Rock & Folk

RUFUS WAINWRIGHT

Après une incursion dans le monde de l’opéra, le virtuose américano-canadien revient à ce qu’il sait faire le mieux : un album pop à l’ancienne, son neuvième.

- Briag Maruani

DES JEUX SADOMASOCH­ISTES UN PEU TROP BRUYANTS ont lieu dans la suite voisine de celle de Rufus Wainwright. On retrouve donc l’artiste à une table du salon de thé de ce grand hôtel parisien, que l’on ne citera pas. Il est de retour avec “Unfollow The Rules” un disque très seventies qui sort après plusieurs années à écrire pour l’opéra, sa passion de jeunesse. “J’avais une vision très naïve de cet univers. Je pensais que c’était très ouvert et créatif, avec une certaine sensibilit­é, et plus sophistiqu­é que ça ne l’est réellement. Mais j’ai vite compris que c’était très brutal, dogmatique, avec des gens qui protègent leur territoire. Dans le rock et la pop, peut-être parce qu’il y a davantage d’argent et d’attention, des gens et des jeunes surtout, c’est essentiell­ement une célébratio­n des individual­ités. On veut que vous soyez unique, une star.”

Manque de sobriété

En entrant en contact avec la réalité de ce monde fantasmé, le compositeu­r continue à écrire des chansons : “C’était à chaque fois un exercice pour me rappeler d’où je viens, car je me sentais enfermé dans le monde du classique. J’ai écrit une quarantain­e de chansons pour ce disque et mon producteur, Mitchell Froom, a choisi les meilleures. J’étais partant pour suivre le guide !” Cette influence de la grande musique a toujours été la marque de fabrique de Rufus, dont le manque de sobriété des compositio­ns a souvent été une source de critiques. “Le plus grand aboutissem­ent pour moi, a toujours été de prendre les concepts de la musique classique et de les transposer dans mes chansons pop. J’ai toujours davantage considéré les chansons comme des arias. Je voulais capturer l’auditeur à la façon d’un opéra. Ça m’a beaucoup servi pour me définir et me différenci­er des autres, mais, parfois, j’ai dû en payer le prix. Car la triste réalité c’est que ma musique ne va pas trop dans un film. Elle prend trop le dessus sur la scène à cause de son côté dramatique et lyrique. Ce n’est pas une musique de fond, elle veut toujours être la star du show”, admet l’artiste. Pour ce nouveau disque, il a décidé de se faire plaisir en enregistra­nt comme à la grande époque de l’industrie musicale. “Je voulais travailler avec d’excellents musiciens de session de Los Angeles. Quand j’ai commencé ma carrière c’était une évidence d’enregistre­r avec des pointures, mais ça me donnait un son trop lisse et j’en ai pâti. C’est la fin d’une époque, les musiciens de studio vont disparaîtr­e. C’est donc devenu, pour moi, une très belle chose d’enregistre­r avec ces gens”, avoue-t-il, un brin fataliste. On retrouve, ce n’est pas rien, Jim Keltner et Matt Chamberlai­n à la batterie, ainsi que Blake Mills, meilleur guitariste du monde selon lui. Ces nouveaux titres sont truffés de références aussi bien à David Bowie qu’à Elton John, mais le modèle absolu reste le génie des Beach Boys : “J’ai essayé d’imiter Brian Wilson. Sur tout l’album j’essaie d’égaler ses harmonies vocales. Le plus important pour moi, c’est ma voix. J’ai récemment fait une tournée où je jouais mes deux premiers disques. C’était une expérience formidable, parce que je chante cinquante fois mieux maintenant qu’à l’époque.

Je suis enfin un bon chanteur, il m’aura fallu vingt ans. J’ai écrit et chanté toutes les harmonies sur ces nouvelles chansons, avec l’aide de Petra Haden (fille du grand bassiste de jazz Charlie Haden) et de ma soeur Martha sur un titre chacune. J’ai laissé à Mitchell Froom le soin d’écrire le reste des arrangemen­ts.” La virtuosité des choeurs sur un titre comme “Romantical Man”, place le chanteur à la tessiture élastique dans la cour des grands. L’auteur semble avoir laissé derrière lui de nombreux aspects sombres de son écriture qui faisait l’intensité des morceaux incontourn­ables de ses débuts comme “Cigarettes And Chocolate Milk”. “A l’époque, j’étais pourtant dans un état de béatitude, assez insensible à l’idée du précipice. J’étais très défoncé. J’ai souvent l’impression d’écrire sur quelque chose qui va se passer plus tard dans ma vie. Je suis un peu un diseur de bonne aventure dans mes chansons. J’étais très heureux. Je faisais beaucoup la fête, mais je voyais du coin de l’oeil qu’il y aurait une fin à ce conte de fée.”

Beaucoup d’erreurs

Avec son mariage (avec un homme) et la paternité qui a redéfini sa vie depuis une dizaine d’années, d’autres inquiétude­s occupent désormais son esprit : “Etre parent, c’est la chose la plus belle et la plus horrible à la fois. Je peux reproduire le schéma qui m’a fait tant souffrir enfant ou l’arrêter. Ma vie est beaucoup plus simple sans drogues ou alcool. J’arrive à prendre les bonnes décisions. Je fais de mon mieux, même si je fais sûrement beaucoup d’erreurs.” C’est la musique qui permet désormais à l’artiste de se laisser aller. Il confesse son désir d’enregistre­r un album en français sur lequel il laisserait les rênes à un producteur : “J’ai envie d’être ouvert à de nouvelles idées et vous, les Français, aimez les choses nouvelles, avant-gardistes. J’ai besoin de perdre le contrôle.”

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R&F MAI 2020

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