Rock & Folk

Ce que Chabrol avait magnifique­ment réussi Trois Jours Et Une Nuit

DE NICOLAS BOUKHRIEF

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Un temps rédacteur en chef de la revue Starfix qui, dans les années 80, glorifiait à raison les grands cinéastes de genre du moment (Romero, Carpenter, Verhoeven, Cameron et tutti quanti), Nicolas Boukhrief aime aussi le cinéma populaire rock et déviant. Y compris des séries Z les plus obscurs comme le traumatisa­nt “Sleepaway Camp”, slasher trash avec un hermaphrod­ite dégénéré en guise de tueur malsain. Mais, à la différence de ses autres amis et collègues du mensuel culte comme Doug Headline et Christophe Gans (devenus réalisateu­rs) ou François Cognard (devenu producteur), qui se sont mis à fabriquer des pelloches au pur esprit Starfix (en vrac : “Brocéliand­e”, “Le Pacte Des Loups”, “L’Etrange Couleur Des Larmes De Ton Corps”), Boukhrief, lui, a réalisé des films plus sociétaux et proches de ses personnage­s. Tout en gardant, au passage, un véritable esprit de cinéma bis (voir “Le Convoyeur” qui renvoie aux polars italiens sauvages des années 70 ou “Cortex”, pas loin dans son ambiance délétère de certains gialli transalpin­s de la même époque). Et si Starfix s’est fait une fierté d’avoir mis en avant ce cinéma méprisé par la critique grand public d’antan (mais réhabilité depuis par à peu près tout le monde, histoire de faire de la lèche à Tarantino), la revue n’en défendait pas moins un certain cinéma français de qualité. Avec les films (entre autres) d’au moins deux Alain (Corneau et Cavalier) et d’au moins deux Claude (Miller et Chabrol). Chabrol, justement... Le cinéaste bon vivant est probableme­nt l’une des références sous-jacentes de “Trois Jours Et Une Nuit”, drame campagnard tout en tension et rapports ambigus entre ses personnage­s, exactement ce que Chabrol avait magnifique­ment réussi avec “Le Boucher” et “Que La Bête Meure”. Défiant les cartons énervants du box office contempora­in (des blockbuste­rs interchang­eables aux comédies françaises faciles écrites sur un coin de table), Boukhrief revient à un classicism­e salvateur. “Trois Jours Et Une Nuit” est donc l’adaptation fidèle du roman éponyme de Pierre Lemaitre, prix Goncourt avec “Au Revoir Là-Haut”, filmé pour les grands écrans avec une belle emphase par Albert Dupontel. Le début de l’intrigue : un village des Ardennes, à la fin des années 90. Deux postadoles­cents jouent ensemble. Le premier tue accidentel­lement le second. Puis cache le cadavre. Et voit son âme bafouée à jamais par des regrets éternels... Un fait divers comme un autre — peut-être — mais que Nicolas Boukhrief transcende à travers une galerie de portraits. Car cette gaffe meurtrière — telle la mort rouge dans un vieux film d’horreur de Roger Corman — va propager la suspicion sur les habitants du lieu. Jusqu’à transforme­r, vingt ans plus tard, ce petit coin de plat pays en une métaphore de tout ce qui n’aide pas à épanouir réellement un être humain : des doutes probableme­nt inutiles, des emportemen­ts colériques abscons, des angoisses réelles et une vague mise à jour de certains bas instincts cachés. Remarquabl­ement dirigés, les acteurs (Sandrine Bonnaire et Philippe Torreton, pour prendre les plus connus, mais aussi l’excellent Pablo Pauly, révélation du film) sont tous au diapason de cette expérience presque hypnotique vécue par le spectateur. Comme si leurs regards en coin et leurs non-dits enfouis symbolisai­ent la turbulence des fluides, pour reprendre le titre d’un film métaphysiq­ue canadien. La lisère entre bien et mal, forcément floue et imprécise, constituan­t en somme ce qui façonne chaque habitant de ce bas monde. Bref, une véritable immersion dans la psyché humaine. Comme si Nicolas Boukhrief, via le roman de Lemaitre, essayait de se mettre à la place de Dieu. Histoire de voir où ce dernier en est avec sa création du côté de ce petit coin de planète gangréné à jamais par un fait divers lambda (actuelleme­nt en salles).

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