Culte et méconnu
Wattstax — 20 Août 1972, Une Fierté Noire
GUY DAROL Castor Astral
Bien sûr, pour les petits Français peu anglophones que nous étions au siècle dernier, la soul, le funk, le rhythm’n’blues ou même le disco, qu’on les aime ou pas, étaient avant tout des musiques pour bouger et danser avec les copains le samedi soir. Loin de nous l’idée que ces titres portaient aussi un autre message, bien plus profond et politique que leur frivole apparence ne nous le laissait croire. Guy Darol, journaliste et auteur, a choisi, pour raconter le festival Wattstax à Los Angeles en 1972, d’en souligner les circonstances et le contexte et d’ainsi nous éclairer un de ces rares moments où l’Histoire et l’histoire de la musique s’entremêlent si intimement. Le combat pour les droits civiques des Afro-Américains est, comme le montre bien Darol, une lutte de longue haleine — noter le présent de l’indicatif, la lutte n’est pas finie — et les émeutes de Watts en furent un tournant majeur. Ce quartier de Los Angeles, pauvre, discriminé et maltraité par la police explosa durant l’été 1965 et ces journées d’émeutes, de destructions et de pillages restent encore aujourd’hui comme le symbole de la salutaire prise de conscience, sinon dans les lois, tout au moins dans les esprits de tous, Blancs et Noirs, que cette force et cette colère ne pouvaient être négligées davantage. Elles le furent tout de même, hein. Mais beaucoup de membres éminents de la communauté noire étaient bien décidés à ne pas laisser disparaître le souvenir de ces heures d’action, au premier rang desquels, le showbiz, et donc ces patrons de maisons de disques, et des musiciens charismatiques et engagés dont Darol fait le portrait. C’est ainsi que Stax, le célèbre label de Memphis, organisa son propre festival, Wattstax le bien nommé — fine allusion à Woodstock comprise — pendant l’été 1972, sortant son plus beau linge et alignant ses plus grandes stars, des Staple Singers aux Bar-Kays, les Thomas, Rufus et Carla, comme Albert King, le tout sous l’égide — et le jour de son anniversaire — du Black Moses lui-même, le grand Isaac Hayes. Le festival assura largement ses objectifs, le public était là, heureux, vibrant et autant passionné par les innombrables stars que par les discours de Jesse Jackson. Enregistré et filmé, le concert marque un rare moment de vraie liberté et d’espoir pour les Afro-Américains présents. Très intéressant, l’ouvrage montre bien à quel point la musique joua alors un vrai rôle politique, unifiant et transcendant les combats pour les droits civiques et ce que les musiciens apportèrent à la cause. Black Lives Matter, Wattstax et son héritage ne nous laisseront pas l’oublier.
The Band
BERTRAND BOUARD
Le Mot Et Le Reste “Personne n’a jamais réussi à obtenir un son pareil, mélangeant autant de facettes de la musique
américaine — le Sud, le Canada, le Sud-Ouest – combinées à des influences du monde entier.”
On peut imaginer que quand un artiste à l’oreille sophistiquée comme Scorsese parle de votre groupe en ces termes choisis, on est au top of the world, célèbre et inoubliable. Et pourtant, qui, parmi les plus jeunes connaît encore le groupe le plus mythique des années 70 ? The Band, puisque c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, groupe sacré par Bob Dylan, premier titre de gloire éternelle, qui fut aussi le sujet du, peut-être, plus beau film rock de l’histoire “The Last Waltz” dudit Scorsese, tiens donc. Bertrand Bouard, dans son livre sobrement nommé “The Band” raconte l’histoire de ce groupe tout à la fois culte et méconnu, de son temps comme aujourd’hui. Musiciens brillants mais atypiques, ses membres refusaient d’être mis en avant et même reconnus par des fans et ont longtemps tout fait pour mener une vie paisible dans des campagnes reculées. Sauf que, le succès venu, la reconnaissance des pairs, la gloire et son terrible cortège de groupies et de drogues scièrent le rondin sur lequel le groupe s’était construit et finit par non seulement le détruire mais, pire, détruisit aussi la fraternité qui existait entre eux et en laissa plusieurs amers et abîmés. Leurs parcours après le groupe ne pouvait être plus différents, Robertson, le bad guy de l’histoire, plus sophistiqué et ambitieux et celui qui touche le plus de royalties, se reconvertit en musicien d’Hollywood avec Scorsese et en artiste bien trop intello pour jamais connaître à nouveau le succès populaire. Levon Helm, son ex-frère, ne lui pardonna pas cette trahison financière et continua le groupe sans grand succès, sans même parler du destin tragique des autres larrons, Richard Manuel et Rick Danko, disparus bien trop tôt. Bouard déroule sobrement un récit parfaitement documenté et équilibré, sans parti pris ou aveuglement de fan et qui réussira sans aucun doute l’édification des foules honteusement ignorantes de ce monument d’Americana. The Book à lire. ❏