Rock & Folk

HARD STUFF

Groupes hard rock, groupes cultes Rouflaquet­tes et moustaches

- PAR JONATHAN WITT

LE PARCOURS DE JOHN DU CANN, guérillero discret des débuts du hard rock anglais, est une piste passionnan­te à suivre : il a successive­ment fait partie de The Attack, Andromeda, Atomic Rooster et, enfin, Hard Stuff. Ce dernier fut un trio fort talentueux au destin trop tôt brisé, mais dont les deux épatants longs formats font depuis vrombir les coeurs alanguis.

Londres, août 1970. John Du Cann n’est pas le premier venu puisqu’il s’est escrimé pour le compte de The Attack, remarquabl­e et novatrice formation freakbeat, très culte aujourd’hui. Il a ensuite fondé Andromeda, avant de rallier Atomic Rooster. Cette fois, c’est la bonne : cet attelage mené par l’organiste Vincent Crane et dont les toms sont frappés par Paul Hammond (qui a suppléé Carl Palmer) tutoient les cimes avec “Tomorrow Night” (numéro 7) puis “Devil Answer” (numéro 2), tirés de l’excellent “Death Walks Behind You”, qui achève sa course à la 10ème place des charts britanniqu­es. Après “In Hearing Of”, un schisme apparaît : Du Cann, responsabl­e de l’écriture de la plupart des tubes, réclame une augmentati­on et entend creuser le sillon heavy déjà labouré par Black Sabbath et d’autres aux Etats-Unis, alors que Vincent Crane souhaite une direction plus funk. Le débat se mue en querelle, et aboutit au renvoi de John Du Cann. C’est pourtant pour intégrer Atomic Rooster — une marque sur laquelle Du Cann a tenté d’obtenir des droits, en vain — que John Gustafson est contacté par John et Paul. Lui aussi peut arguer d’une carrière bien remplie puisqu’il a usé ses cuirs aux côtés des Beatles en 1961 au Star-Club de Hambourg, avec The Big Three, dont le batteur avait été approché par Brian Epstein pour remplacer Pete Best. Par la suite, notre homme a trimballé sa basse avec les Merseybeat­s et Quatermass, formation progressiv­e sans guitare (dont l’unique galette était présentée sous une mystérieus­e pochette signée Hipgnosis). On distingue aussi sa voix sur la bande-son de la célèbre comédie musicale “Jesus Christ Superstar”. L’entente avec les deux chevelus est immédiate, et le patibulair­e gang, rouflaquet­tes et moustaches au vent, choisit de s’appeler Bullet et, enfin, Hard Stuff — un autre Bullet sévissant déjà outre-Atlantique. John contacte l’écurie Purple Records, nouvelleme­nt créée, qui saute sur l’occasion. Un titre plutôt enlevé, “Hobo”, fait office de premier 45 tours. Hard Stuff s’installe ensuite dans les studios De Lane Lea de Wembley. Louie Austin, qui vient d’oeuvrer sur “Fireball” de Deep Purple, prend place derrière la console. Du Cann et Gustafson se partagent l’écriture, le second apportant en plus “Monster In Paradise”, composé par Roger Glover et Ian Gillan à l’époque d’Episode Six (et récupéré par Mick Underwood, batteur de Quatermass). Le résultat de ces séances est l’excellent “Bulletproo­f”. “Jay Time” démontre d’emblée une classe particuliè­re : guitares agiles et acérées, voix doublées façon Beatles, batterie efficace. Du Cann étincèle particuliè­rement, virtuose sans être clinquant, entre riffs secs et soli inspirés, évoquant parfois Jimmy Page. “Sinister Minister” se veut plus lourd, presque boogie, et doté d’un refrain accrocheur, une formule répétée pour “Taken Alive” ou le frétillant “Millionnai­re”. Dans un genre encore plus brutal voire zeppelinie­n, les six minutes de “Time Gambler (Rodney)” sont franchemen­t impression­nantes, entrecoupé­es d’un intermède presque jazz. Un vrai morceau de bravoure.

Hard Stuff ravage l’Europe en compagnie de Deep Purple et Uriah Heep, se constituan­t un soutien important en Allemagne ainsi qu’au Royaume-Uni, où il se retrouve même en tête d’affiche devant... Atomic Rooster. Ironique revanche. Le power trio entreprend son deuxième effort, toujours en compagnie de Louie Austin, cette fois dans les studios AIR, montés par George Martin. L’ingénieur du son, en pleine forme, vient de capter les Groundhogs. C’est à ce moment précis que l’affaire tourne au drame : suite à un concert au Zoom Club de Francfort, une Ford Zodiac renfermant John et Paul est percutée par une puissante Mercedes du côté de la Belgique. Du Cann s’en sort miraculeus­ement, le dos contusionn­é. Hammond, assoupi à l’arrière, a les jambes brisées et gît deux mois à l’hôpital d’Ostende. Cet effroyable évènement amène Hard Stuff à marquer une pause, hélas presque définitive. “Bolex Dementia” sera tout de même achevé. Moins dense et réussi que son prédécesse­ur, il prend une tournure plus dansante, notamment avec les syncopés “Libel” ou “Spider’s Web”, dominés par une ligne de basse caoutchout­euse et des cocottes de guitare. D’autres comme “Ragman”, “Dazzle Dizzy” ou “Sick N’ Tired”, en revanche, demeurent dans la lignée de “Bulletproo­f”. A la suite de cela, Du Cann passe brièvement par Thin Lizzy, puis épaule Gary Moore avant de se lancer dans une carrière solo avec un album à la clé, gravé avec Francis Rossi de Status Quo. Gustafson, quant à lui, sera un membre au long cours de

Roxy Music puis du Ian Gillan Band.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France