ABSOLUMENT LIVE A LA MAISON 2
Qui a dit qu’en temps de confinement, il n’y avait plus de concerts ?
Crossroads Confined Countdown Festival (YOUTUBE)
Ça commençait à devenir franchement n’importe quoi : les rues des villes d’occident pouvaient servir de décor à un film de John Carpenter, Devo se mettait à vendre des Energy Dome à visière et des masques à son effigie, les Français entamaient la prise de leur deuxième kilo, et c’est au milieu de cette ambiance de mauvaise science-fiction que le magazine Crossroads décidait de renaître de ses cendres pour un festival en ligne de 60 jours, 200 concerts et 100 heures de musique ! Comme la folie engendre la folie, le batteur de Jesus Volt a fait l’intégralité de son concert dans son jardin seulement habillé d’un masque (jetable) qu’il portait en cache-sexe, Kent Burnside, petit-fils de RL, organisait une jam géante de country blues dans son salon, et un Little Bob royal, tout bandana dehors, entamait un marathon de chansons dans une arrière-boutique du Havre. Le tout était entrecoupé d’interventions des Excellents, groupe de l’ancien Au Bonheur des Dames Ramon Pipin, qui “massacre les standards du rock” à coup de ukulélé et de traduction française du type “Je suis une Star My-ope”. Ne manquait plus que Brian May se mette à faire des démonstrations de solo de guitare sur Instagram pour que sonnent les trompettes de l’Apocalypse.
Brian May (INSTAGRAM)
Ce qu’évidemment, l’ancien guitariste de Queen s’est empressé de faire, entre d’autres concerts où il jouait avec lui-même enregistré sur son ordinateur, le tout en short, entrecoupé de prières pour Boris Johnson et des avis d’épidémiologie qui rappelait un peu ces types au comptoir qui ont arrêté de boire mais ont beaucoup de théories sur l’alcool. Si le public n’était pas encore tombé malade après ce visionnage, il lui restait encore la reprise de “We Are The Champions” en triplex avec Roger Taylor (le roi du roulement lent) et... un type. Tout cela n’est rien face au solo de trois minutes, la guitare noyée de réverbération numérique, les lunettes de vue pendant au T-shirt, le tout ponctué d’un mouvement de sourcils approbateur... Comme quoi, comme le vin, un mauvais groupe ne fait que s’empirer avec le temps.
Il y eut deux votes inutiles pendant la première vague d’épidémie du coronavirus : celui pour le premier tour des municipales et celui pour la chanson des Doors que les internautes souhaitaient que Robby Krieger leur enseigne. Dans un superbe home studio (qui ne doit pas servir à grand-chose vu la production du bonhomme depuis 1995), Robby Krieger reprenait ses instruments d’époque pour nous montrer comment jouer “Roadhouse Blues” (vraiment les gars ? Vous ne pouviez pas trouver tout seul ?), “Moonlight Drive” (que lui-même a du mal à rejouer), “Spanish Caravan” et “People Are Strange”. Chose mystérieuse, Robby les interprétait par-dessus ses propres disques, ce qui en dit long sur l’état de délabrement de cette culture, ayant désormais pour seul horizon de se décortiquer elle-même, un peu comme un chien qui finirait par renifler son propre derrière. Tristesse, tristesse, tristesse.
Metallica (INSTAGRAM)
On ne sait pas vraiment à quel moment du tournant du siècle, Metallica est devenu un groupe intello mais à voir le sérieux de James Hetfield, T-shirt gris et petites lunettes, empoignant sa guitare acoustique superbement amplifiée face à ce bureau en bois précieux qui pourrait aussi bien lui servir à écrire ses mémoires, on comprend pourquoi ces quatre gars ont fini par devenir le plus gros groupe à guitares du monde. Pas de blabla, pas de nostalgie, mais un nouveau morceau, “Blackened 2020”, franchement OK, joué à la perfection par un Kirk Hammett en version zombie de lui-même, un Lars Ulrich au backbeat toujours bluffant, et un Robert Trujillo dont les biceps ont l’air d’avoir un peu descendu vers la ceinture abdominale. Hormis le fait qu’aucun de ces types n’ait l’air d’habiter sur le même fuseau horaire, Metallica reste cette machine de combat indestructible, ce qui tombe bien car “nous sommes en guerre”.
“Salut, c’est Nick Lowe, je vais jouer quelques chansons au hasard, un peu comme un plat du jour dans un restaurant. Comme je n’ai jamais fait ce genre de truc, si je fais des erreurs, considérez que ça fait partie du show.” Nick Lowe, tournant le dos à des jacinthes, joue ses impeccables chansons, sans faute d’aucune sorte, ni musicale ni vestimentaire, pas même d’ameublement — lui qui a par ailleurs la décence de nous épargner la vue des quelques oeuvres qu’il a au mur. Un petit set impeccable donc, pour cet homme impeccable à la carrière impeccable.
The Brian Jonestown Massacre (INSTAGRAM)
The Brian Jonestown Massacre, groupe à géométrie variable, devient, en période de confinement, Anton Newcombe seul, avec une balalaïka, ce qui nous donne six cordes, dix doigts, un masque blanc sous la gorge et un collier en os autour du cou. Pour tout set, une ritournelle sans parole ni blabla, filmée sobrement au téléphone, en position portrait. Résumé parfait de ce que sera le monde sans concert : alors que les Dandy Warhols ne seront plus que des skins Fortnite dont personne ne voudrait, même gratuitement, Anton Newcombe hantera les rues vides des villes pour des performances de trois heures avec des instruments du monde qu’il réussit à faire sonner toujours de la même façon : psychédélique.
Beechwood (INSTAGRAM)
Filmés chez Sid Simons, à deux pas de cette porte qui fait le bruit de Chewbacca quand elle se ferme, Sid et Gordon ont chanté “Bigot In My Bedroom” la semaine du déconfinement à New York, histoire de fêter le retour à la normale : des citoyens noirs tués par la police, la prétention forcenée d’un président trop stupide pour ne pas parler en permanence de son QI...
Gaz Coombes (INSTAGRAM)
Sans regarder une seconde la caméra, car entièrement absorbé par sa chanson, Gaz Coombes chante pour un ailleurs qui semble n’appartenir qu’à lui. Cet homme à chapeau et mascara, dégouline tellement de talent qu’on a presque honte de le regarder sans avoir à lui donner de l’argent.