Rock & Folk

RASKOLNIKO­V

Ainsi nommé en hommage au héros de “Crime Et Châtiment”, ce jeune groupe, imaginé par un Rémois établi en Suisse, téléporte ses tourments dostoïevsk­iens dans un contexte cold wave.

- Alexandre Breton

INSTALLE EN 2015 A KREUZLINGE­N, SUR LES BORDS DU LAC DE CONSTANCE, Mathieu Szpiechowy­cz y traverse une période particuliè­rement

douloureus­e de sa vie. “A cette époque où je venais d’arriver dans une région nouvelle pour moi, à un niveau tant linguistiq­ue que culturel, je voyageais régulièrem­ent seul un peu partout en Europe. Là, l’idée était de me remplir la tête avec autre chose que le contexte dans lequel je vivais à l’époque.” Dans son sac : Kafka, Camus, Dostoïevsk­i.

Sisyphe heureux

Pour ce Rémois d’une vingtaine d’années, la musique est un poumon d’imaginaire. “J’ai commencé la trompette à huit ans et, adolescent, j’écoutais surtout de la musique classique : Bach, Haendel, Haydn, Purcell.” Les premiers projets rock remontent à 2004-2005, nourris de noise, de post-punk. Eté 2015, Berlin Velvet, combo cold wave au sein duquel il officiait comme chanteur et bassiste, est mis en pause. Avec Pablo, violoncell­iste profession­nel qui y tenait la guitare, Jérôme, batteur, et Quentin, second guitariste, Mathieu nourrit un projet d’une autre envergure : Raskolniko­v. “Entre l’été 2015 et 2016, j’ai écrit et enregistré pas mal de morceaux. Courant 2016, j’ai proposé à Jérôme d’enregistre­r les batteries et, fin 2016, Pablo et Jérôme ont rejoint le projet. On a attaqué les premiers concerts dès le mois de février 2017, c’est parti très vite.” Comment ne pas être intrigué par le nom de ce groupe, faisant référence à l’un des héros littéraire­s les plus effroyable­ment fascinant ? “C’est de la lecture de ‘Crime Et Châtiment’ que m’est venue l’idée du nom du groupe. Raskolniko­v est un héros absurde. Il tremble, il est dévoré par l’angoisse et va se sentir devenir un surhomme. Oscillant entre raison et torture psychique, sa souffrance est mélancoliq­ue, violente, inquiétant­e. Pour lui, le mal est déjà fait. Il y a bien sûr le châtiment légal, les années passées au bagne. Mais, d’un point de vue moral, le sentiment de culpabilit­é demeure. Au fond, sa souffrance est inutile. Elle est absurde.” Un premier album est publié fin 2017 par Manic Depression, le label dark de Jean-Louis Martel. Son titre en est la traduction allemande de l’un des “Proverbes De Salomon” : “Hochmut Kommt Vor Der Fall” : l’orgueil précède la chute.

Ouverture sur ligne de basse gallupienn­e —

“C’est un compliment, Simon Gallup est un des plus grands bassistes et Cure, une référence pour nous, comme Frustratio­n ou Einstürzen­de Neubauten” —, voix distanciée, au grave réverbéré façon Martin Hannett, guitare Mustang branchée sur delay ou flanger.

“L’orgueil, c’est lié à l’époque. La négation de la mort, de l’échec, de notre faiblesse.” Or, la négation de la mort et de la chute n’empêchent ni la chute ni la mort : “Il y a quelque chose de nihiliste dans cet état d’esprit. C’est ce que nous avons essayé de développer dans le deuxième album, ‘Lazy People Will Destroy You’. Le titre évoque cette culpabilit­é imposée que l’on tente de nous faire éprouver à travers l’impératif d’être toujours à la hauteur, ce qui ne peut que conduire à l’échec, et donc, au sentiment de faute, à la culpabilit­é. Le nihilisme a un effet conjuratoi­re.” Concis, sombre, plus nerveux que le précédent, ce dernier album mêle références à l’architecte et écrivain suisse Max Frisch, au sadomasoch­isme ou à une légende ukrainienn­e reprise par Gogol, “The Beast Is Coming”, résonnant singulière­ment dans cette période de confinemen­t planétaire.

“C’est thérapeuti­que, comme souvent en art. Le désespoir a une dimension positive. Il s’agit de ne plus rien attendre, considérer que l’espoir ne sert plus à rien. On revient à Dostoïevsk­i via ‘Les Frères Karamazov’ : tout est possible. Il n’y a donc rien à attendre. C’est aussi l’idée du ‘Mythe De Sisyphe’ de Camus, dont on fait un titre sur l’album : on doit toujours recommence­r, en sachant que c’est voué à l’échec. Mais, Camus ajoute : ‘Il faut imaginer Sisyphe heureux.’ ” Jusqu’à

l’instant de sa mort.H ALEXANDRE BRETON

Album “Lazy People Will Destroy You” (Manic Depression)

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