Laurent Sinclair 1961-2019
L’organiste de Taxi Girl, compositeur de “Cherchez Le Garçon”, est mort le 2 septembre à 58 ans.
LAURENT SINCLAIR QUI VIREVOLTE AU-DESSUS DE SES CLAVIERS, multiplie pirouettes et loopings, retombe miraculeusement sur ses pieds, beau comme un corsaire en goguette, altier comme un prince gitan... C’est l’image que l’on gardera du flamboyant Laurent Biehler, disparu trop tôt, beaucoup trop tôt. Son nom reste attaché à celui d’un groupe fier et inclassable, imperméable aux clichés qui appesantissent le rock français de la fin des seventies. Daniel Darc le résumait par ce raccourci fulgurant : “Ses parents étaient du genre à lire Le Monde et Télérama. Les miens, c’était plutôt France Soir et Télé 7 Jours. Sa pensée était plus logique. C’était lui le plus structuré de nous tous.”
Autour du lycée Balzac
Il avait subi une éducation musicale classique, revue et corrigée par l’écoute assidue de Brian Eno. Sa rencontre avec les jeunes gens pas encore modernes qui deviendront Taxi Girl a lieu autour du lycée Balzac. Il en a été viré en quatrième, mais continue d’y trainer ses creepers. On y croise aussi Pierre, qui vient d’un autre milieu (son père est l’éditeur Jacques Wolfsohn), mais se sent des affinités avec ces petites gouapes, notamment avec Mirwais Ahmadzaï, longiligne guitariste d’origine afghane. Il y a aussi Stéphane, qui s’enfuira rapidement, effrayé par la posture too fast to live,
too young to die de ses camarades. Un groupe prend forme, mais Laurent souffre d’un lourd handicap : quel groupe de rock digne de ce nom intégrerait un pianiste ? Et il assiste en spectateur au premier concert de ses copains : “Daniel avait un porte-voix, il n’avait même pas de micro. En fait, il n’y avait que Pierre qui avait une batterie et savait jouer. Moi, je jouais du piano mais j’avais rien qui ressemble à un clavier portable. Et puis, de toute façon, ils voyaient pas l’intérêt d’un pianiste.”
Equipé du fameux Farfisa sur lequel repose le son de Taxi Girl première mouture, il finit par intégrer une formation au sein de laquelle les rapports seront toujours compliqués : “J’avais un antagonisme avec Laurent,
confiera Mirwais à Benoît Sabatier, pour être très franc, on n’a jamais vraiment pu se saquer.”
Le Rose Bonbon constitue une étape majeure de leur ascension. Ils y jouent en novembre 1978, y rencontrent un manager en la personne d’Alexis Quinlin, “un mec très étrange, mais très efficace”, selon Laurent, et y élisent quasiment domicile. Une fois Alexis aux commandes, la presse est inondée de news, souvent inventées de toutes pièces, à propos de ce groupe qu’on découvre en première partie de Pere Ubu, Siouxsie & The Banshees et Talking Heads. Vient la signature chez EMI, et ce premier single éminemment radiophonique, réalisé par Maxime Schmitt et cosigné par Daniel et Mirwais : “Mannequin”. Laurent se contente de la face B, mais prendra sa revanche avec “Cherchez Le Garçon”, le tube qui fait définitivement basculer Taxi Girl du côté des groupes suspects car populaires. Ces fans de Joy Division vivront mal ce succès, vite corrigé par le glacial “Seppuku” que produira JeanJacques Burnel. Avant cela, l’image de ces jeunes gens qui s’affichent dans Salut aura été passablement assombrie par la mort de Pierre, d’une overdose de cocaïne, à l’été 1981. Si “Seppuku” marque la prise de pouvoir de Mirwais, ne laissant que deux compositions à Laurent, les arrangements reposent plus que jamais sur les claviers de ce dernier. Les ventes seront médiocres, mais la tournée anglaise avec les Stranglers qui précède sa sortie concrétise un rêve d’ados, avec tous les excès qu’on imagine. De retour en France, les concerts s’enchaînent, dont celui du Casino de Paris. Après ça, Laurent s’octroie des vacances. Un peu trop longues, peut-être... Il rentre d’urgence lorsqu’il apprend que ses amis auditionnent des claviéristes. Il réintègre le groupe de justesse, pas pour longtemps : “Début 1983, on s’est réunis au resto, je pensais que c’était pour se souhaiter la bonne année. En fait, c’était pour mettre un terme à notre collaboration.” Une décision qu’Alexis résume ainsi : “Se séparer de Laurent, c’était Blondie sans Debbie Harry.” Pour Sinclair, l’après-Taxi Girl est une suite de rendez-vous manqués. Il y a cette audition pour Higelin qu’il torpille magistralement, un maxi tardif en 1986, “Devant Le Miroir”, qui n’affole guère les charts, une apparition sur un album de Pascal Comelade, puis c’est le silence radio ou presque. Au cours du trou noir que constituent les années 1990 pour les ex-Taxi Girl, il accompagne Jil Caplan pour quelques dates en Polynésie. On évoque une semi-retraite au Vietnam, des concerts à la tête des Gonzai Zebraz. Il rentre en France dans les années 2000. L’envie de jouer ne l’a pas quitté, mais aucun projet ne prend forme. Il y a aussi cette rencontre avec Camille Bazbaz et une envie commune de collaboration qui n’aboutira pas. Au début du mois d’août 2019, une nouvelle aventure se profile. Le duo electro Vision Paname lui propose un featuring, l’idée semble lui plaire... mais les armées de la nuit en décideront autrement.