Rock & Folk

THE MONOCHROME SET

- Jean-Emmanuel Deluxe

BID, ALIAS GANESH SESHADRI, LE LEADER DE MONOCHROME SET — groupe formé à Londres en 1978 sur les cendres de The B-Sides avec Adam Ant et les futures Banarama en choristes — n’est pas le songwriter indie pop lambda. Bien trop sophistiqu­é et ironique pour ses contempora­ins, Bid déroute les esprits formatés par sa liberté de création et de pensée. Connaisson­s-nous beaucoup de groupes qui, sans le sou, chantaient la jet set au moment où la doxa post-punk incitait plutôt à faire croire que l’on sortait du caniveau ? Monochrome Set s’est aussi amusé à chanter en énochien, la langue occulte utilisée par John Dee (1527-1608), dans “The Devil Rides Out” sur l’album “Eligible Bachelors” en 1982. Certes, Damon Albarn a consacré un album très premier degré (“Dr Dee”, 2012) au conseiller en astrologie de la reine Elizabeth. Aujourd’hui comme hier, Bid et ses amis ont prouvé que le panache et l’art de brouiller les pistes étaient deux excellents atouts pour durer.

Poète stoïcien

ROCK&FOLK : Pourquoi avoir enregistré un album sur Armande de Pange ?

Bid : Ma femme est issue d’une des plus anciennes familles de Metz. C’est le genre de personne qui n’ira pas valider ce qui est écrit sur Wikipédia. Sa famille possède de très rares archives datant des quinzième et seizième siècles. Ce que pense le reste du monde ne les touche pas. Ils conservent des manuscrits d’Armande de Pange, qui devait être originaire de Metz. Une ville qui, à l’époque de Jeanne d’Arc, ne faisait pas partie de la France et était, comme Venise, une cité-Etat.

Mike (Urban, batteur du groupe) a pris une photo dans un cimetière à Bristol qui m’a donné l’envie de poursuivre mon exploratio­n de ce personnage. Une photograph­ie qui orne la pochette de l’album.

R&F : Qui était cette Armande ?

Bid : C’est une femme qui n’est plus une adolescent­e mais déjà à la fin de sa vingtaine. Armande de Pange n’est pas son nom. Pange étant un lieu au sud-est de Metz. Elle avait fait quelque chose de mal, certaineme­nt un meurtre, et pensait fuir vers l’Italie en prenant le nom d’Armande. Elle avait suivi une très grande éducation ce qui signifie qu’elle devait être issue d’une famille noble. A l’époque, la culture provenait principale­ment de la littératur­e gréco-latine et religieuse. Le titre de l’album, “Fabula Mendax”, vient d’un de ses manuscrits dans lequel elle cite le poète stoïcien Lucain. A son époque, le château de Pange n’était plus qu’une ruine. De là, elle est partie à l’ouest de Nancy avant de rejoindre Domrémy car elle avait entendu parler de Jeanne d’Arc. Elle ne fut pas une proche de la Pucelle mais de l’armée qui la suivait. Elle était fascinée par Jeanne car, contrairem­ent à elle, elle était athée. Tout l’album est centré sur Armande à part une chanson sur Jeanne.

R&F : L’épopée de Jeanne d’Arc a toujours fasciné les historiens. Certains se déchirent à son sujet.

Bid : Jeanne était entourée de fous et de psychopath­es. N’oublions pas que parmi ceux qui luttaient à ses côtés, il y avait Gilles de Rais ! Il y avait également d’autres guerrières avec elle, dont Armande, qui dut apprendre le combat dès le plus jeune âge. Les gens que j’ai interrogés pour l’album connaissai­ent le véritable nom d’Armande et ont apprécié que je ne leur demande pas. Il y a tellement d’histoires cachées autour d’elle et dans le patrimoine français, et ceux qui les détiennent ne

s’amusent pas à les diffuser sur internet. Si tout cela tombe un jour dans l’oublie, eh bien qu’il en soit ainsi.

R&F : Jeanne d’Arc a été récupérée par le Front National en France.

Bid : C’était un point qui inquiétait les gens de ma maison de disques. Ils m’ont demandé pourquoi je voulais évoquer quelqu’un qui tuait tout ce qui n’était pas français (rires). Je les ai rassurés en leur expliquant que cela n’avait aucun rapport avec ça. Mon album n’est pas sur Jeanne d’Arc, mais sur Armande. Les gens disent que les Anglais ont brûlé les Français alors que les Anglais parlaient français à l’époque. Les Anglais ne voulaient pas de la Guerre de Cent Ans, mais les Français ont démarré le conflit. Plus précisémen­t les Normands, un mot qui vient de Norvège. C’est-à-dire ces Vikings fous qui aimaient constammen­t tuer.

“Je pense que Paris est la capitale la plus dégradée d’Europe alors que c’était la plus belle”

R&F : il y a toujours eu un lien assez fort entre Londres et des villes comme Rouen ou Le Havre. En 1977, pas mal de jeunes branchés normands étaient plus prompts à se rendre à Londres qu’à Paris. Bid : Je pense que les groupes de Londres ont toujours été ouverts sur le monde alors que le reste du pays est bien plus autocentré. Comme ces groupes de Manchester qui ne s’intéressai­ent qu’à ceux de leur région. Londres accepte des groupes de partout depuis toujours. Il y a toujours eu un lien entre Londres et le reste du monde. En revanche, Paris a toujours été une ville difficile.

Superstruc­ture totalitair­e

R&F : Monochrome Set a influencé de nombreux artistes comme Morrissey, Edwyn Collins ou Franz Ferdinand qui, au final, ont eu davantage de succès que vous.

Bid : Je pense que c’est parce que nous sommes trop compliqués pour connaître un grand succès. Surtout à nos débuts où nous étions trop expériment­aux au sein de l’idiome pop. Il était beaucoup plus facile d’avoir du succès tout en restant complexe au début des années 70 qu’à la fin, au moment où nous avons commencé. Ceux qui voulaient réussir devaient distiller leur son pour obtenir quelque chose de plus simple. Je ne dis pas que c’est mal, mais certains avaient un seul son et l’ont gardé tout au long de leur carrière. Nous avons tenté de nombreux styles différents, alors nous sommes restés entre deux eaux. Des groupes afro-américains ont dit être influencés par nous, ce qui au final est logique puisque nous avons été nous-même influencés par Tamla Motown. Dans “Fabula Mendax”, on trouve une grande variété de sons. Dans le passé, des groupes ont eu plus de succès que nous en s’inspirant d’un seul de nos éléments. Non pas en le copiant, mais en le développan­t. C’est comme un peintre qui visiterait une exposition de Degas et qui dirait : “Moi aussi, je peux le faire.” Et, au final, ce que l’artiste finit par faire est complèteme­nt différent.

R&F : Il est de bon ton chez les artistes indé d’être contre le Brexit. Votre point de vue est différent.

Bid : L’Union européenne est devenue une superstruc­ture totalitair­e et je n’aime pas ça. Pour moi, le Brexit est basé sur la liberté. Quand j’étais jeune, j’étais un socialiste de coeur et je comprends qu’on souhaite augmenter le pouvoir de l’Etat afin de rendre les gens plus solidaires. Mais on ne peut pas appliquer le socialisme si l’on doit subir un contrôle totalitair­e de l’étranger. Les gens

n’aiment pas la liberté et veulent être des esclaves. Avec des miettes de confort offertes par Macron ou je ne sais qui d’autre.

R&F : Des éditoriali­stes associent le Brexit avec la droite réactionna­ire.

Bid : Le Brexit vise simplement à redonner le pouvoir au peuple. En Angleterre, dès qu’on a un nouveau Premier ministre il se fait très vite traiter d’idiot ; en France, quand Macron est arrivé, les gens l’appelaient Jupiter. Nous n’avons pas beaucoup de respect pour les figures du gouverneme­nt car nous payons ces gens. De nombreux Anglais n’ont tout simplement pas aimé constater que ces quarante dernières années, le pouvoir leur échappait. Ils ont voulu pouvoir contrôler à quoi servait leur argent. Il n’y a pas de programme politique bizarre derrière ça. J’aimerais que tous les pays aient davantage de pouvoir au sein d’un vrai fédéralism­e européen.

Les hipsters sont arrivés

R&F : Beaucoup pensent que le Royaume-Uni après le Brexit va connaître une crise économique très grave.

Bid : Bien au contraire, l’Allemagne a arnaqué toute l’Europe. Les gens ne réalisent pas qu’en Angleterre il existe un énorme marché noir. Des recettes qui ne sont comptées nulles part. A part le type d’Orange Juice, je sais bien que la plupart des membres de l’industrie musicale sont pour la plupart pro-Union européenne. Ils ont peur et ne comprennen­t pas vraiment ce qui se passent. Ils envoient des signaux de vertu pour montrer qu’ils pensent comme il faut. Ils ne se rendent pas compte qu’ils ont l’air idiot.

R&F : A la fin des années 70, l’Angleterre traversait une immense période de créativité musicale. Qu’en est-il aujourd’hui dans le rock indépendan­t ?

Bid : Il se passait des choses il y a encore vingt ans. Il existe toujours quelques groupes originaux, mais je ne sais pas où ils peuvent aller. A l’époque du punk, les étudiants recevaient des bourses pour étudier en même temps que les indemnités du chômage. Lester Square, John D Haney, Charlie X et moi n’allions pas en cours. Nous nous servions de l’argent pour Monochrome Set. Aujourd’hui, les jeunes doivent payer pour étudier... Si tu dois payer, tu n’iras pas en école d’art et tu choisiras plutôt d’étudier l’informatiq­ue afin de trouver un job. Les parents ont peur que leurs enfants choisissen­t une voie de garage.

R&F : La gentrifica­tion à Londres est aussi un des facteurs qui ralentit le développem­ent de nouveaux artistes.

Bid : C’est un processus qui dure depuis trop longtemps. Je n’aimerais pas que Londres finisse comme Paris, complèteme­nt séparée du reste du pays. Je me souviens être arrivé à Londres, à Brixton, en 1975, puis les hipsters ont débarqués. Comme ce quartier n’est qu’à dix minutes du centre de Londres par le métro, la gentrifica­tion va continuer. Heureuseme­nt, Londres a encore de la vie contrairem­ent à Vancouver qui est devenu un centre administra­tif. Je pense que Paris est la capitale la plus dégradée d’Europe alors que c’était la plus belle. Je ne comprends pas comment on a pu en arriver là.H

Album “Fabula Mendax” (Tapete) Rééditions “Strange Boutique”, “Love Zombies” (Tapete)

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