Rock & Folk

BAXTER DURY

Toujours populaire ici, l’Anglais publie son sixième album, un disque pop où les peines amoureuses sont analysées avec acuité, mais d’une voix flegmatiqu­e. Rencontre avec un gentleman enrhumé.

- RECUEILLI PAR ALEXANDRE BRETON Album “The Night Chancers” (Pias)

DANS CE SALON AU BOISÉ CHIC, Baxter Dury est un dandy élégamment débraillé mais grippé, dont l’irrésistib­le accent est un rien contrarié par des nasales intempesti­ves et des mouchoirs froissés plein les poches. Est-ce d’avoir été luimême ce rôdeur de la trouble midnight hour à travers rues et zones interlopes des lieux où il a campé les personnage­s de son sixième album, “The Night Chancers” ? Ecrites dans les affres d’une rupture amoureuse, ces dix chroniques sonnent comme la revanche artistique de celui qui tente de se reconstrui­re, solidaire des désaxés, Roméos mal-aimés et desperados inconsolés barbouilla­nt les nuits de leur mélancolie, cognant leur libido en d’insomniaqu­es errances aux matins éthy-liques, assistant, comme de l’extérieur, à l’indifféren­te monotonie d’un monde qui continue, malgré tout, de tourner.

A 4 heures du matin

ROCK&FOLK : Qui sont les chancers ?

Baxter Dury : Hum (première quinte de toux)... Ce sont ces types qui tentent leur chance. Toi et moi étions-nous peut-être des night chancers cette nuit. Ce sont ces mecs qui zonent et viennent te brancher au moment le moins opportun, celui où tu as le moins besoin que quelqu’un vienne t’emmerder. Souvent, la nuit, alors que tu traînes et essaies de noyer un peu tes idées noires, il y a toujours un type qui, même innocemmen­t, se met à te tourner autour, à te coller, à te raconter sa vie, ça peut même tourner mal. Ça peut être n’importe qui, à 4 heures du matin. night

R&F : Cet album, après “Prince Of Tears”, sonne comme une revanche. Baxter Dury : Pas vraiment une revanche, plutôt le compte-rendu, peut-être amer, de situations que j’ai traversées, après une rupture amoureuse. Il s’agissait d’explorer ce monde où nous sommes comme reconfigur­és par tout un tas d’outils techniques : téléphones, messagerie­s, tous ces trucs qui intervienn­ent jusque dans les relations amoureuses. J’ai écrit ces histoires avec des personnage­s à chaque fois différents, plongés dans ce monde où la technologi­e joue donc un rôle considérab­le. Mais je ne suis pas si impliqué dans ce que je raconte, dans les comporteme­nts que je décris. Il ne s’agit pas de moi.

R&F : Vos expérience­s personnell­es sont toujours le point de départ de vos albums. Baxter Dury : Oui. Mais il n’y avait pas d’idée préétablie. Pas d’épiphanie. En effet, c’est juste l’expérience et des signaux émotionnel­s qui m’ont remis au travail. J’écris généraleme­nt en rapport avec mon expérience et je n’ai aucune autre préoccupat­ion littéraire. Je n’ai pas l’ambition de délivrer un message politique ou je ne sais quoi. Je ne réponds pas de ça. Je puise seulement, peut-être en vain, dans mes propres émotions, succès et échecs. Et surtout mes échecs, car il m’intéresse davantage de les analyser à travers les personnage­s et les mondes que je construis. Mais, quoiqu’il en soit, tout cela a un point de départ, disons, empirique (affreuse quinte de toux). Mais je n’essaie pas de poursuivre quelque chose à travers mes albums. Chacun est relativeme­nt indépendan­t de l’autre.

R&F : A quel moment considérez-vous que ce qui est d’abord personnel peut être publié ?

Baxter Dury : Quand c’est fini ! Mais il faut toujours produire une sorte de brouillard abstrait entre la vérité et la fiction. Tu dois rendre chaque chanson mystérieus­e, de sorte qu’elle s’adapte à l’histoire de chacun. C’est une combinaiso­n de faits, d’humeurs, d’idées que tu mets en mots, et tu essaies de ne pas saturer la chanson de ta propre histoire. Il faut donc trouver un équilibre. Réussir à emmener quelqu’un dans ton univers, qui est fait de choses personnell­es, mais qui sont jouées. Les soubasseme­nts autobiogra­phiques de ce que tu racontes sont gommés (il se mouche). C’est de l’abstractio­n, à partir de détails que tu notes.

La musique de “Star Wars”

R&F : Vous avez donné une place particuliè­re aux cordes sur cet album, dans des orchestrat­ions assez liquides.

Baxter Dury : J’avais l’idée de quelque chose de glorieux, de symphoniqu­e, induisant des émotions à la manière des tonalités épiques de la musique de “Star Wars”, tu vois ? Et cette dimension symphoniqu­e, pour moi, a aussi une dimension cinématogr­aphique. Je suis un fondu de cinéma, je l’ai étudié, je vois des tonnes de films et ma musique s’en ressent. La référence musicale sur cet album, c’était Kubrick, en particulie­r l’ouverture de “2001 : L’Odyssée De L’Espace” avec cette musique très inquiétant­e, et “Orange Mécanique”, tout ça ajouté à l’étude des comporteme­nts humains faite par Kubrick, avec lequel je n’ai pas l’intention de rivaliser évidemment.

R&F : Que faut-il entendre derrière cette ritournell­e à la fin de l’album, “Baxter Loves You” ?

Baxter Dury : Des excuses.

R&F : Pourquoi ? A qui ?

Baxter Dury : Comme ça. Des excuses. On a tous besoin de s’excuser pour quelque chose ! Je m’excuse de me moucher, je m’excuse de faire de si mauvaises chansons, de répondre si mal à tes questions, de rater mes oeufs sur le plat, bref, je m’excuse (rires, toux) !

“Je m’excuse de me moucher”

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