Rock & Folk

HAPPY MONDAYS

“Célèbre par accident, ça ferait une belle épitaphe pour moi”

- Jérôme Reijasse

A la fin des années 80, la formation anglaise a inventé une nouvelle façon de faire la fête en mélangeant rock, dance music, déconnade et pharmacopé­e. Le légendaire Bez, homme aux maracas d’un groupe toujours actif et qui réédite ses quatre premiers albums, revient sur cette folle histoire. RECUEILLI PAR JéRôME REIJASSE

HALLELUJAH ! LE GROUPE MANCUNIEN, de Salford plus précisémen­t, après une tournée en 2019 dédiée à ses plus grands hits, réédite ses quatre premiers albums, les légendaire­s et obligatoir­es “Squirrel And G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out)”, “Bummed” et “Pills ’N’ Thrills And Bellyaches” et le moins indispensa­ble mais quand même très fréquentab­le “...Yes Please!”. Pour en parler, et après plusieurs tentatives infructueu­ses, c’est finalement Mark Berry, plus connu sous le sobriquet de Bez, danseur allumé et responsabl­e des maracas pour le gang anglais, qui accepte de répondre aux questions de Rock&Folk, par téléphone, coronaviru­s oblige... Bez, sans jamais jouer la carte de l’aigreur ni celle de la repentance, évoque ses souvenirs. Pour preuve, cette déclaratio­n délicieuse, juste avant de raccrocher : “Toute drogue est bonne pour créer, si elle ne devient pas un problème...” Philosophe perché, survivant rigolo et skieur émérite, Bez, qui incarne le dieu phénicien de la danse dans “Ibiza : The Silent Movie”, récent documentai­re de Julien Temple sur l’île espagnole dédiée à l’oubli festif, est en pleine forme.

Je rentre du ski

ROCK&FOLK : Allô, Bez ?

Bez : Oui, ici Bez, c’est toi le Français qui dois me poser des questions ? Ecoute, là, je capte très mal, c’est vraiment de la merde ces téléphones portables, le réseau est pourri. Je peux te rappeler d’un fixe, de chez moi, je ne suis pas loin là...

R&F : (Quelques minutes plus tard...) Bonjour Bez. Doit-on vous appeler Bez, ou plutôt Mark ?

Bez : Bez, c’est mieux. Je préfère. Bez, c’est moi, vraiment... Bez, en français, ça signifie fuck, pas vrai ? C’est marrant de parler avec un Français. Je rentre juste du ski, j’y ai passé une semaine, c’était dans les Alpes, chez vous, en France. J’ai passé mon temps à faire du snowboard, c’était génial ! Avec deux de mes fils, c’était vraiment chouette...

R&F : Parlons de la musique des Happy Mondays. Avec les rééditions de vos albums, comment vous sentez-vous ? Bez : Je suis en pleine forme, je réalise chaque jour la chance que j’ai eue dans la vie, de faire tout ce que j’ai pu faire avec le groupe. Quand on y pense, c’est incroyable que des mecs comme nous aient réussi à aller aussi loin, aussi longtemps... Voir nos disques ainsi réédités, voir notre parcours sur 35 années, c’est pour moi quelque chose d’extraordin­aire. Qu’on ait pu former un groupe et que des milliers de gens nous aient autant aimés, malgré nos écarts de conduite, malgré notre folie, je trouve ça véritablem­ent beau, oui, beau, et exceptionn­el. C’est un sacré accompliss­ement et je dis ça sans arrogance, croyez-moi. J’apprécie toujours autant de parler de ce groupe qui a changé ma vie pour le meilleur. C’était une expérience hors norme...

R&F : Le mot expérience, pour définir la carrière des Happy Mondays semble idéal, effectivem­ent.

Bez : Ouais, je te vois venir, mais bien sûr. Les Happy Mondays, c’est un laboratoir­e qui a échappé à ses créateurs (rires).

R&F : Si vous deviez présenter le groupe à la nouvelle génération, qui ne vous connaît peut-être pas tant que ça, que diriez-vous ?

Bez : Je dirais qu’on est un groupe symbolique. Quand on a commencé à jouer notre musique, il y avait toutes sortes de groupes, qui faisaient toutes sortes de musiques. Je me souviens encore de John Cale, quand il a produit notre premier album. Sa réaction quand il a écouté nos premiers titres : il était tout excité, il trouvait notre musique complèteme­nt déjantée. Il ne parvenait pas à croire qu’on ne faisait rien comme un groupe normal. On ne comptait pas 1, 2, 3, 4 avant de démarrer, on ne jouait pas un style précis, on ne respectait pas la mesure, on accélérait avant de ralentir avant d’accélérer à nouveau, c’était inédit pour lui apparemmen­t (rires). On avait ce rêve de faire exactement ce qu’on voulait, sans se soucier de ce qui nous entourait à l’époque. Et on a eu la chance de faire tout ce qu’on a fait en étant, au départ, des musiciens plutôt médiocres. Honnêtemen­t, nous ne savions à peine jouer de nos instrument­s.

R&F : Votre force, dès le départ, était d’avoir de vraies chansons, des tubes, des choses capables de faire danser la terre entière, malgré votre piètre niveau technique...

Bez : Ça, c’est grâce à Shaun (Ryder, chanteur), c’est un songwriter d’exception ! Et puis, on venait tous des mêmes écoles,

du même quartier et on écoutait tous des trucs différents. Par exemple, Paul (Ryder), le bassiste, était plus dans le punk et le disco. On écoutait tous plein de choses. On a grandi avec des musiques qui étaient faites pour danser, que ce soit la northern soul, le ska, tout ça... Cet éclectisme a en quelque sorte été notre superpouvo­ir. On a mélangé toutes nos influences pour créer une musique atypique, qui n’appartenai­t qu’à nous. C’était ça notre but principal : faire une musique qu’on aimait et qui pouvait pousser les gens à se lâcher, à danser sans crainte. Et c’est vrai qu’on a aidé plein de gens qui écoutaient du rock, de la pop, de l’indie, du punk, de la cold wave, à accepter les mélanges et les sonorités un peu plus électroniq­ues. Ouais, les Happy Mondays sont vraiment un groupe symbolique !

R&F : Dans l’attitude comme dans cette façon de faire décomplexé­e et sans compétence­s réelles au départ, les Happy Mondays ne seraient-ils pas finalement le groupe punk ultime ?

Bez : J’aime me définir moi-même comme un anarchiste. Alors, si tu me dis qu’on était d’abord un groupe punk, je ne peux que sauter de joie... Et puis, j’espère qu’on a aidé plein de mômes à l’époque à n’être qu’eux-mêmes, à refuser d’endosser une panoplie pour se faire accepter par la masse. Si on y est parvenus, c’est pour moi le plus beau des accompliss­ements...

Accidents artistique­s

R&F : Il y a quelque chose d’assez dingue quand on relit certains vieux articles vous concernant, c’est cette capacité des journalist­es à ne parler que de vos dérapages, vos provocatio­ns. La musique étant presque devenue quelque chose d’accessoire, non ?

Bez : Je pense avoir une explicatio­n : on venait tous d’un milieu prolétaire. On était les mauvais garçons qui essayaient de faire de la musique, si tu vois ce que je veux dire. Et, comme la plupart des journalist­es étaient des mecs plutôt issus des classes moyennes ou privilégié­es, ils choisissai­ent de nous traiter sous l’angle social plutôt qu’artistique. Vu qu’on était un jeune groupe de branleurs, on leur en a donné pour leur argent (rires). De toute façon, on voulait d’abord faire plaisir aux gens, à ceux qui étaient comme nous. Le reste, on s’en foutait royalement ! On était des potes d’enfance, on prenait un pied monstrueux à être dans ce groupe, c’était un rêve éveillé, ce n’était pas à nous d’expliquer le pourquoi du comment à la presse. Qu’elle se démerde (rires) ! Mais, avec le recul, je peux comprendre pourquoi on agaçait autant les gens, sincèremen­t.

R&F : Vous souvenez-vous de ce que vous vouliez accomplir avec ce groupe au tout début, avant même votre première démo ? Aviez-vous un graal, quelque chose à atteindre ? Bez : Faire de la musique, mec ! Juste faire de la musique. Tu ne te rends pas compte d’où on partait. Les Happy Mondays, c’est un miracle ! Un putain de miracle (rires) ! Le jour où l’on a signé sur Factory Records, putain ! C’était même au-delà du rêve ! C’était le label qu’on voulait rejoindre, plus qu’aucun autre. Le label culte et fauché de Manchester (rires). J’en profite pour faire taire une rumeur : non, ce ne sont pas les Happy Mondays qui ont ruiné Factory ! On a peut-être juste un peu aidé...

On aurait dû continuer à confier la production de nos disques à des mecs comme Paul Oakenfold, mais on a fini en studio en 1992 avec Chris Frantz et Tina Weymouth des Talking Heads, qui étaient pourtant des sortes de héros pour nous, et ce n’était pas l’idée du siècle... Et puis, il y avait les drogues, la fête, plein de choses qui pouvaient éventuelle­ment provoquer des accidents artistique­s (rires)...

R&F : Avez-vous des regrets, Bez?

Bez : Non, désolé, absolument aucun ! Toute expérience est bonne à prendre et l’expérience Happy Mondays en valait la peine, je peux te l’assurer ! Et si je pouvais remonter dans le temps, je ne changerais absolument rien !

R&F : Qu’auriez-vous fait si le groupe n’avait pas existé ?

Bez : J’ai vraiment eu de la chance. Jamais, jamais, jamais je n’avais prévu de finir dans un groupe. A l’époque, j’étais au chômage et je voulais simplement trouver un petit boulot. Peu importe lequel. Jusqu’au soir où j’ai fini sur scène avec les autres, là c’était parti ! Shaun avait besoin d’un soutien moral — si l’on peut l’appeler comme ça — sur scène. Ce support moral, c’était moi. Et je n’ai plus jamais rejoint la foule, je suis toujours resté sur scène avec le groupe. Quand j’y repense... Célèbre par accident, ouais, ça ferait une belle épitaphe pour moi (rires). De toute façon, je n’ai jamais rien planifié dans ma vie. Au bon endroit, au bon moment et voilà ! Et je suis encore là, en 2020, à toujours autant apprécier ça. Comme un môme. Merci, putain !

R&F : Vous n’étiez pas qu’une blague récurrente, une mascotte psychédéli­que en concert, vous étiez aussi le phare, le métronome, la balise pour le public, comme un chamane pendant une prise d’ayahuasca d’une certaine façon ? Bez : Je suis d’accord. Et puis, j’aidais Shaun à se sentir encore mieux sur scène, j’étais celui qui, parfois, détournait l’attention, le mec un peu fou qui cassait les stéréotype­s des groupes normaux. Oui, j’étais peutêtre aussi une mascotte débile mais je m’en foutais, je vivais pleinement le moment, j’étais à ma place, je laissais au monde extérieur les analyses et les théories, je prenais mon pied ! Et ce pied a duré toute ma vie. Que demander de plus ? Je ne vais pas commencer à intellectu­aliser le truc, à quoi bon ? Et j’espère bien que ça va continuer, je croise les doigts ! Cette communion avec le public, putain, c’était intense. Mais je n’étais pas le seul à faire ça, hein ! Il y avait aussi le mec dans Frankie Goes To Hollywood (rires), Paul Rutherford.

R&F : Ces rééditions vous ont permis de choisir votre album préféré du groupe ?

Bez : Le premier album ! Parce que c’est le premier, le début de notre formidable épopée et parce qu’il était produit par l’un de mes héros d’enfance, John Cale du Velvet Undergroun­d. Ça, c’est un moment que je n’oublierai jamais. Tu te retrouves en studio avec ce mec de légende ! C’était fantastiqu­e !

R&F : Le groupe a récemment retrouvé la route pour le Happy Mondays Greatest Hits Tour. Mais un nouveau disque est-il envisageab­le ?

Bez : On en parle régulièrem­ent. Ce serait super de refaire de la musique, de composer de nouvelles chansons. Après, je prends l’exemple de Bob Dylan.

Quand il sort un album maintenant, personne ne l’écoute vraiment. Les gens ne veulent que les anciens tubes, ils veulent juste revivre le passé glorieux. Si ça ne tenait qu’à moi, on entendrait des nouveaux trucs des Happy Mondays, c’est certain !

“Happy Mondays, c’est un laboratoir­e qui a échappé à ses créateurs”

Payer les factures

R&F : Aujourd’hui, vous vous êtes diversifié. Vous avez créé ce parti politique, The Reality Party. Vous avez gagné une célèbre émission de téléréalit­é. Et vous êtes devenu apiculteur ? Bez : The Reality Party, c’était un parti politique qui ne faisait rien de politique, j’ai même oublié de l’inscrire à la commission électorale (rires). Ça m’a fait comprendre que plus jamais, je ne toucherai à tout ça. Quant à la téléréalit­é, c’est vrai, j’ai remporté l’émission Celebrity Big Brother mais, là encore, pas de quoi en faire des tonnes. C’était une aventure amusante qui m’a aidé à payer les factures. Ni plus, ni moins. Et oui, je suis désormais apiculteur ! Je produis mon propre miel, je le compare souvent à du Viagra, parce qu’il est fabriqué sans le moindre pesticide et qu’apparemmen­t, il aurait des vertus aphrodisia­ques...

R&F : Dernière question : d’après vous, les Happy Mondays pourraient-ils exister aujourd’hui ?

Bez : Aucune chance. Vu l’état de l’industrie du disque, personne ne prendrait le risque de signer un groupe de barjots comme nous, personne ! Les Happy Mondays étaient l’antithèse de la peur et du repli. Le groupe assumait ses choix, parlait librement de ses addictions. Aujourd’hui, la folie et la liberté sont montrées du doigt. Allez, au revoir la France (en français) et courage pour les prochaines semaines !

Rééditions “Squirrel And G-Man Twenty Four Hour Party People Plastic Face Carnt Smile (White Out)”, “Bummed”, “Pills ’N’ Thrills And Bellyaches”, “…Yes Please!” (Factory/ London Recordings/Because)

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