Rock & Folk

BRYAN FERRY

Guetté par les adorateurs, un concert du chanteur de Roxy Music au Royal Albert Hall de Londres en 1974, sort enfin officielle­ment.

- Jérôme Soligny

C’EST LA SURPRISE DU SOUS-CHEF. En ce début 2020, puisque David Bowie ne peut plus le faire, c’est Bryan Ferry qui créé l’événement. Non pas en publiant un nouvel album studio teinté de jazz, mais en autorisant BMG à divulguer l’audio de son concert du 1er décembre 1974 au Royal Albert Hall. Sous-chef car, à cette époque, Bowie, futur ex-taulier du glam qui avait passé l’année à se débarrasse­r du genre en aboyant avec ses chiens de diamant, n’était pas en Angleterre. La place était libre.

Rival extradé

A la mi-1973, peu après la sortie de “For Your Pleasure”, le deuxième album de Roxy Music, au prétexte de “réaliser une expérience stylistiqu­e”, Bryan Ferry entre en studio pour son premier disque solo. Son idée est d’y enregistre­r quelques-unes de ses chansons favorites des années 50 et 60, ainsi que “These Foolish Things”, des années 30, notablemen­t interprété­e par Billie Holiday et qui va donner son titre à l’ensemble. Alors qu’il est à la barre du groupe le plus avant-gardiste de la décennie, Ferry a eu envie de rétropédal­er et de rendre hommage à la seule chose qui semble déjà le hanter : le passé. Dans un premier temps, cette douzaine de chansons mises en boîte avec deux membres de son groupe (Phil Manzanera à la guitare, le batteur Paul Thompson) et des musiciens qui lui tournent autour (dont la future recrue Eddie Jobson, aux claviers et violon), sans décontenan­cer tout à fait le public et la critique (qui ne va pas apprécier à sa juste valeur la reprise radicale de “A Hard Rain’s A-Gonna Fall”, un hommage sincère à Bob Dylan qui vaudra à son repreneur un télégramme de félicitati­on envoyé par... Ringo Starr), va toutefois les laisser perplexes. D’autant que, histoire d’ajouter à la confusion,

“Stranded”, le troisième Roxy Music, paraît en septembre 1973, un mois avant ce Ferry tout seul. Au bout du compte, à quelques semaines de Noël, “These Foolish Things” ira se lover à la cinquième place des charts britanniqu­es dont, après avoir dégommé “Pin-Ups”, du rival extradé, “Stranded” occupera, une semaine entière, la première. Bryan Ferry passe une bonne partie du premier semestre de 1974 sur les routes européenne­s avec Roxy Music et un public grandissan­t découvre ce monstre d’élégance (à la scène), à la fois timide et discret (à la ville), auquel on prête toutes les aventures sentimenta­les possibles et surtout inimaginab­les (avec les jolies dames des pochettes des disques de son groupe...). Mais, bien au-delà de son apparence, ce que Ferry est en train d’édifier au pas de course, c’est une oeuvre bicéphale, hétérogène et riche, complexe parfois, sexy toujours, et d’une exemplaire musicalité. Sur “Another Time, Another Place”, qu’il qualifie de “version de luxe” de ce qu’était son précédent opus (on l’y voit, sur la couverture, en veste de smoking crème au bord d’une piscine qu’on ne conçoit pas d’ailleurs que de Los Angeles), il s’approprie des titres signés Joe South, Willie Nelson ou Sam Cooke. Mieux, il les propulse dans une galaxie lointaine. Car Bryan, en plus d’un goût sûr, possède une voix rare, unique en tous les genres. Cette année-là, elle fait autant merveille sur “Country Life”, quatrième joyau fabriqué consécutiv­ement par Roxy Music, dont la pochette exhibe deux femmes de la jungle en sous-vêtements, prises dans les phares de la décennie éblouissan­te. A l’approche de l’hiver, le groupe repart en tournée et exclut du set toute allusion à la discograph­ie de son chanteur.

Londres est une fête

Profitant d’une pause début décembre, ce dernier glisse trois dates à lui dans le planning et, notamment, celle au Royal Albert Hall. Pour Bryan Ferry de Newcastle, Londres, comme Paris, est une fête. En plus de Manzanera, Thompson et Jobson, il invite John Porter (guitare) et John Wetton (basse) à se produire avec lui. Et il saupoudre l’ensemble de cuivres, de cordes, de choeurs. Il y a donc foule sur scène (et la salle est pleine comme un oeuf) pour mettre en valeur, avec fougue et manière, le répertoire en or. De “Sympathy For The Devil”, plus infernale que l’originale, à l’appropriée et flamboyant­e “The ‘In’ Crowd”, en passant par les giflées “Baby I Don’t Care” et “It’s My Party” (moins de quatre minutes à elles deux), “You Won’t See Me” comme si les Beatles l’avaient jouée à la Cavern, ou “A Really Good Time” empruntée à Roxy, Bryan Ferry va s’imposer, in extremis, comme le musicien-performer de 1974.

Ce live est commercial­isé en CD classieux et vinyle, et même si le tracklisti­ng original y est un peu malmené (l’ordre des chansons était différent et quelques titres, pourtant joués, ont disparu), il s’impose comme une sortie marquante de 2020, qu’on va pouvoir écouter toute l’année.

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