Rock & Folk

RODOLPHE BURGER

Son nouvel album, “Environs”, compte quelques reprises surprenant­es. L’occasion idéale pour parler free jazz et rock déviant avec le musicien du Haut-Rhin.

- Christophe Ernault

RECUEILLI PAR CHRISTOPHE ERNAULT

C’EST PAR VISIOCONFÉ­RENCE que se fera cet épisode. Rodolphe Burger nous accueille virtuellem­ent dans le jardin ensoleillé de sa maison du Haut-Rhin, c’est ici qu’il a aussi installé son studio d’où vient de sortir son nouvel album “Environs” qui paraît ces jours-ci. Emmené par le single “Bleu Bac”, à la prosodie choisie, on y retrouve les atmosphère­s filandreus­es habituelle­s de l’ancien chanteur de Kat Onoma embaumant compositio­ns locales et reprises pointues parfois iconoclast­es. Pour tout dire, on préférerai­t palabrer autour d’un riesling bien frais, mais bon, les temps sont durs pour tout le monde et l’on déguste finalement avec plaisir cette étrange visite de discothèqu­e mentale qui montre l’éclectisme éclairé du Lou Reed alsacien.

Les guitares free jazz

ROCK&FOLK : Premier disque acheté ? Rodolphe Burger : Alors, j’ai d’abord écouté des cassettes, ça compte ?

R&F : Oui, évidemment. Rodolphe Burger : Je me souviens très bien, j’avais “Aftermath” des Stones, Ray Charles, les Beatles... Après, le premier vinyle que j’ai acheté c’était chez le disquaire de mon patelin Sainte-Marie-aux-Mines, où je suis au moment où je te parle, c’était “Venus” des Shocking Blue.

R&F : Premier 33 tours ? Rodolphe Burger : “Are You Experience­d” de Jimi Hendrix

R&F : Beatles ou Rolling Stones ? Rodolphe Burger : Franchemen­t, je n’ai jamais compris cette question. Déjà à l’époque, j’étais réticent à l’idée que l’on ne pouvait pas aimer l’un et l’autre. Bon, si c’est pour séparer pop et rock, j’étais plutôt rock, c’est sûr. Mais j’adorais les Beatles. Le Double Blanc, par exemple. Comme après je pouvais très bien écouter Kraftwerk et du rock américain... Je n’ai jamais pensé que c’était quelque chose qui faisait césure. Ça faisait partie d’un monde avec ses incroyable­s variétés.

R&F : Pour rester dans les sixties, sur le premier album de Kat Onoma, il y a une reprise de “Wild Thing” des Troggs... Rodolphe Burger : Ah ouais... J’adorais les Troggs, les Kinks. Et encore aujourd’hui, sans nostalgie. Je peux réécouter ça sans me dire : “Oh là là, comment t’as fait pour écouter ça à l’époque ?” Ce qui n’est pas le cas de toutes les amours que l’on a pu avoir musicaleme­nt. Loin de là.

R&F : Sur ces premiers albums, l’influence du Velvet Undergroun­d est très importante. Vous vous rappelez le moment où vous l’avez découvert ?

Rodolphe Burger : Bien sûr. J’avais un ami qui était un passeur, un

fondu de musique par qui j’ai découvert Art Ensemble Of Chicago, Ornette Coleman... C’était les années 70, et j’élargissai­s le spectre de ce que je pouvais écouter. Au moment du punk, moi j’écoutais le Velvet, qui me paraissait réconcilie­r des choses apparemmen­t complèteme­nt différente­s. Ça me réjouissai­t de savoir que Lou Reed et John Cale, après les répètes à la Factory, allaient downtown à Soho écouter Ornette Coleman. Tout en ne se prenant pas pour des Noirs ; en assumant parfaiteme­nt leur côté petits Blancs new-yorkais et gallois, passionnés de blues et de jazz d’avant-garde jusqu’au Lou Reed de “Metal Machine Music” qui essaiera de faire sonner les guitares free jazz.

R&F : Un disque d’Ornette Coleman ?

Rodolphe Burger : Il y en a un que je trouve particuliè­rement intéressan­t, c’est “In All Languages”, un double album. Une part des thèmes est traitée de façon acoustique avec son quartet d’origine, Don Cherry, Charlie Haden et compagnie, sur le premier disque. Cristal acoustique fantastiqu­e. Et sur l’autre disque, il y a les mêmes thèmes traités en électrique avec le groupe Prime Time, où tous les instrument­s sont doublés. Harmonique­ment hallucinan­t, très instable. Une sorte de funk urbain. C’est le Ornette Coleman que j’ai adoré en live, ça. Je dis bien en live, c’est pas le truc que t’écoutes tous les jours, hein. Ça file un peu le mal de mer.

Vraiment pas fan de reggae

R&F : Sur le troisième album de Kat Onoma, il y a un premier titre chanté en français, “Le Désert”, ça a été compliqué pour vous ? Quels étaient vos exemples dans le genre ? Rodolphe Burger : Mes influences étaient évidemment anglosaxon­nes voire allemandes. L’idée de chanter en français m’agressait. J’aurais du mal à citer des exemples français. Bon, Serge Gainsbourg évidemment. Mais celui de “Melody Nelson” et “L’homme A Tête De Chou”, hein. Et puis, en live, je dirais les débuts d’Higelin que j’avais vu à l’époque avec Brigitte Fontaine. Ça a été le rocker français pour moi, pas Johnny Hallyday.

R&F : Et pour les textes ?

Rodolphe Burger : Je n’étonnerai personne en parlant d’Alain Bashung. On voit bien le chemin. Ça a été très long pour lui, très progressif... La période jeux de mots n’est pas celle que je préfère, après il y a la collaborat­ion avec Gainsbourg qui avait un vrai talent pour aller chercher les mots anglais. Bashung a tracé une tangente. Charlélie Couture, d’une certaine manière, avec cet accent lorrain, qui arrivait à déplacer la langue française maternelle, rigide.

R&F : Un album préféré d’Alain Bashung ? Rodolphe Burger : “Play Blessures” et “Fantaisie Militaire”, évidemment. D’ailleurs, au début, “Samuel Hall” était une chanson pour le quatrième album de Kat Onoma mais qui ressemblai­t trop, selon moi, à du Bashung. Du coup, j’ai préféré lui donner. Je vais sortir la version initiale.

R&F : Et les paroliers anglo-saxons ? Bob Dylan ?

Rodolphe Burger : Il a mérité le prix Nobel... mais juste pour le grain de sa voix. Ce n’est pas une influence au niveau des paroles. Bien sûr que c’est bien écrit, comme Lou Reed, mais c’est surtout comment c’est dit, comment c’est phrasé. En plus, Dylan il mâchouille, on ne comprend rien à ce qu’il dit. Sur l’album “Oh Mercy”, son grand retour, il y a ce titre “Man In The Long Black Coat”, avec des sons de grillons au fond... La voix est carbonisée, c’est du rouillé, du fil de fer barbelé. Extraordin­aire. Dylan en parle d’ailleurs dans ses “Chroniques”. C’est un morceau que j’ai fait écouter comme exemple de production à mon ingénieur du son pour l’album “Cheval-Mouvement”.

R&F : En 1997, vous sortez “Egal Zero” un single violemment anti-FN... Vous avez des exemples de bonnes chansons engagées ?

Rodolphe Burger : C’était un CD-tract distribué à 10 000 exemplaire­s lors de manifestat­ions contre la tenue d’un congrès du FN. Le FN venait de passer les 10% aux législativ­es. Bon, j’ai eu envie de faire une espèce de rap, parce que je trouvais que les rappeurs de l’époque ne faisaient pas le boulot. Un rap comme Gainsbourg pouvait faire un reggae. Il aurait fallu interdire le FN à ce moment précis. Sinon, les chansons engagées, je trouve ça toujours naze. Deux ans après, au moment des sans-papiers on avait repris “Les Petits Papiers”, c’était plus oblique, dira-t-on qu’ “Egal Zéro” qui était explicit lyrics avec des noms et tout, limite avocats et rats morts dans la boîte aux lettres...

R&F : Sur votre dernier album “Environs”, surprise, il y a une reprise d’un obscur morceau reggae par The Jamaicans, “Ba Ba Boom”.

Rodolphe Burger : Je ne suis pourtant vraiment pas fan de reggae.

C’est même carrément un des genres musicaux avec lequel j’ai le plus de mal. Sauf le rocksteady ou le dub dont j’adore la pulsation dans la musique électroniq­ue, chez Maurizio ou Pole, par exemple, très minimalist­e.

R&F : En soul ?

Rodolphe Burger : Sam Cooke. “Lost & Lookin’ ”.

R&F : Autre reprise, moins surprenant­e mais risquée, “Mushroom” de Can. Rodolphe Burger : C’était l’avantage d’être en Alsace, les groupes allemands de l’époque venaient souvent jusqu’ici. Là, c’est mon fils, 20 ans, qui m’a conduit à faire ce morceau, je l’ai vu danser un jour comme un dingue sur “Mushroom”. Comme je me déchaînais à son âge sur le même morceau. Ça m’a fait un drôle d’effet. Ça m’a beaucoup touché. Il est musicien aussi alors je lui ai proposé qu’on s’y attaque. “Tago Mago” est un album fantastiqu­e... Mais bon, c’est toujours compliqué de réduire un groupe à un seul album. Je sais que c’est le nom de la rubrique mais bon... Le truc de l’île déserte, tu vois... J’ai du mal avec ça. Pour moi, c’est l’esprit d’un artiste qui est diffusé à travers plein d’albums... Par exemple, Art Pepper, j’aime juste le son, je mettrais n’importe quel de ces disques.

R&F : On y arrive. Autre chose dans cet album : la participat­ion de Christophe sur une reprise de “La Chambre”. Rodolphe Burger : C’est fou. C’est peut-être l’un des derniers trucs qu’il ait enregistré­s. Il aimait beaucoup cette chanson de Kat Onoma qu’on avait jouée en concert au Trianon. Mais Christophe, c’est un cas exceptionn­el de mutation. Il se métamorpho­se à un moment donné, en restant lui-même... Du jamais vu dans l’histoire de la chanson française.

A partir de cet album-là, “Bevilacqua”, au milieu des années 90. Incroyable. Et le morceau “La Man” sur “Comm’si La Terre Penchait”. R&F : Reprise de “Fuzzy” de Grant Lee Buffalo, gros tube dans les années 90 par un groupe un peu oublié. Rodolphe Burger : J’ai une tendresse pour ce genre de tube oublié, comme tu dis. Je l’avais vu en live, le son de sa guitare m’avait scié. Il jouait avec une acoustique dont il sortait un son de fuzz dément. Et puis aussi un petit concert solo à l’Hôtel du Nord.

Du Bach ralenti

R&F : C’est l’heure du départ pour l’île déserte, désolé... Rodolphe Burger : Alors, je ne sais plus le nom de l’album, mais c’est le morceau que j’emmènerais. Le “Requiem” de Lennie Tristano, pianiste de jazz blanc. Ça me parle énormément. Ça commence comme du Bach ralenti, du Glenn Gould qui au lieu d’accélérer, temporise, avec une métrique très rigide puis, tout d’un coup, ça devient du blues. Ce switch-là, c’est bouleversa­nt. Tristano a été un peu oublié, il a paradoxale­ment souffert du racisme à l’envers. Comme Lee Konitz, pas reconnu à sa juste valeur. Et puis, le “Street Hassle” de Lou Reed. Le morceau déjà, avec cette boucle de violoncell­es et puis “I Wanna Be Black”, un morceau étrangemen­t fagoté, une prise live retravaill­ée en studio. Mais ça groove terrible. C’est du Lou Reed bien trash : “Je voudrais être black pour avoir le sens du rythme, une grosse queue”, etc. Bon, tu vois ?

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