Rock & Folk

THURSTON MOORE

Depuis la séparation de leur groupe, l’ex-mari de Kim Gordon explore les mélanges de guitares à six ou douze cordes avec son Thurston Moore Band.

- Thomas E. Florin

L’HOMME MESURE ENVIRON UN MÈTRE QUATRE-VINGT-QUINZE. Il plane haut. Trop haut même, pour certains. Sonic Youth, ce groupe qu’il a fondé à vingt-trois ans, représente beaucoup. Une époque, une mentalité, un public. Un public surtout. Parfois, on peut ne pas aimer un groupe à cause de ses fans. Mais souvent, les fans ressemblen­t aux membres du groupe. Pourtant séparées depuis 2011, aucune des deux parties ne semble s’en être remise. Durant l’heure d’interview passée dans une loge du Centre Pompidou, où Moore devait lire des poèmes de John Giorno, il en parlera, énormément. Sans qu’on ne lui demande rien. Car, il est possible d’aimer les albums de Thurston Moore sans aimer Sonic Youth.

Comme des dahlias au soleil

Depuis 2014, il se passe quelque chose. Thurston Moore sait faire fleurir les guitares comme s’ouvrent les dahlias au soleil. Avec l’album “The Best Day”, il tournait une nouvelle page du rock new-yorkais. Depuis le Velvet Undergroun­d, les notes y scintillen­t comme les guirlandes sur le pont de Brooklyn, mais avec le Thurston Moore Band, la musique contient une respiratio­n supplément­aire. Réflective. Ce sont ces deux guitares, la sienne et celle de James Sedwards qui, plus que de s’unir, ne sont qu’une. Deux Jazzmaster dans les deux mêmes amplis ; un même son qui, en six ou douze cordes, soit jusqu’à vingt-quatre notes, carillonne et harmonise sans fin.

Quel est leur secret ? Thurston Moore, soixante-deux ans, croise ses longues jambes au bord d’un minuscule fauteuil et regarde au loin, vers la cafetière Nespresso à droite de la porte des toilettes : “Avec Sonic Youth, le jeu de guitare était plus unifié. Sonic Youth avait une voix particuliè­re, comme si le groupe était un personnage. Cette chose est possible quand on est jeune et que le groupe progresse de manière organique, jusqu’à ce qu’il meure. Avec le Thurston Moore Band, je ne dis pas aux musiciens ce qu’ils doivent jouer car je sais qu’ils vont utiliser le langage musical que je cherche pour mes chansons...”

Des tournevis dans une guitare

L’interview est courte et les réponses longues, juste le temps d’aborder un peu ce Thurston Moore Band dont les concerts sont littéralem­ent à pleurer. Deux guitares sublimes donc, une section rythmique de rêve — Deb Googe de My Bloody Valentine à la basse, Steve Shelley à la batterie, remplacée pour cet album par Jem Doulton —, une musique qui s’étire et ensorcelle. “… Je ne dirai jamais à Deb Googe quoi jouer. Elle vient souvent en répétition sans sa basse. Elle s’assoit, elle me filme avec son téléphone, retourne chez elle et, trois jours plus tard, elle a créé son truc. Quant à James Sedwards, ses deux groupes préférés sont The Fall et Led Zeppelin. Et il connaît tout sur Sonic Youth. Quand il a commencé à jouer avec moi, il n’avait pas trop de place pour exprimer sa fascinatio­n pour Led Zeppelin. J’adore le groupe, mais le faire dans le contexte de ma musique n’aurait pas trop de sens...” Ensemble, ils enchaînent les albums :

eeThe Best Day”, donc, en 2014, une sorte de mini chef-d’oeuvre, “Rock n Roll Consciousn­ess” en 2017 et “By The Fire”, désormais, en 2020. Ici s’ouvre la retraite hippie de la génération punk, son retour à la nature, dans le nord de l’Etat de New York, au pied des Catskills, proche de Woodstock. “... Mais James peut jouer un solo de guitare brûlant, comme sur ‘Cantaloupe’, et ce n’est pas une blague. J’ai même l’impression que faire ce solo classique au milieu de cette chanson, c’est le truc le plus expériment­al qui soit. Comme dans Sonic Youth, quand on a commencé à mettre des motifs mélodiques dans la musique. Je me souviens avoir apporté des arpèges pour l’introducti­on de ‘Brave Man Run’ sur ‘Bad Moon Rising’, et Lee a dit : ‘Ohhh, c’est intéressan­t, parce que tu fais référence au Feelies’, alors qu’avant ça, nous n’étions que baguettes de batterie, tournevis, explosions et bruit d’ampli, à essayer de faire des chansons avec ces sons...”

Et pourtant, à travers les albums du Thurston Moore Band, l’on sent déjà une déperditio­n. Les disques sont bons, mais vivent mal la comparaiso­n les uns avec les autres. Puis l’expériment­ation, que Moore cantonnait dans des disques à part, prend de plus en plus de place. “... alors qu’avec ‘Bad Moon Rising’, nous étions dans un aspect plus traditionn­el. Et pour nous, faire du rock traditionn­el, c’était un geste expériment­al. Beaucoup plus que planter des tournevis dans une guitare. Parce que ça, c’est très facile : tout le monde peut le faire.” ★

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France