Terminator réactionnaire
El Otro Cristobal
Poète, cinéaste, écrivain, journaliste dramaturge, Armand Gatti (1924-2017) était aussi et surtout un anarchiste très engagé. Que ce soit à travers ses pièces de théâtre (dont plusieurs ont été censurées sous De Gaulle) comme dans ses rares films méconnus. Dont “El Otro Cristobal”, qu’il réalise en 1962 à Cuba, en pleine crise des missiles et donc de probable fin du monde à venir. Ce que l’on ressent tout au long du film qui tient à la fois du théâtre expérimental, du militantisme engagé et de la parabole libertaire enjouée. Le tout dans un délire visuel (en noir et blanc) qui donne la sensation de se retrouver à la fois dans un rêve éveillé... et dans un asile psychiatrique ! Jamais sorti en salles (suite à un différend entre producteurs français et cubain) “El Otro Cristobal” nous immerge dans un état imaginaire d’Amérique latine (Cuba ?) où, après avoir offensé Dieu, le dictateur local se retrouve transformé en coq avant d’atterrir dans un purgatoire
(au look de salle de casino !) puis au paradis où il mène une révolte contre les anges et le Tout-Puissant. Tourné aujourd’hui par Hollywood, “El Otro Cristobal” ressemblerait probablement à un film Marvel dépolitisé. Mais, en 1963, le surréalisme latin (celui de Jodorowsky et d’Arrabal) baigne tellement les consciences, que le spectateur peut encore planquer de la poésie à ces images tout en se questionnant intelligemment sur l’état du monde (en salles le 18 septembre).
Steve Bannon — Le Grand Manipulateur
Bras droit de Donald Trump avant que ce dernier ne le dégage, Steve Bannon reste encore le symbole de l’ultradroite américaine. Celle qui fait encore plus peur que la venue de l’Antéchrist.
Bannon a donc accepté d’être suivi pendant un an dans sa tournée planétaire pour que son trip populiste emporte un maximum de suffrages. Sympa, plutôt rigolard, sincèrement énervé contre les démocrates qui sont pour lui la lie de la société, ayant des réponses toutes faites (mais faciles) à tous les ennemis qui tentent de l’aplatir dans les médias et les débats, Bannon est une sorte de Terminator réactionnaire. Rien ni personne ne le mettant à terre. C’est ce qui se dégage de ce film tourné par Alison Klayman, jeune documentariste qui ne porte pas le moindre regard engagé sur celui qu’elle filme. Et pour cause : rien que de voir Bannon pactiser avec les têtes d’affiches de l’extrême droite européenne (Marine Le Pen, Matteo Salvini, Viktor Orbán...) fait, de toute façon, froid dans le dos (en salles le 18 septembre).
Psychomagie, Un Art Pour Guérir
Au moment où il fête ses 90 printemps, Alejandro Jodorowsky propose ce documentaire hors norme qui reste dans la lignée de ce qu’il est : un mage étrange, un mystique rêveur et, surtout, un tripoteur d’âmes blessées. Persuadé que tous les maux de l’être humain viennent d’un héritage psychologique ancestral, il se met à guérir ceux qui se sentent mal à travers des actes théâtraux insensés. Une femme traumatisée par le suicide quasi improvisé de son futur époux, une demoiselle qui reproche à sa mère de ne jamais l’avoir aimé et, parmi une dizaine d’autres cas, le chanteur Arthur H visiblement hanté par le parcours de son paternel Jacques Higelin.
Jodo manipule alors les sens de ces gens brisés ou dérangés par la vie à travers des shows sabbatiques qui peuvent paraître grotesques (un homme nu se fait recouvrir de lait, l’enterrement d’une robe de mariée, un concassage de photos de famille plaquées sur des potirons...) mais qui, visiblement, font du bien à ceux qui acceptent le jeu de cette étrange guérison des sens. C’est à la fois fou et douteux, mais aussi respectable et touchant. Jodorowsky, une fois encore, prend des chemins hors des clous. Y compris ceux plantés dans les paumes des mains de Jésus (en salles le 25 septembre).
Le Regard De Charles
Obsédés par l’image, beaucoup de cinéastes de renoms (Michel Gondry, Brian De Palma, Jerry Lewis...) ont filmé leur quotidien à coups de home movies qui, pour la plupart, sont restés dans leurs placards. Charles Aznavour, lui, a fait le contraire. Aidé par le réalisateur auteur et directeur artistique
Marc di Domenico, il a dérushé
— peu de temps avant de mourir — des milliers d’heures d’images filmées entre 1948 et 1982 avec une caméra super 8 qu’Edith Piaf lui avait offert. Résultat : un trip sensitif et poétique où le chanteur se retrouve absolument partout, devant et derrière la caméra. Charles en tournée, Charles se marie, Charles en pays exotique, Charles en tournage, etc. Le tout agrémenté de textes philosophique et nostalgiques, écrits par le chanteur, mais aussi de quelques unes de ses chansons dont les paroles résonnent parfaitement avec les images. L’exercice est particulièrement touchant quand on se retrouve face à quelques visions rares comme le Paris populo des années 50 ou encore un court making of improvisé (et en couleurs) sur le set de “Un Taxi Pour Tobrouk”. Un documentaire très original, donc, où l’on découvre aussi à quel point Aznavour a toujours eu cette obsession de se voir un jour en haut de l’affiche (en salles le 2 octobre).