King Krule
“Man Alive!” XL/ WAGRAM
Dans l’ombre veillent de drôle de
phénomènes. Archy Marshall, qui officie sous différents blases, réapparaît aujourd’hui sous le nom de King Krule pour peindre de nouvelles visions enfumées. Un garçon de 25 ans pas facile, compositeur roux perdu dans la foule grise et guère sentimentale de l’Angleterre post-Brexit, à l’univers plein de hauts et de bas qui passe comme une lettre à la poste, même en service minimum. Rêche et parfois revêche, la musique de son troisième album saute d’un genre à l’autre, parfois en l’espace d’une chanson. Un canevas énigmatique, où s’enchevêtrent approche hip-hop avec samples qui déraillent, bribes d’electronica aux guitares twangy et voix improbables qui se répondent à travers des ruminations frémissantes, et qui évoquent parfois le plus abouti de Syd Barrett jammant avec Joy Division. On trouve surtout plein de ballades dégoulinantes avec du saxophone fondu dans la réverbération, que l’hurluberlu de Manchester est descendu chercher dans les cavités du rock, et dont certaines auraient pu figurer sur les disques des Lounge Lizards. Rien ne dépasse vraiment les trois minutes dans “Man Alive!” du prolifère King Krule, pas du genre à s’épancher pour autant. Du “Supermarché” au téléphone “Cellular”, et sa fille française à la télévision, cette intense bande-son fait le tour des thèmes déprimants contemporains, mais rappelle également avec “Alone, Omen 3” qu’on n’est pas seul au monde, même quand il s’agit de toucher le fond du fond. De la poésie aussi âpre qu’addictive pour un monde qui marche sur la tête que “Man Alive!” parvient, pendant trois quarts d’heure, à remettre à l’endroit. ✪✪✪✪
VINCENT HANON