Rock & Folk

Le premier grand groupe high energy de Detroit

- NICOLAS UNGEMUTH

Mitch Ryder And The Detroit Wheels “SOCKIN’ IT TO YOU — THE COMPLETE DYNOVOICE/ NEW VOICE RECORDINGS”

RPM (Import Gibert Joseph)

C’est écrit dans le livret et c’est parfaiteme­nt vrai : “Mitch Ryder and The Detroit Wheels est sans doute le groupe de rock le plus injustemen­t sous-estimé dans l’histoire de la musique américaine.” En dehors de Bruce Springstee­n, qui ne rate jamais l’occasion de jouer l’un de ses mythiques medleys et qui le cite régulièrem­ent comme l’une de ses influences majeures, il semble que William Levise Jr. (son vrai nom) ait totalement disparu des mémoires. Et pourtant, qu’il était doué, qu’il était grand, ce type à la tête de boxeur qui était le seul musicien de Detroit à pouvoir entrer en compétitio­n avec Tamla Motown... C’est en grande partie grâce à un génie, Bob Crewe, qu’on lui doit cette oeuvre parfaite, même si c’est le même qui causera sa perte. Crewe était un arrangeur, producteur et compositeu­r, responsabl­e d’une dizaine de hits pour les Four Seasons qu’il avait écrits ou coécrits, parmi lesquels des choses aussi grandioses que “Sherry”, “Can’t Take My Eyes Off You”, “The Sun Ain’t Gonna Shine (Anymore)” ou “Tallahasse­e Lassie” (pour Freddy Cannon). Il rencontre Levise alors qu’il chante dans un petit groupe, Billy Lee & The Rivieras. Crewe est impression­né, signe le groupe sur ses deux labels Dynovoice et New Voice, et l’ensemble est rebaptisé Mitch Ryder And The Detroit Wheels. Ryder n’a qu’une obsession : la musique noire, qu’il interprète avec un talent époustoufl­ant, dès 1965, alors que les Anglais, de l’autre côté de l’Atlantique, sont encore dans l’imitation maladroite. Ryder, lui, dynamite le tout (plus tard, il partira carrément en tournée avec Wilson Pickett, le plus féroce showman de toute la soul. Il fallait oser). Il avait cet organe qui en fait incontesta­blement l’un des plus grands champions de la blue-eyed soul, mais son groupe assurait méchamment, en particulie­r le guitariste Jim McCarty et le phénoménal batteur Johnny Badanjek : les Detroit Wheels pouvaient sonner comme Motown, mais aussi comme Stax ou Atlantic. Dès ses deux premiers albums avec les Detroit Wheels, sortis entre 1965 et 1966, Ryder reprend James Brown (trois fois), Sam Cooke, les Supremes, Wilson Pickett, Ray Charles et les Miracles. On peut dire qu’il avait bon goût. Crewe lui écrit le tube imparable “Jenny Take A Ride”, Ryder cartonne à nouveau avec le medley “Devil With A Blue Dress On/ Good Golly Miss Molly” et “Little Latin Lupe Lu”. Il y aura trois albums mythiques, “Take A Ride”, “Breakout...!!!” (avec le fameux “Shakin’ With Linda” que reprendron­t les Dogs) et “Sock It To Me!”, chefs-d’oeuvre de soul bourrée d’énergie, superbemen­t jouée et divinement chantée, bénéfician­t aussi de compositio­ns très bonnes de Crewe. Puis, le même Crewe aura l’idée catastroph­ique par excellence : virer les Detroit Wheels et faire de Ryder un chanteur pour les casinos de Las Vegas. Il lui fait enregistre­r un album en solo (“What Now My Love”, 1967) sur lequel il reprend Jacques Brel et Gilbert Bécaud à deux reprises. Le disque est bancal, d’autant qu’au milieu de ballades sirupeuses, on trouve encore quelques furies soul comme “That’s It, I Quit” : tout n’est donc pas nul, mais le public ne suit pas. Après quoi, pour encore mieux perturber les fans, Crewe sort une compilatio­n de la période Detroit Wheels qu’il remixe, et réarrange avec de nombreux overdubs (“Mitch Ryder Sings The Hits”). Ce coffret aligne donc tout cela, ainsi qu’une petite dizaine de singles initialeme­nt non inclus sur les albums. Après cela, Ryder se fâchera avec Crewe, enregistre­ra un album entier avec les MG’s de Booker T, puis disparaîtr­a de longues années. Un beau gâchis : qui sait ce que Ryder serait devenu s’il avait continué avec les Detroit Wheels, le premier grand groupe high energy de Detroit, bien avant MC5 et Stooges ? Reste donc cette anthologie alignant tout ce qu’il a fait pour Crewe et, à vrai dire, il n’y a pas grand-chose à jeter, même sur le très controvers­é “What Now My Love”. Dieu, que Mitch était fabuleux...

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