Une Telecaster plantée dans la tête
En quelques années, Claire Fauvel a montré qu’elle avait l’art de raconter des histoires vivantes. Après les aventures exaltantes de Sacha (“Une Saison En Egypte”) et la vie mouvementée d’une parlementaire indienne (“Phoolan Devi, Reine Des Bandits”), Fauvel dessine un arc-en-ciel de couleurs sur la banlieue grise de Créteil avec “La Nuit Est Mon Royaume” (Rue De Sèvres). C’est la rentrée. Deux collégiennes, Nawel et Alice, font connaissance à travers la rude réalité de la cour de récréation. Si elles vivent dans la même cité du Mont-Mesly, la première y vit depuis longtemps au sein d’une famille large d’esprit, tandis que la deuxième vient d’y arriver en compagnie de sa seule mère. Grâce à un goût partagé pour Paul McCartney et la musique des Beatles, les deux décident de fonder leur propre groupe de rock. Dans cette histoire originale et rafraîchissante, on se laisse emporter par une galerie de jeunes personnages qui ne se laissent pas bouffer par la vie et ses contraintes.
Auteur protéiforme, Philippe Dupuy a néanmoins longtemps été indissociable de son complice Charles Berberian, via les personnages d’Henriette, Monsieur Jean, puis la série “Boboland”.
On aurait pu imaginer le dessinateur et auteur confortablement installé dans sa posture d’artiste, il n’en est rien. L’homme se questionne aujourd’hui sur ses choix de vie et les personnes qu’il aurait pu devenir. Dans “J’Aurais Voulu Faire De La Bande Dessinée” (Futuropolis), Dupuy s’offre une psychanalyse de luxe en soumettant son parcours émotionnel à l’expertise amicale de Dominique A et Stéphan Oliva, deux musiciens qui auraient bien aimé faire de la BD s’ils n’avaient pas choisi un autre moyen d’expression. L’échange est riche, les personnages et les époques défilent pendant que les trois se questionnent sur la meilleure façon de créer son art. Un album très étonnant qui explore avec justesse les arcanes de la création.
Dans sa version originale parue en 2018, “Crépuscule Velvet” de l’Italienne Vittoria Moretta était un délire psychédélique en noir et blanc. Afin de rendre justice à ce récit acidulé, la maison Sarbacane a décidé de coloriser ses pages. Liam est un adolescent rêveur un peu à la ramasse. Fan d’une vamp cinématographique se faisant appeler Velvet, le jeune garçon tente désespérément de gagner un jeu-concours qui lui permettrait de passer quelques heures en compagnie de la star. Son nom est tiré au sort et il se rend au rendez-vous en compagnie de deux de ses copains dans une boîte paumée appelée The Sea Breeze. Sur place, les trois se retrouvent à affronter des situations pour le moins bizarroïdes. En perpétuel mouvement, l’ouvrage raconte à merveille tout ce qui peut arriver quand des individus se mettent dans des situations où ils ne prennent même plus le temps de réfléchir aux conséquences de leurs actes.
Décidément, l’Italie, présente ou future, n’inspire rien de très positif à la nouvelle vague de la BD transalpine incarnée par Zerocalcare, Francesco Cattani ou, ici, Simone Angelini (dessin) et Marco Taddei (scénario). Les deux proposent une dystopie inquiétante du pays à travers les trois-cents pages en noir et blanc du copieux “Quatre Vieux Enfoirés” (Rackham). Si l’histoire prend ses violentes racines en 1977 (via une Telecaster plantée dans la tête de la mère d’un des protagonistes), le corps du récit prend place en 2029 dans une société où les jeunes n’aiment pas les personnes âgées. Colt est un vieux punk qui gagne péniblement sa vie en faisant du démarchage téléphonique pour le compte d’une société chinoise. Après avoir involontairement mis le feu à sa piaule, il n’a pas d’autre choix que d’aller dans une maison de retraite, en compagnie de ses souvenirs. Là, il découvre une guitare Eko dans la salle de musique. Ni désabusé ni comique, ce récit étrange, trash et obscène peut aussi se voir comme un avertissement à tous ceux qui s’imaginent qu’il y a autre chose que le trépas au bout d’une vie punk. Ce roman graphique sera le coup de blues du mois.