CATHEDRALE
Le quartette toulousain publie son troisième album, impressionnante construction post-punk aux lignes anguleuses. Il est venu, le temps des Cathédrale.
IL FAUDRA BIEN, UN JOUR, ÉTABLIR UNE CARTOGRAPHIE du rock hexagonal, ville après ville. Nous découvrirons alors que le rock est loin d’être moribond, ou alors que c’est plutôt une chance pour lui, celui-ci étant parfois devenu un signifiant passe-partout (“C’est rock’n’roll !”, etc.). Si bien que, peut-être, il est au contraire redevenu ce qu’il devait être, ce qu’il était tenté de redevenir à chaque fois qu’on en annonçait la mort : un idiome mineur, clandestin, un cri presque inaudible mais venant du ventre, qui ne remplirait pas les stades, grouillant dans les caves, esquintant des guitares bon marché, s’organisant en meutes, dans l’ombre. Ni no future, ni “hope I die before I get old”. A la limite : trop jeune pour mourir. Au commencement, il n’y a rien, et la suite est sans espoir. Il s’agit de survivre : à sa semaine, à ses charrettes, à ses dettes, à la violence symbolique subie en silence, à ses yeux crevés, à la fin du monde. Sur les marches d’une cathédrale, un jour d’ennui comme un autre, un groupe de gamins, pas forcément virtuoses mais simplement décidés à en découdre avec une époque qu’ils ont peine à croire, la leur, se trouve un nom : Cathédrale.
Quatre décennies d’histoire
On est en 2020, et ce quartette formé à Toulouse vient de publier un troisième album, “Houses Are Built The Same”, avec une sincérité et une détermination qui devraient mettre tout le monde d’accord : le rock est bien vivant. Le choix des labels dresse à lui seul une carte du rock. En 2016, c’est le label marseillais Ave The Sound !, orienté plutôt sixties, qui lance un EP inaugural ; l’année suivante, on est à Nantes et Juvenile Delinquent publie “Total Rift” ;
En 2018, les mêmes coéditent “Facing Death” avec Howlin’ Banana. Et, enfin, en 2020, les mêmes Howlin’ Banana et les Belges de Rockery Records qui sortent “Houses...”, plus orienté post-punk. Moyennant quoi, en quatre ans, le groupe — qu’on a aussi remarqué en première partie des Oh Sees ou de Frustration — vient de traverser quatre décennies d’histoire du rock ! Pour ce nouvel épisode, les Toulousains ont émigré à Londres, au Haha Sound Studio de Syd Kemp, qui, lorsqu’il n’est pas derrière la console, tient la basse dans Ulrika Spacek. “On se sent très proches de ce groupe, on aimait son travail. Il nous a calmés, cadrés, notamment sur les arrangements. On en mettait partout, on voulait doubler les voix et les claviers, et lui nous ramenait toujours vers plus de simplicité.” Fatalement, on en vient à ce nom de groupe plutôt accrocheur. “Cathédrale, ça sonnait bien... La cathédrale Saint-Etienne est là, tout le monde la voit, elle s’impose par son architecture, son esthétique, les années de travail pour la bâtir, du travail bien fait, auquel ont participé beaucoup de gens pendant si longtemps. Rien de religieux làdedans, pour nous c’est d’abord l’élévation, le côté imposant. Ça tient dans le temps, et ça marche avec notre idée du rock comme travail collectif et comme exutoire.” C’est Jules qui parle : formation de violoncelliste abandonnée pour le chant et la guitare, qu’il assure avec Robin, apprise en autodidacte auprès des aînés de Gang Of Four, Buzzcocks, Parquet Courts, Protomartyr. A son côté, Félix, bassiste au verbe assuré. Les quatre connaissent leur histoire, le sillon dans lequel ils inscrivent leurs pas et leur idiome : l’anglais. “On a bien essayé le français, mais ça sonnait assez niais, bateau, ça ne fonctionnait pas avec le son qu’on voulait.” Un son acéré, brut, qui évoque le Wire de “Pink Flag”, notamment la batterie (tenue par Maxime) ou le post-punk martial de Total Control. “L’anglais, ça coule mieux, on se sent plus à l’aise. La musique qu’on écoute vient essentiellement d’Outre-Manche. A la limite, le français sonne punk. Et pour nous, le punk français, c’est plutôt les Dogs, qu’on a vraiment beaucoup écoutés, même si ce n’est pas le groupe que l’on citerait en premier pour définir nos influences. Il y a quand même quelque chose qui est resté dans l’écriture.”
Danse de mort
Une écriture serrée, viscérale, au service d’histoires où il n’est pas question d’amour — “trop facile” — mais de tout ce qu’il s’agit de conjurer : l’ennui, la répétition et l’uniformisation, d’où le choix final du titre. Sous cet angle, toute tradition musicale peut être investie. Le rock est une danse de mort célébrant la vie, à l’instar de la pochette du premier EP en 2015, “Demo”, où la mort tient par un fil une jeune fille — à moins qu’elle n’en soit le double. Eros et Thanathos, l’entre-deux dans lequel se tient le rock, finalement. Alors, peu importe les étiquettes. Félix : “C’est peut-être du rock, mais on puise partout, il n’y a pas de ligne directrice. On a eu des influences sixties, le garage, et là c’est plutôt post-punk. C’est fonction de l’état d’esprit du moment.”
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R&F
AVRIL 2020 “On a bien essayé le français, mais ça sonnait assez niais”