A Strasbourg, en juillet 1518
Dans les années 80, Tomaz Lavric est un jeune punk comme un autre. La seule différence notable par rapport à la faune de Châtelet-les-Halles ou de Camden Town est qu’il vit à Ljubljana, dans la partie de la Yougoslavie qui va redevenir la Slovénie après son indépendance en 1991. Avec “Alerte Rouge” (Çà Et Là), l’auteur raconte ses souvenirs de l’époque à travers l’histoire d’un groupe de rock imaginaire qui se forme après avoir écouté le premier album de Clash. Au fil des pages de ce roman graphique sans concession, l’auteur croque le portrait d’une jeunesse pleine d’illusions, guère éloignée de celle qui traîne alors dans les villes occidentales. 15 ans après la fin du groupe, les protagonistes vont se recroiser. Le constat est terrible pour Youri, dit La Taupe, ex-batteur du groupe Alerte Rouge. Alors qu’il était devenu un honnête père de famille sans histoire, un soudain afflux de souvenirs va lui faire traverser une crise de la quarantaine particulièrement éprouvante.
Histoire musicale encore, “La Vengeance De Croc-En-Jambe” (Fluide Glacial) a été dessinée et scénarisée par Nicolas Moog et Matthias Lehmann dans un style franco-belge qui sied particulièrement bien au climat croquignolesque des débats. Dans leur camionnette brinquebalante, Nic et Matt forment un duo de musiciens qui parcourt les routes de la Moselle au gré des engagements plus ou moins minables qu’ils arrivent à décrocher. Alors qu’ils se rendent dans un bled nommé Bruckange pour animer une fête foraine, ils se retrouvent bien malgré eux au milieu d’une embrouille entre forains.
Les situations absurdes s’enchaînent et les deux musiciens vont découvrir une collection d’allumés locaux comme seuls les endroits reculés sont susceptibles d’offrir. C’est là que le lecteur se dit que le duo n’aurait peut-être pas dû jouer une murder ballad comme “Pretty Polly” au début de l’histoire.
Depuis qu’il est devenu un écrivain de romans historiques à succès, Jean Teulé se fait rare dans le petit monde du neuvième art. C’était sans compter sur Richard Guérineau et son sens de l’adaptation graphique, ici donc au service de la prose de Teulé. Après un premier essai concluant avec “Charly 9” en 2013, le dessinateur s’est attelé au très surprenant “Entrez Dans La Danse” (Delcourt/ Mirages) sorti l’année passée. Dans cette histoire se déroulant à Strasbourg, en juillet 1518, Teulé raconte, à sa manière, une drôle de frénésie dansante qui s’était emparée d’une partie de la population au point de faire mourir d’épuisement ceux atteints par le phénomène. Alors que les personnes saines d’esprit tentent de trouver une solution, le clergé, quant à lui, profite de la situation pour se remplir les poches en culpabilisant les vivants. Dans cette adaptation bien pensée, le dessin retranscrit la facétie contenue dans l’écriture de Teulé qui va jusqu’à placer des tournures de phrases résolument modernes dans la bouche de ses protagonistes.
Maurice Ravel était un personnage qui vivait, pensait et agissait en fonction de sa musique. Aux yeux de ses contemporains plus enclins à la vie en société, l’homme était une sorte d’ermite social au comportement énigmatique. Pour réaliser “Ravel — Un Imaginaire Musical” (Seuil/ Delcourt), un portrait de l’homme plus en adéquation avec l’originalité et le modernisme de sa musique, le dessinateur Aleksi Cavaillez et le scénariste Guillaume Métayer ont demandé au pianiste Karol Beffa, grand admirateur du personnage, de les éclairer sur les silences du créateur du Boléro. Les premières cases montrent le compositeur un an avant sa mort. Pris d’une soudaine envie de raconter sa propre interprétation de son oeuvre, Ravel prend son élève et ami Roland-Manuel à témoin et revient sur les grandes étapes de sa carrière. Et là, c’est le début d’une envolée lyrique dessinée d’un trait enlevé qui transforme Ravel en un fascinant conteur aussi espiègle que peu dupe sur son époque. Passionnant.