TAME IMPALA
“Si je faisais une émission de télécrochet, je ne passerais même pas le premier tour”
Avec “The Slow Rush”, quatrième album extrêmement attendu, Kevin Parker entérine l’option prise avec “Currents” : le rock psychédélique a fait place à la transe électronique globale. Une impasse ? L’avenir ? L’Australien aux milliards de streams a un avis sur la question.
L’HISTOIRE EST FORCÉMENT INTÉRESSANTE. Celle d’un type qui s’est fait connaître en faisant du heavy rock psychédélique dans sa chambre pour, six ans après, se retrouver dans l’équipe de production de Lady Gaga pour un single (“Perfect Illusion”) que, sans doute, 100% des fans de Blue Öyster Cult ont détesté sans avoir besoin d’écouter. A raison. Quatre ans plus tard, en 2020, l’Australien Kevin Parker débarque avec “The Slow Rush”, le quatrième album de Tame Impala, et le débat demeure le même : à quel moment le Rubicon a-t-il été enjambé ? Avec l’album “Currents”, le précédent, en 2015 ? Beaucoup plus électronique que les deux d’avant, l’album était néanmoins le prolongement logique et magnifique de tout ce qui avait fait la beauté de Tame Impala. Ce mélange de mélancolie, de rêverie et de sons savamment bidouillés, cette fois dans un contexte moderne, nourri par tout ce qui pouvait se passer ailleurs, dans le hip-hop ou la musique électronique. La frange Blue Öyster Cult aurait beau ronchonner, les autres passeraient le meilleur été de leur vie avec un peu de MDMA et “Let It Happen” dans l’enceinte Bluetooth. Guitares contre synthés ? Rock contre électro ? Indie contre mainstream ? Réponse toute simple : chansons excellentes. La meilleure musique de danse a toujours été mélancolique et cette histoire de Rubicon, soudain, redevenait très antique. Il y a donc, aujourd’hui, “The Slow Rush”. La palette sonore est à peu près la même. Grosse production chimique, avec des assauts synthétiques impressionnants, des beats maousses et la voix de Kevin Parker, un falsetto fragile mais joliment mis en valeur par une armada d’effets habiles. Parker, comme toujours, a tout joué lui-même dans son home studio de Fremantle, banlieue de Perth située au sud-ouest de l’Australie. Une ville où, selon ses amis de Pond, on se sent isolé du reste du monde, y compris de l’Australie. L’album, malgré les collaborations récentes de Parker avec des noms qu’on lit rarement ici (Lady Gaga, donc, par l’entremise de Mark Ronson, mais aussi Travis Scott, Kali Uchis, SZA, Rihanna ou Kanye West) respecte le cahier des charges d’un album de Tame Impala. L’Australien vaporeux qui déverse ses peines (“Posthumous Forgiveness”, une des belles chansons de l’ensemble, parle de la mort de son père) entouré de son ordinateur portable, de ses compresseurs, racks d’effets et synthétiseurs. Le regret est de moins l’entendre jouer sur ce disque. Il est, après tout, un batteur et un bassiste merveilleux. Le regret, aussi, est d’entendre moins de morceaux aussi accrocheurs que les précédents. Quand la mélodie ou le gimmick sont moins époustouflants, c’est le magicien qui laisse place à l’illusionniste. Un jour de décembre à Paris, place des Vosges, Kevin Parker porte sa tenue d’hiver : pantalon et pull colorés ainsi que, plus rare chez lui, des chaussures. Sourire charmant, viennoiseries, interview.
ROCK&FOLK : L’album ressemble à une ode au studio, on y décèle un certain plaisir de jouer, de tenter des choses. Kevin Parker : Tant mieux. J’ai envie que les gens imaginent ça quand je fais des disques : quelqu’un qui s’est un peu perdu en studio. S’abandonner dans ce qu’on aime, c’est un des scénarios les plus romantiques qui soient. J’ai ressenti ça en écoutant Todd Rundgren, par exemple. Je n’avais pas l’impression d’entendre quelqu’un qui réfléchissait à ce qu’il faisait, mais qui faisait tout court. En se servant de ce qui est à sa disposition pour s’exprimer.
R&F : En commençant la musique, aviez-vous pour modèles ces multi-instrumentistes capables d’enregistrer des disques en solitaire, Todd Rundgren, donc, mais aussi Stevie Wonder, Paul McCartney, Shuggie Otis ?
Kevin Parker : Je ne savais pas que ces gens avaient bossé comme ça avant de commencer moi-même à enregistrer. En fait, au départ, j’ai dit à tout le monde que Tame Impala était un groupe, car je n’étais pas sûr que les gens aimeraient ma musique s’ils apprenaient que je l’avais créée tout seul. Je pensais que les gens préféreraient s’imaginer que c’est un groupe qui jamme. Sur “Innerspeaker”, j’ai fait en sorte de ne pas mettre trop de couches d’instruments, pour que le côté groupe soit crédible. Et les gens y ont cru... Je n’avais pas assez confiance en moi pour dire que c’était simplement moi. Et puis, j’ai compris que d’autres gens avaient pu faire des disques en solitaire... Stevie Wonder a été très important pour moi, Todd Rundgren aussi. Empiler les couches tout seul, c’est un art en soi.
R&F : Les morceaux de l’album sont comme une aire de jeu pour des délires instrumentaux.
Kevin Parker : Ça a toujours été comme ça. Si je fais une chanson structurée normalement, ça va être ennuyeux. Je ne suis pas vraiment sûr de savoir le faire, du reste. Quand j’ai une suite d’accords, une mélodie, je ne sais jamais vraiment comment structurer l’ensemble. Mais ça ne sonne jamais normal. Je ne connais pas les formules classiques pour qu’une chanson soit accrocheuse.
R&F : Il y a de l’espace sur l’album.
Kevin Parker : C’est ce qui me plaît. J’aime être aventureux. Dans le passé, je pensais que ça ennuierait les gens. Maintenant, j’assume, c’est comme ça, écoutez-moi. Je veux courir le risque que les gens puissent s’ennuyer. Je le fais parce que ça me plaît, point.
R&F : Le logiciel joue aussi un rôle dans le processus créatif. Le fait que vous bossiez avec Ableton Live, qui est davantage conçu pour la musique électronique, est déterminant, non ? Kevin Parker : Oui, l’interface encourage ça. Elle permet d’envisager la musique selon des critères de musique électronique. Sur mon premier album, j’ai tout fait sur un petit 8-pistes. A l’époque, si je voulais qu’une partie dure 4 minutes, je devais la jouer pendant 4 minutes.
R&F : Les quatre albums de Tame Impala sont des oeuvres de home studio. Au fil du temps, vous avez acheté le matériel dont vous rêviez ?
Kevin Parker : Un petit peu. J’ai surtout appris à enregistrer, à faire les choses correctement. Mon studio, c’est mon ancienne maison. J’en ai acheté une nouvelle à Fremantle et j’ai aménagé l’ancienne. J’y avais déjà enregistré “Currents”, dans une toute petite chambre. Et, maintenant que j’ai ma maison tout à côté, j’ai davantage de place dans l’ancienne maison, et donc davantage de matos. Au fond, l’approche est toujours la même. J’aime que la méthode reste un peu brute. Même si je suis meilleur pour enregistrer, quand je suis inspiré je veux aller vite, alors je branche un peu tout à la va-vite, je n’utilise pas forcément le bon micro... Et, souvent, ça n’est pas enregistré comme il faudrait. Mais c’est aussi tout le charme de la chose.
Ma notion du temps
R&F : “Currents” a marqué un virage sonore très important. “The Slow Rush” est sa suite logique. Comment ce changement est-il arrivé ?
Kevin Parker : C’est sans doute parce que j’aime la musique construite à partir de samples. Les samples de vieille musique qui engendrent une nouvelle musique, j’adore ça. Le hip-hop, par exemple. Je ne suis pas un rappeur, ni un artiste électronique. Tout ce que je sais faire, c’est jouer. Si je savais sampler, j’adorerais le faire. Mais je n’ai pas la patience de chercher de la matière à échantillonner. Ma seule solution, c’est de jouer. Mais j’ai cette même envie de faire quelque chose qui semble neuf avec des composantes anciennes. Je joue de la batterie, de la basse, de la guitare, du clavier, mais je veux présenter ça d’une façon moderne, qui fasse sens.
R&F : Vous voyez une différence entre les sons organiques et les sons synthétiques ?
Kevin Parker : Oui. Quand tu écoutes des sons synthétiques, ton imagination part dans une certaine zone. Il y a un côté science-fiction avec le synthé. Un synthétiseur sonnera toujours comme le futur. Même si c’est sur un disque de rock progressif des années 70. Ça ne sonne jamais vieux. En revanche, il est difficile de faire sonner une guitare comme le futur. C’est pour ça que j’utilise les deux.
R&F : Votre astuce avec les guitares est justement de ne pas les faire sonner comme des guitares.
Kevin Parker : C’est parce que j’aime tordre les sons. Je n’aime que les sons tordus.
R&F : Un synthé pour l’île déserte ? Une île qui serait alimentée en électricité, s’entend...
Kevin Parker : Le Prophet 5 (de la marque Sequential Circuits). Je dis probablement ça parce que j’en possède un. C’était un de mes buts dans la vie. Ces trucs valent 10 000 dollars, c’est délirant... Evidemment, il
“Un synthétiseur sonnera toujours comme le futur. En revanche, il est difficile de faire sonner une guitare comme le futur”