Rock & Folk

PETER FONDA

L’acteur américain, beatnik authentiqu­e et biker en liberté dans “Easy Rider”, est mort le 16 août à 79 ans.

- Patrick Eudeline

VU D’ICI, PETER FONDA, C’EST DEUX FILMS. ET ENCORE. Même pas, c’est une photo. Tant le Captain America d’ “Easy Rider” et le Blues de “The Wild Angels” se ressemblen­t. Une photo et, donc, quelques signes pour l’éternité : une coupe de cheveux, des Ray-Ban Olympian et Aviator, un blouson de cuir ABC Custom Leathers, un jeans 505. Dans mon souvenir d’ado, je trouvais au Captain America les cheveux trop courts pour un hippie. Heureuseme­nt, il y eut cette autre photo. En noir et blanc. Fonda et la famille (non, je ne parle pas de Jane, ni de Henry) à Cannes, au festival. Cheveux longs comme Harrison, barbe fournie et regard défoncé.

Avec Jack Nicholson, Dennis Hopper et Karen Black, ils dansaient devant la caméra. Aucun doute, donc.

Peter Fonda y a gagné le droit d’être le hippie de référence. Pour le cinéma, pour le monde. A l’heure de Woodstock, qui pouvait combattre ? Même l’inintéress­ant acteur de “More” avait les cheveux courts. Comme l’Al Pacino de “Panique A Needle Park”. Comme dans “Zabriskie Point”, “Les Chemins De Katmandou”, “Les Jeunes Loups”, “Sex Power”. Les acteurs principaux déçoivent. A part nos Pierre Clémenti (en prison !) et Jean-Pierre Kalfon nationaux, les acteurs faisant partie de la contre-culture, et l’incarnant, manquent cruellemen­t. Des grands acteurs alors révélés ? Certes ! De Pacino à Nicholson, de De Niro, Kinski, Walken à Terence Stamp, on peut trouver. Mais des acteurs hip, nés de ce sérail, indiscutab­les ? Il n’y avait que Peter Fonda. Oui. Cela peut paraître ridicule. Mais c’est le genre de questions qu’on se posait alors. Crédibilit­é. Récupérati­on. Et je guettais les chevelus dans les films, bénissant un Joe Dalessandr­o (“Trash” !) ou un jeune Depardieu coiffé en Brian Jones crado (“Le Beatnik Et Le Minet”). Peter Fonda est mort. Encore un, oui. Ce monde disparaît peu à peu au moment où jamais il ne fut autant célébré. Le meilleur (Tarantino, bien sûr ! Oui, quand même) côtoyant le pire ou l’anecdotiqu­e (le pauvre livre ignorant de Brice Couturier sur l’année 1969). Les gamins du rock s’essayent au look Hell’s Angels et collection­nent les pédales fuzz. Les nouveaux groupes s’appellent Lord Acid ou Stoned Jesus. Un mouvement qui tourne en rond depuis, au bas mot, Doctor And The Medics. 1969 for ever. 1967 for ever. 1972 for ever. 1977 for ever (le Medef et le Bon Marché qui “célèbrent” le punk. Le fond est atteint, atomisé). Des capsules temporelle­s obsédantes...

Peter Fonda, c’était comme Thierry la Fronde.

Jean-Claude Drouot avait tant marqué le personnage qu’il ne sut jamais en sortir. Peter Fonda, pour beaucoup, ce serait à jamais et uniquement Captain America. Et une Harley-Davidson. On s’étonne presque de lui trouver une carrière. Un avant et un après. De savoir qu’il fut acteur et formaté pour cela. Pas seulement un beau mec à Harley, non. Un acteur. Ce qui lui fut beaucoup nié.

Il est, on le sait, le fils d’Henry Fonda. L’acteur américain idéal de l’ancien Hollywood. Blond et pur comme un président, rôle qu’il joua évidemment. D’Henry Fonda et... de Frances Seymour, femme du monde, qui se suicida alors que le jeune Peter (né en 1940) n’avait pas dix ans. Barbituriq­ues et alcoolisme mondain, problèmes de petite fille riche, mariage impossible avec Henry, carrière ratée au cinéma : Peter Fonda (comme Jane, d’ailleurs) allait vivre toute sa vie avec cette image de l’échec du rêve américain, avec cette desesperat­e housewife que fut sa mère. Qui, enfermée en clinique psy, se trancha finalement la gorge avec une lame de rasoir usée.

A onze ans, Peter Fonda se tira accidentel­lement

(ce sont les conclusion­s de l’enquête) une balle de .22 long rifle dans l’estomac. La chanson “Bang Bang” qui tourne mal ? On ne sait. Enfermé pendant de longs mois en sanatorium, il raconta plus tard cette histoire à Lennon et McCartney, alors qu’ils prenaient ensemble de l’acide, en la ponctuant d’un définitif : “I know what’s it’s like to be dead”. On sait le profit que les Beatles surent tirer de cette phrase-là. Enfance troublée, donc, au sein d’un couple chaotique, en pleines fifties noir et blanc, dans l’Amérique du maccarthis­me, juste secouée par les soubresaut­s du rock’n’roll naissant et les quelques films façon juvenile delinquent que celui-ci inspire. Des films (Brando !) où la moto est souvent l’emblème du rebelle, de l’homme libre. Peter Fonda avait étudié le théâtre (quoi d’autre ?) à l’université de Nebraska, là où il habitait. Tout juste comme son père et... Brando, justement. La mère de celui-ci, Dodie, femme libre et excentriqu­e (née Pennebaker !) était la directrice de l’école théâtrale et avait aidé Henry, le père. Pareilleme­nt, elle veille sur le fils et le pousse à aller à New York. Ce qu’il fait, dès 1960. Une ou deux pièces à Broadway. Et, rapidement, de la télévision. Des séries, comme “Wagon Train” (western), “The Defenders”, “Naked City”. Et puis, dans la lancée, un premier film, “Tammy And The Doctor”, un machin romantique, et puis, surtout, “The Victors”. Un truc de guerre où il gagne un Golden Globe du meilleur débutant. Ce qui n’est pas rien. Il continue à la télévision, joue auprès de Warren Beatty dans “Lilith”. Nous sommes en 1964, et tout cela tourne déjà quelque peu en rond. Peter Fonda ne trouve pas ses marques, ses rôles, son identité.

Peter fonda n’était pas destiné à devenir un acteur classique, issu du sérail, il le sait. La contre-culture grandit, il le sent dans chacune de ses fibres, veut d’une manière ou d’une autre en être — be in, le grand slogan hippie ! Vite, il se laisse pousser les cheveux, refuse les rôles trop classiques et, d’ailleurs, en 1965,

Playboy le présente comme l’image même du drop out. On met en avant sa coupe de cheveux à la Beatles, son usage avoué de l’herbe et du LSD. Il est ami avec les Byrds. En 1966, il est arrêté lors des fameuses émeutes du Sunset Strip. Celles-ci sont les premiers stigmates de la révolution qui couve. Des centaines de hippies (ou freaks, ou beatniks, ou hipsters. Comment les appeler ?) défilent et se battent pour défendre leurs droits civiques. On veut fermer le Whisky A Go Go, le Pandora’s Box est lui aussi menacé ! Tous ces clubs bloquent la circulatio­n et charrient trop de monde. Peter Fonda, comme Jack Nicholson, sont arrêtés et menottés. A ce sujet, Buffalo Springfiel­d sort son “For What It’s Worth”. Et Fonda lui-même enregistre­ra un 45 tours écrit par Gram Parsons : “November Night”. Mais c’est Roger Corman qui sera sa chance. Corman, le Mocky américain ? En tous les cas, en 1966, Roger Corman est le roi de la série B et ce qui s’approche le plus d’un cinéma libre et indépendan­t. Il flaire les sujets bien imprimés dans l’air du temps. Et les Hell’s Angels sont alors toute la rage. On ne parle plus que d’eux. Terry The Tramp et Sonny Barger, du chapitre d’Oakland, sont de tous les coups. Figures doubles, comme le montrera Altamont, ils sont, en même temps, la contre-culture hippie et la violence. Roger Corman va lancer la vague des films de Hell’s Angels (“Devil’s Angels”, “Angels From Hell”, “Satan’s Sadists”...) souvent avec Nicholson d’ailleurs, qui, pourtant, n’était pas foutu de conduire une moto comme il y eut, cinq ans plus tôt des films de plage (surf et Annette Funicello) et dix ans plus tôt, des films de jeunes délinquant­s en 501 et Perfecto. En 1966, c’est donc “The Wild Angels”. Avec, à l’affiche, les vrais Hell’s Angels de Venice. Les incontesta­bles. On attendait Georges Chakiris (pour “West Side Story” plus que pour “Les Demoiselle­s De Rochefort”) mais celui-ci avoua finalement qu’il était incapable de monter sur une motocyclet­te. Ce fut donc Peter Fonda. Peter fonda est Blues, le héros, flanqué d’une improbable et parfaite Nancy Sinatra. Le couple hurle son cliché rock’n’roll. Avec un parfum trash. On est en 1966 et tout va arriver, tout bouillonne. Depuis les fameuses émeutes du Sunset Trip, les poux cherchés par la police dans la tête des Hell’s, la CIA et le FBI qui s’inquiètent de toute cette drogue soudaineme­nt débarquée sur les chères têtes blondes (un complot communiste ?

Ils s’interrogen­t), la révolution semble en marche. Rien que ça ! Oui.

“The Wild Angels” est un moment précieux de cette évolution. Comme “La Chinoise” de Jean-Luc Godard en France. Le film est nul ? Peut-être. Mais il traduit, il témoigne. Le shetland rouge de chez Godard, porté par Anne Wiazemsky parle mieux du Mai 68 à venir que toutes les rhétorique­s de Marcuse, bien plus sexy que l’affreux philosophe. “The Wild Angels”, idem, comme “Easy Rider”, c’est un scénario de série B. Mais tout est dit. Du monde d’alors, et d’aujourd’hui, par rebond.

Un monde où l’on pouvait vivre libre mais dangereuse­ment, où dealer était un métier évident pour vivre, payer la Harley et l’essence qui va dedans. Ce qui comptait, c’était de ne pas faire partie du système. “The Wild Angels” est le brouillon de “Easy Rider”. Au point que, sur certaines photos, il est difficile de faire la différence, qui appartient à l’un et à l’autre. Il n’y a rien qu’on ne sache sur “Easy Rider”. La présence de Phil Spector en dealer, l’usage réel de stupéfiant­s lors des scènes dopées, les problèmes de Dennis Hopper pour tenir sur une moto, les engueulade­s entre les deux. Peter Fonda est coscénaris­te et producteur du film, en plus d’en être l’acteur vedette. L’idée, évidente, de faire le film lui est venue en regardant son poster de “L’Equipée Sauvage”, clame-t-il à l’envi. Avant “Easy Rider”, et toujours avec Roger Corman, Peter Fonda avait joué dans “The Trip”, un autre film culte s’il en est. A priori, Peter Fonda est condamné aux rôles de hippies. Il y a pire en 1970. Surtout que le triomphe inattendu de “Easy Rider” au box office a, à lui tout seul, lancé le Nouvel Hollywood. Pour Peter Fonda, brillant et beau gosse, acteur et scénariste, cela semble un boulevard qui s’ouvre. Ce ne sera pas le cas, même si Fonda tourne avec Vadim et sa soeur Jane (“Histoires Extraordin­aires”, d’après Edgar Allan Poe). Malgré “The Last Movie” de Hopper. Mais Fonda veut produire lui-même. Et les échecs se succèdent (“Idaho Transfer”, etc.), de 1970 à 1974. Autant dire une éternité en ces années-là. Dès 1974, il enchaîne avec une série de films d’action. En pleine époque punk, il tourne “Outlaw Blues”. Le rôle d’un musicien country hippie... Le film est excellent, évoque “Jailhouse Rock” mais son heure est passée. “Cannonball Run” (1982), “Speed Zone”, “Need For Speed”. Des films de moto. Au début des années 80, Peter Fonda joue les caricature­s de Peter Fonda.

Il faudra attendra 1997 pour que Fonda obtienne sa revanche. “Ulee’s Gold” lui vaut une nomination aux Oscars, “The Limey”, où il joue un chanteur de rock sur le retour, est excellent. Sa passion reste la moto. Il roule désormais sur une MV Agusta, une de ces Italiennes reine de la vitesse. Il est nommé au AMA Motocycle Hall Of Fame, ce qui, pour lui, vaut sans doute toutes les récompense­s. Il tournera sans trêve jusqu’à sa mort. Rôles de vieux bikers, de hippies sur le retour, de rockers. Le titre de son autobiogra­phie ? “Don’t Tell Dad”. Même si le livre (1998) sort quinze ans après la mort de son père. Il est mort d’un cancer. Après avoir envoyé Trump aux gémonies en suggérant de “le mettre en cage avec ses copains pédophiles”. Hippie un jour ? Oui, hippie toujours.

Cet homme-là n’aura jamais rien trahi. Un homme libre.

Des Ray-Ban Olympian et Aviator, un blouson de cuir ABC Custom Leathers, un jeans 505...

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Peter Fonda, “The Wild Angels”, 1966
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