ROBBY KRIEGER
Le guitariste des Doors revient avec un album instrumental plus jazz que rock, mais sur lequel plane toujours l’ombre de Jim Morrison.
ROBBY KRIEGER, 74 ans, publie “The Ritual Begins At Sundown”, qui doit plus à Frank Zappa qu’aux Doors. Avant l’interview, son manager fait les sempiternelles recommandations : “On est là pour parler de ce nouvel album, pas de Jim Morrison, etc.” Pourtant, pour s’occuper pendant le confinement, Robby publiait sur le Net des vidéos montrant comment jouer les parties de guitare des… Doors, et aborde lui-même le sujet sans problème. C’est la grande affaire de sa vie et il le sait.
Grosse erreur
Rock&Folk : Ce nouvel album est très jazzy, une direction que vous avez prise dès les seventies...
Robby Krieger : Oui, après les Doors, j’ai commencé à fréquenter de plus en plus de musiciens de jazz. J’adore cette musique. Je pense que c’est une progression naturelle. Certains continuent à jouer éternellement les mêmes vieux trucs, moi je m’ennuierais.
R&F : L’élément jazz était-il déjà présent dans les Doors ?
Robby Krieger : Oh oui ! John Densmore était dans l’orchestre de jazz de notre lycée, à Los Angeles, et il m’a présenté des musiciens. Avant ça, je jouais du flamenco, du folk, je n’y connaissais pas grand-chose. Et Ray Manzarek, à Chicago, avait vu jouer beaucoup de jazzmen. Nous étions tous intéressés par le jazz, et si Jim avait vécu, nous serions peut-être allés dans cette direction.
R&F : Jim Morrison aussi était intéressé par le jazz ?
Robby Krieger : Absolument ! Il avait cette incroyable capacité à chanter juste, nécessaire dans le jazz, et je suis sûr qu’il aurait été très bon pour ça... Jim adorait Frank Sinatra.
R&F : L’album est instrumental. Vous n’écrivez plus de chansons ? Robby Krieger : J’en ai écrit quelquesunes pour des films, vous devriez les entendre bientôt. Mais j’essaie d’avoir de meilleurs chanteurs que moi pour les interpréter... Je n’aime tout simplement pas le son de ma voix.
R&F : Vous n’avez commencé à chanter qu’après la mort de Morrison, quand vous avez décidé de continuer les Doors. Vous n’aviez pas d’autre choix ? Robby Krieger : Après son décès, on a décidé que nous n’irions pas chercher quelqu’un pour jouer Jim, que ça serait un manque de respect. Ray et moi avons dit : “Ok, on peut chanter.” Grosse erreur ! C’est tellement dur de remplacer un gars comme Jim Morrison... On a essayé : après ces deux albums, on est allé en Angleterre en pensant trouver quelqu’un de différent. Ça n’a pas été le cas...
R&F : “Slide Home” est magnifique. La slide guitar est en quelque sorte votre marque de fabrique. Est-il vrai que c’est Morrison qui vous a poussé à en jouer davantage ?
Robby Krieger : Oui, il adorait ça ! Je pense que c’est pour ça que j’ai fini par me retrouver dans le groupe. La première fois que j’ai joué de la slide, à l’audition, ils sont devenus dingues. A cette époque, il n’y avait pas grand monde qui en jouait, surtout des bluesmen, en acoustique. Mike Bloomfield en jouait un peu... Duane Allman n’était pas encore arrivé. Le champ était libre. J’ai toujours pensé que mon jeu de slide était un peu différent parce qu’il n’est pas entièrement basé sur le blues.
J’ai choisi le feu
R&F : Et puis il y a la reprise des Doors... Robby Krieger : Oui, j’ai écrit “Yes, The River Knows” et, pour une raison ou pour une autre, cette chanson a été un peu négligée. Je l’aime beaucoup et, à mon avis, la partie de piano de Ray est l’une de ses toutes meilleures.
R&F : Est-il vrai qu’aux débuts du groupe, Jim Morrison a demandé à chacun d’écrire une chanson et que vous êtes le seul à l’avoir fait ?
Robby Krieger : Oui, juste avant le premier album. Jusque-là, Jim était l’unique auteur, il avait ces textes incroyables ! Je lui ai demandé : “Sur quoi devrais-je écrire ?” et il m’a répondu : “Ecris à propos de quelque chose d’universel, qui soit toujours valable dans vingt ans.” Je me suis dit : “Qu’est-ce qu’il y a de plus fondamental ? La terre, l’air, le feu et l’eau...” J’ai choisi le feu, parce que j’aimais cette chanson, “Play With Fire”.
R&F : C’était difficile d’apporter des chansons à Jim Morrison, connaissant son talent pour les mots ?
Robby Krieger : Oui, c’était un peu stressant, mais il était tellement ouvert, c’était son idée, il était super pour ça. Quand je lui apportais une chanson, il ne la tournait jamais en ridicule, aussi stupide soit-elle...
R&F : John Densmore et Ray Manzarek ont chacun écrit une autobiographie. Avez-vous été tenté de le faire ? Robby Krieger : Oui... Mais dans leurs livres, ils réglaient leurs comptes, en mentionnant les procès, etc. Je voulais éviter ça… Mais je vais vous faire une confidence... je suis en train de l’écrire !
★