Rock & Folk

Erudit rock

“Je n’étais pas un hippie, je détestais qu’on m’appelle ainsi”

- PAR PHILIPPE THIEYRE

Le décès du discret GARY DUNCAN le 29 juin 2019 à Woodland, en Californie, est passé inaperçu. Soliste brillant et inventif, mais moins adulé que John Cipollina, l’autre guitariste de Quicksilve­r Messenger Service, il a contribué à l’émergence de l’acid rock, une des composante­s majeures du psychédéli­sme dont l’influence a perduré à travers les décennies. “Je conduisais des motos et faisais tout ce qu’un musicien n’était pas supposé faire. Mes meilleurs amis étaient membres des Hell’s Angels d’Oakland. Contrairem­ent à John Cipollina, je ne parlais pas facilement à la presse. Il aimait parler, moi pas. Je n’étais pas impliqué dans la contre-culture. Je n’étais ni pour, ni contre la guerre. Je ne protestais contre rien. J’étais simplement un guitariste qui essayait de m’améliorer à chaque fois. J’avais été un beatnik, mais je n’étais pas un hippie et je détestais qu’on m’appelle ainsi.” Ainsi aimait à se présenter Gary Duncan lors des rares interviews qu’il a accordées, essentiell­ement dans les années 2000. Eugene Duncan Jr est né à San Diego, Californie le 4 septembre 1946. Son père, Eugene Duncan Sr, est d’origine cherokee et écossaise, sa mère, Jeraline Smith, une Pawnee du Nebraska, le peuple loup. Peu après sa naissance, il est confié à la famille cherokee Grubb qui lui donne le nom de Gary Ray Grubb. Chanteur et guitariste, il joue dans différente­s formations locales, notamment, en 1964, les Ratz de Bob Segarini. En avril 1965, sous le nom de Gary Cole, il rejoint les Brogues du batteur Greg Elmore, né, comme lui, le 4 septembre 1946 en Californie. Remarqués pour leurs prestation­s scéniques énergiques, les Brogues avaient déjà sorti un single de garage rock avant l’arrivée de Duncan, “But Now I Find”/ “Someday”. En novembre 1965, paraît “I Ain’t No Miracle Worker”, un modeste succès devenu un standard du garage rock. Après la séparation de la formation de Merced, Gary Cole/ Grubb, devenu Duncan, et Greg Elmore rencontren­t John Cipollina, alors guitariste d’un groupe embryonnai­re où se succèdent le chanteur Dino Valenti, le guitariste, chanteur et violoniste folk David Freiberg, Jim Murray (chant et guitare), Skip Spence (guitare), et Casey Sonoban (batterie). Problème, David Freiberg est emprisonné pour possession de marijuana. Lorsqu’il sort, c’est Valenti qui est condamné à la prison où il restera deux ans. Finalement, Cipollina, Murray à l’harmonica, Freiberg passé à la basse, Elmore à la batterie, et Duncan, d’abord au chant, puis également à la guitare forment la première incarnatio­n de Quicksilve­r Silver Messenger Service qui se produit en novembre 1965 au Matrix et en décembre à la fête de Noël du Committee. Si Cipollina est admiré par ses pairs et par le public, Duncan n’est pas pour autant réduit à un rôle de fairevaloi­r ou de rythmique. “J’ai toujours aimé l’idée de deux solistes, et ce n’était pas parce que personne ne le faisait que cela allait nous arrêter” (John Cipollina). Tous deux jouent principale­ment sur des Gibson. Parmi ses quarante-deux guitares, Cipollina a longtemps privilégié une Gibson SG noire de 1961, Duncan optant pour une L5 de 1945. “La première avait été volée, la seconde, je l’avais achetée à un collection­neur qui devait en avoir une vingtaine.” Influencé par le jazz et ses improvisat­ions, il en tire des sonorités claires, privilégia­nt la fluidité en contraste avec la puissance incroyable des riffs plus structurés de Cipollina utilisant vibrato, reverb et wah-wah. Sur la longue suite “Who Do You Love” de “Happy Trails”, maîtreétal­on de l’acid rock au même titre que “A Love Supreme” de John Coltrane pour le bebop et le free jazz, Duncan magnifie “When You Love” par un solo lyrique et onirique alors que sur “How You Love” Cipollina scotche l’auditeur aux murs par la violence de son break, sa guitare hurlant les notes. “L’idée était de se défoncer, de monter sur scène, de démarrer le morceau et de voir où ça pouvait mener. Lors des répétition­s, stoned, nous pouvions rester assis à jouer pendant dix heures de suite jusqu’à ce que nous nous écroulions les mains en sang” (Gary Duncan). Très vite, Quicksilve­r Messenger Service devient un des groupes phares de San Francisco au même titre que Grateful Dead ou Jefferson Airplane, se produisant d’innombrabl­es fois à l’Avalon, au Fillmore et dans les festivals comme le Human Be-In. Le groupe, en revanche, n’est pas pressé de signer

avec une maison de disques. Le départ de Jim Murray, après un passage au festival de Monterey le 17 juin 1967, réduisant Quicksilve­r à quatre musiciens, lui donne sa compositio­n la plus soudée et la plus emblématiq­ue. Peu après, le groupe enregistre deux titres, “Codine” de Buffy St Marie et “Babe, I’m Gonna Leave You”, pour la BO du film “Revolution” (1968) avant de décrocher un contrat intéressan­t avec Capitol. Le premier album simplement intitulé “Quicksilve­r Messenger Service” paraît en mai 1968 et rentre dans le top 100. En mars 1969, “Happy Trails” rencontre un succès critique et commercial considérab­le. A la surprise générale, après les sessions de “Happy Trails”, Gary Duncan quitte Quicksilve­r au nouvel an 1969, épuisé par les concerts à répétition et par sa consommati­on excessive d’opiacés et d’amphétamin­es. Avec le pianiste anglais Nicky Hopkins à la place de Duncan, le style de l’album “Shady Grove”, enregistré pendant l’été et paru en décembre 1969, ne repose plus sur la symbiose entre deux guitariste­s, mais sur une approche rock pop et blues tout en conservant les sonorités et l’esprit du psychédéli­sme. Au nouvel an 1970, Gary Duncan réintègre le groupe accompagné de Dino Valenti. Dorénavant à six musiciens, Quicksilve­r va prendre une nouvelle orientatio­n musicale vers un rock mâtiné de folk, de pop et de soul, Valenti sous le nom de Jesse Oris Farrow en devenant le compositeu­r et le chanteur hégémoniqu­e. Selon les mémoires de Shelly, sa première femme, “My Husband The Rock Star Ten Years With Quicksilve­r Messenger Service” (2002), Gary Duncan était à ce moment-là fasciné par Valenti. Après deux albums, en 1971, Hopkins et Cipollina s’en vont. De nouveau emprisonné, Freiberg est remplacé par Mark Ryan à la basse. Après un funky “Comin’ Thru” pas très bien reçu, sans label, Quicksilve­r continue à tourner avant la reformatio­n du groupe originel, incluant Valenti, en 1975, “Solid Silver”, un disque honorable où “Gypsy Lights”, signé par Duncan, est le titre phare. A partir de 1986 (“Peace By Piece”), puis de 1996 jusqu’à sa mort,

Gary Duncan fera revivre le nom de Quicksilve­r, souvent avec

David Freiberg, par une série d’albums assez hétérogène­s et plusieurs disques live.

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