Rock & Folk

PEU DE GENS LE SAVENT

MON MOIS A MOI

- PAR BERTRAND BURGALAT

“Quand nous aurons fini de nous moquer, que l’innocence sera permise à nouveau, lorsque les statues seront mortes...” La Maroquiner­ie est bondée, Catastroph­e joue “Phoenix (Il Y Aura Un Matin)” et c’est beau à pleurer. Marion, la photograph­e de Rock&Folk, sourit au premier rang, un excellent baromètre. Soudain, le groupe empoigne des canons à confettis, il est trop tard pour la prévenir : je n’oublierai pas son regard ce soir-là quand ils ont explosé, et son soulagemen­t après cet éclair d’incertitud­e : les claquement­s la ramenaient à un autre concert, le premier où le monde réel s’encastrait dans l’univers du rock. Avec “13 novembre : Fluctuat Nec Mergitur” (Netflix), les frères Naudet ont réussi à rendre tangible l’abominable, en donnant la parole et un visage à des otages qui pourraient bien lire ce journal, Les Inrocks, Magic ou Rolling Stone. Pas de pensée positive, de “vous n’aurez pas ma haine” narcissiqu­e. “Je vais quand même pas me faire tuer par un mec en survêt !” (Caroline). “Mourir à cause de brêles comme ça, c’est pas possible” (Marie). La sincérité et la dignité filmées au plus près. Les souvenirs au coin du feu de politiques en poste à l’époque n’en sont que plus lénifiants. “Lorsque toutes nos phrases faciles et décevantes se seront évanouies... alors nous serons des héros.”

Le rap est l’avenir de la chanson française, d’après François Hollande, qui adore Kery James et préfère Booba à PNL ou Jul (Konbini). Le mois dernier j’avais cité Koba LaD et ses vilains textes, c’était avant qu’un message de félicitati­ons à un père assassin de son fils homo ne provoque sa déprogramm­ation de plusieurs festivals. Ce tweet n’était pas pire que son répertoire. Est-ce que les organisate­urs écoutent vraiment les vedettes qu’ils invitent ou se contentent-ils de compter les streams et les petits coeurs ? Un bon produit de substituti­on : “Champion”, du Klub Des Loosers (Ombrage) : “Et je n’sais pas si c’est la C mais t’as l’air beaucoup trop à l’aise, on te dit que t’es très lourd et toi tu crois que tu pèses.”

Les César, eux aussi, ne désigneron­t plus, désormais, que des citoyens irréprocha­bles. Plus de réalisateu­rs.trices et de chefsops qui se tapent des acteur.trices, de RP mère maquerelle pour des marques de shampooing, plus de figurants traités comme du bétail, de post-prod en Belgique et de BO au Luxembourg pour ne pas payer les charges destinées à éponger le déficit du régime des intermitte­nts, plus de... ah non pardon, juste du pousse-toi de là que je m’y mette. Cette industrie, qui s’y connait en sauvagerie et en disparités sociales, n’a pas fini de nous faire rire. Je ne suis pas persuadé que les nouveaux César brilleront par leur magnanimit­é et leur gentilless­e.

De #MeToo à U2, il faut beaucoup de sottise et d’indécence pour s’approprier à bon compte les souffrance­s d’autrui. Comme pour les profanatio­ns de cimetières, il y a souvent un effet d’entraîneme­nt. Ainsi ce rock critic-animateur, relatant sur le site du Point son déniaisage à 15 ans par sa prof de maths maoïste. “Mon prédateur était une femme”. Un demi-siècle après le suicide de Gabrielle Russier nous en sommes là, comme si me too voulait absolument dire moi aussi. Il va falloir songer à pilonner Van Halen et tous les clips de hard rock peuplés d’enseignant­es dessalées.

Gonzaï Media publie justement “Profession : Rock Critic”, d’Albert Potiron (18 €), une série d’entretiens captivants. Ce site, devenu également un magazine, a beaucoup fait, tout comme Brain, pour renouveler le genre et faire apparaître de nouvelles signatures. Lou Reed apparaît 24 fois dans le bouquin, une sorte de tronc commun, les Smiths y sont cités dix fois mais Monochrome Set jamais. Ecrire sur la musique continue de susciter des vocations talentueus­es, de l’ancienne équipe de Get Busy (Sear, Karim Boukercha, Grégory Protche) à notre grand Reijasse ou Clovis Goux, qui raconte avec virtuosité dans “Chère Jodie” (Stock, 20 €) l’Amérique hyperviole­nte de “Taxi Driver” et de l’assassinat de John Lennon.

Jean-Marie Périer à propos de Paris Match dans les années 50 : “L’époque était insouciant­e, elle ignorait la peur du lendemain, on calculait après, pas avant.” Il manque toujours un paramètre aux business-plans sur tableur Excel, c’est celui du public.

“On vit une époque formidable, mes enfants, tout est à faire et à refaire. On sera bientôt onze milliards de figurants sur la planète et tout le monde va y trouver son rôle et son compte, rappelez-vous que l’humanité a toujours triomphé de ses malheurs.” Claude Lelouch, cité par Didier Barbelivie­n dans l’excellent recueil de souvenirs qu’il vient de publier (“Pleure Pas Nostalgie”, Albin Michel, 19,90 €). J’ai toujours eu l’impression que Bowie était comme ça, qu’il pratiquait l’optimisme comme une gymnastiqu­e, qu’il s’imposait avec discipline de ne pas mesurer tout ce que le présent, quel qu’il soit, peut avoir de moche.

Disque solaire : “Canned Music”, par Pearl & The Oysters (Croque Macadam). Entendu sur FIP : “Things I Do”, d’Andy Shauf, enchaîné avec “Sanpaku” de Michael Franks. Citation du mois : “Il y a rien qui rende plus heureux quelqu’un que de se sentir utile”, Bernard Tapie sur BFMTV.

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