester. D’un point de vue personnel, je suis pour rester dans l’Europe. On est tous sous le même toit. La France est la France, elle n’appartient pas qu’aux Français, mais au putain de monde. Pareil pour l’Angleterre ou la Yougoslavi­e. Je devrais pouvoir venir quand je veux à Paris, acheter un putain de moulin à la campagne. Et vice versa, un Français devrait pouvoir aller et venir en Angleterre. Je devrais être capable d’aller en Arabie Saoudite et y acheter un putain de moulin aussi.

R&F : Que vous le vouliez ou non, vous êtes un symbole de l’Angleterre.

Liam Gallager : J’adore l’Angleterre. Je trouve la famille royale compléteme­nt débile. J’aime le football, la culture, la musique, le froid. J’ose affirmer que j’aime la météo anglaise. Je déteste quand il fait une chaleur à crever. J’aime les pubs. J’aime mes potes. J’aime tout le monde.

R&F : Vous avez récemment déclaré que vous aviez peur pour vos enfants à Londres...

Liam Gallager : J’ai peur pour tous les mômes. Les attaques à l’arme blanche, l’acide, toute cette merde...

R&F : Le maire de Londres vous a répondu sur Twitter à ce sujet. Liam Gallagher : C’est un putain de crétin. Il crie sur les toits que Londres est ouvert au business. Il est trop occupé à vendre des putains de bananes, du vin, des sofas. En ce moment, ce que je constate, c’est

“J’ose affirmer que j’aime la météo anglaise”

que Londres est surtout l’endroit pour se faire couper la tête ou se prendre de l’acide en pleine tronche. Résous donc ça avant de t’occuper d’économie ! Les flics sont peut-être des connards corrompus, mais on a besoin de leur présence. Après, les gamins vont t’expliquer à la télé que c’est parce qu’ils s’ennuient, qu’ils n’ont rien à foutre. J’ai grandi à Manchester où il n’y avait pas grand-chose à foutre non plus. Je ne me moquais pas des dames, je ne balançais pas de l’acide dans la gueule des gens. On prenait des champignon­s hallucinog­ènes en écoutant les Beatles. Cette génération a de la chance. Plus que celle d’avant, qui en avait déjà davantage que la précédente. Je ne suis pas un vieux type moisi, j’ai 47 balais. Ma mère m’a bien éduqué. Ça a beaucoup à voir je pense. Mais les mecs qui n’en ont rien à foutre se ramassent à la pelle...

R&F : Bono n’est apparemmen­t pas votre tasse de thé non plus. Liam Gallagher : U2 a torché quelques bonnes mélodies. Pour certains, c’est le plus gros groupe du monde. Mais, pour un groupe aussi énorme, il devrait être encore meilleur. Quand on a atteint ce stade, on se doit de faire des putains de disques, ce qui est loin d’être le cas. U2 n’a jamais sorti “Sgt. Pepper” ou “Never Mind The Bollocks”, il n’a jamais produit rien de comparable à ce qu’a pu faire Arthur Lee ou les putains de Stones. Bono est trop occupé à parler politique et à s’en coller plein les fouilles. Retourne donc en studio et sors un putain de disque psychédéli­que ! J’ai joué une fois avec U2. C’était chiant comme la pluie.

R&F : Vous avez également partagé l’affiche avec un paquet de bons groupes. Votre meilleur souvenir de tournée ? Liam Gallager : Les Stones, mec. Je n’avais jamais vu le groupe avant qu’on joue avec eux l’an dernier. Ils sont énormes. Suffit de jeter un oeil à leur setlist. C’est comme les 20 commandeme­nts sur un bout de papier ! Tout ça sur des décennies. La setlist d’Oasis était honnête. Mais la leur, ça éclabousse. C’est comme celle des Who. Fuck, man ! Je ne suis intimidé par rien, mais là, tu réalises ce que tu as en face.

R&F : Vous n’avez jamais pensé faire du cinéma ?

Liam Gallager : Non, même si je suis suffisamme­nt beau pour être acteur. Dans les vidéos, il arrive qu’on me demande de jouer, je réponds invariable­ment non. Je me sens parfois mal pour les comédiens, ils ne savent vraiment pas qui ils sont, en fait. Ils vivent à travers des putains de scripts. Moi j’aime être moi-même, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tu vois ce que je veux dire ? Je suis plutôt content de ce que je suis.

Album “Why Me? Why Not” (Warner)

“Oasis n’a pas réinventé la roue : couplet, refrain, pont... Du rock’n’roll de base”

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France