Réalisme et gros nez
Depuis le couronnement de Rumiko Takahashi à Angoulême en 2019, le statut de mangaka est de plus en plus une affaire de femmes. Ce mois-ci, c’est la nouvelle série “Golden Sheep 1” (Delcourt/ Tonkam) réalisée par Kaori Ozaki qui sort définitivement du lot. Tsugu Miikura est une ado qui vit, pense et bouge avec sa Fender Stratocaster. Son univers est le rock et elle compte bien en faire le sujet central de sa vie. Suite à un déménagement, elle quitte Osaka et revient s’installer dans la ville de son enfance où elle ne tarde pas à renouer avec ses anciennes relations. Si toutes donnent l’impression de ne pas avoir changé, Tsugu ne va pas tarder à éprouver quelques doutes ; d’autant plus que certains de ses nouveaux condisciples croient dur comme fer que le “Burn” de Deep Purple n’est rien d’autre que la musique d’une pub. Histoire basée sur le thème éternel de l’adolescence, ce premier épisode est terriblement accrocheur.
Cinquante ans après son décès, Jimi Hendrix continue à passionner les foules. Cette fois, c’est le duo italien Mattia Colombara et Gianluca Maconi qui cosignent le scénario de “Jimi Hendrix — Requiem Electrique” (Graph Zeppelin) mis en cases par le second. Le résultat est une belle histoire en noir et blanc mixant adroitement, et de manière concise, les trois grandes parties de la vie du guitariste : ses origines, la gloire et la fin. Ces trois parties distinctes sont elles-mêmes séparées en autant de chapitres aux noms de chansons évocatrices. L’ensemble privilégie la réalité aux légendes popularisées après coup, et les auteurs s’amusent avec les règles du découpage BD de la même façon qu’Hendrix aimait jouer au funambule en déstructurant le classicisme de la musique.
La cinquantaine étant l’avenir de l’homme, autant se précipiter tout de suite, ou prendre en cours de route, la série “Je Veux Une Harley” (Dargaud) due à l’imagination concordante de Frank Margerin et du scénariste franco-canadien Marc Cuadrado. Dans ce sixième épisode baptisé “Garage, Sweet Garage”, les amateurs de motocyclettes du Milwaukee vont retrouver leur héros préféré, Marc Carré, en pleine crise de désarroi face à des conducteurs de voitures sans-gêne qui se garent continuellement devant la porte de son garage. Face à cette incivilité grandissante, Marc et sa femme décident d’emménager à la campagne où, forcément, il y a plus de place qu’en ville. Mais voilà, entre agrandir le garage pour avoir un peu plus de place pour les bécanes, et transformer l’endroit en club de bikers, il n’y a qu’un pas que Marc Carré ne va pas tarder à franchir au grand désespoir de ses voisins octogénaires.
“GoSt 111” (Glénat) est un surprenant album riche en adrénaline concocté par Marion Mousse, une dessinatrice qui n’hésite pas à mettre réalisme et gros nez dans le même shaker et Mark Eacersall, un scénariste venu de l’audiovisuel qui n’avait jamais fait de BD. Ajoutons-y un véritable commissaire de police caché derrière le pseudonyme d’Henri Scala et tous les fans de polar vont comprendre sans peine pourquoi l’histoire du loser en chef Goran Stankovic est une petite merveille de narration. Cette descente aux enfers du pauvre Goran sent le vécu à toutes les pages. Et personne ne s’en plaint tant les hauts et les bas du scénario sont passionnants à suivre. Caricature du poissard, Stankovic passe très vite du statut de petite fourmi à celui d’indicateur. Manière de guide de la démerde en milieu zonard, cette BD montre sous un jour amusant tous les inconvénients liés à la fonction de balance. Bien que réalisé par des personnes n’ayant jamais travaillé ensemble auparavant, ce à l’alchimie réussie fait espérer une collaboration durable.