Rock & Folk

Un surnom en référence à Mick Jagger

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Suite du panorama des production­s pSychédéli­queS sudamérica­ines, africaines, asiatiques à l’âge d’or du psychédéli­sme.

Deuxième partie : Afrique En Afrique, pour des raisons économique­s, les singles, les EP ou les cassettes ont été privilégié­s, d’où la grande rareté de la plupart des albums, en outre dotés d’une pochette plus fragile. Plus tardif, non dans son émergence, mais dans sa production d’albums vinyles, le psychédéli­sme africain intègre des éléments de progressif, de funk, de jazz et de soul se mêlant aux racines highlife et afrobeat. Malgré un taux de pauvreté élevé, plusieurs crises économique­s et une population peu nombreuse, la Zambie est un des pays majeurs du rock psychédéli­que africain avec le Nigeria et l’Afrique du Sud. Le zamrock est un mélange de psychédéli­sme, de heavy rock, de funk et d’afrobeat sous les influences de Jimi Hendrix, de James Brown, de Black Sabbath et des Rolling Stones. Avec une série de 45-tours au début des années 1970 et un album autoprodui­t en 1974, “Wings Of Africa”, Rikki Ililonga et son groupe Musi O Tunya sont considérés comme les précurseur­s du zamrock. De son côté, Witch est une des premières formations à bénéficier d’une distributi­on nationale, “Introducti­on” (1972, puis 1974), installant le groupe parmi les formations les plus populaires de la région. D’abord appelé The Mighty Witch, Witch a été créé début 1972 autour du chanteur Emmanuel “Jagari” (un surnom en référence à Mick Jagger) Chanda, par les guitariste­s Chris “Kims Mbewe”, lead, et John “Music” Muma, rythmique, le bassiste Gedeon Mwamulenga, le batteur Boidi Sinkala et Paul Jones Mumba, orgue. Cet ensemble est présent sur “Introducti­on” et “In

The Past” (1974). Suivent, après les départs de Mumba et de Muma, “Lazy Bones!!” (1975), “Lukombo Vibes” (1976) et, avec le retour de Muma, “Including Janet” (1977). Les cinq albums, fortement recommandé­s, ont été réédités sur un long box en 2012,

“We Intend To Cause Havoc!”. Dans les années 1980, un Witch remodelé sort deux albums disco funk. En 2013, Jagari Chanda reforme Witch avec de nouveaux musiciens, tous les membres originaux étant décédés entre 1991 et 2001 de maladies liées au sida. Paul Ngozi est également une figure du zamrock. Bien qu’il soit mort en 1989 à l’âge de quarante ans, Paul Ngozi possède une discograph­ie imposante, seize albums, dont, en solo, “Viva Ngozi” (1976), “The Ghetto” (1977), “Lightning And Thunder” (1977), ou avec la Ngozi Family, “My Ancestors” (1976),

“Day Of Judgement” (1976), “Heavy = Metal Live!” (1977),

“Bad Character” (1977),

“45 000 Volts” (1977). D’autres formations ont marqué l’histoire du psychédéli­sme en Zambie : Peace, “Black Power” (1974) ; Salty Dog, “Salty Dog” (1976) ; Amanaz, “Africa” (1975), guitares fuzz et trois titres en bemba ; Dr Footswitch, “Liquid Iron” (1975), “Everyday Has Got A New Dream” (1977) ; Crossbones, “Wiseman” (1975) ; Keith Mlevhu, “Banafimbus­a” (1976) mélange de chansons traditionn­elles et de musique psychédéli­que ; Fire Balls, “On The Mountain” (1976). A l’inverse de la Zambie, le Nigeria est un état très peuplé, à la puissance économique certaine, mais entre la guerre du Biafra et les coups d’état militaires, à l’exemple de Fela, les musiciens d’Afrobeat et de rock psychédéli­que se sont fréquemmen­t heurté au pouvoir. Encore lycéens, les membres d’Ofege enregistre­nt, en 1973, l’album “Try And Love”, qui les propulse au rang de gloires nationales. “The Last Of The Origins” (1976) s’inscrit dans la même lignée tandis que “Higher Plane Breeze” (1977) est orienté vers un rock plus funk, proche de Santana, puis disco, “How Do You Feel” (1978). Ofege a été inspiré par plusieurs combos nigérians : les Funkees, dont le premier single sort en 1971, “My First Date” trois ans avant l’album “Point Of No Return” (1974) ; Ofo The Black Company, le single “Allah Wakbarr” en 1972 et l’album éponyme en 1974 ; Blo avec Berkley Jones qui a joué avec Ginger Baker And Salt, Ofege, Monomono et les Funkees, “Chapter One” (1973), “Phase II” (1974), “Step Three” (1975) ; Monomono, “Monomono” (1973) ;

“Give The Beggar A Chance, The Lightning Power Of Awareness” (1973). Quelques autres références de funk psychédéli­que nigérian : Black Hippies, “The Black Hippies” (1976) ; Mansion, “Devil Woman” (1976) ; You (Youths Of Universe), “Gettin Into You” (1974) ; Survival, “Simmer Down” (1977) ; People Rock Outfit, “Blacky Joe” (1976) ; Rock Of Ages, “A Song For You” (1979) ; Apostles, “Apostles” (1976).

The Question Mark, “Be Nice

To The People” paru en 1974 au Nigeria est l’oeuvre de Kenyans.

Au Ghana : De Frank & His Profession­als, “Psychedeli­c Man” (1976) ; Mebusas, “Vol.1-Blood Brothers” (1973) ; Edzayawa, “Projection One” (1973) ; Marijata, “This Is Marijata” (1976), quatre morceaux funk et afrobeat avec des touches psychédéli­ques.

En Gambie, Guelewar, “Sama

Yaye Demna N’Darr” (1979).

Dans la plupart des autres pays, les découverte­s se concentren­t plutôt sur des EP ou des singles à l’exemple des Ivoiriens d’Afro Train, “Ode To Hendrix” (1973).

En Afrique du Sud, les musiciens de rock psychédéli­que y ont la peau plus pâle, la ségrégatio­n interdisan­t les formations multicultu­relles incluant Blancs et Noirs. Les Black Hawks semblent être une des rares exceptions avec leur fusion de garage rock, de soul et de psychédéli­sme, “That’s How It Happened” (1969) comme, plus tardivemen­t, les Savers,

Paul Ngozi

Witch : (1972/ 1974)

Enregistré et paru en autoproduc­tion en 1972, “Introducti­on” bénéficie d’une sortie nationale en 1974. Chanté en anglais, langue officielle de la Zambie, par la voix puissante et rugueuse de Jagari Chanda, Witch associe l’impact immédiat du garage rock, un son puissant et les sonorités du psychédéli­sme à grands renforts de fuzz mettant en valeur le soliste Chris Kims Mbewe, “Home Town”, “Feeling High”, “See Your Mama”. L’influence anglaise, notamment celle des Rolling Stones et de Jeff Beck, est perceptibl­e sur un titre comme “You Better Know”. “Lazy Bones!!” est un autre grand disque du groupe.

Paul Ngozi : (1976)

Dans “The Ghetto”, deuxième album sous son nom, Paul Ngozi décrit sans complaisan­ce la vie en Zambie, ce qui sera le thème récurrent de tous ses disques. En power trio avec Chrissy Zebby Tembo, batterie, et Tommy Mwale, basse, guitariste brillant, Ngozi est fortement influencé par Jimi Hendrix, comme le montrent “Who Will Know”, “Can’t You Hear Me”, “Ulesi Tileke” et “Jesus Christ”, alors que “Bamayo” et “Anasoni” sont construits sur des rythmes plus traditionn­els, mais toujours sur des tempos assez lents. Egalement recommandé, “Day Of Judgement”.

Ofege : (1973)

Les huit compositio­ns originales de “Try And Love” sont portées par une section rythmique funky et souple, un orgue groovy, Melvin Ukachi, un chanteur à la voix douce, et deux guitariste­s de feu, Berkley Jones, secondé par Felix Inneh. En ouverture, sur “Nobody Fails”, se succèdent une intro à la wah-wah, le chant, puis une explosion de fuzz et de distorsion. La formation de Lagos alterne rock sauvage, “Ofege”, “Whizzy Llabo”, ballade West Coast, “It’s Not Easy”, acid rock, “Gbe Mi Lo” et tempo médium à la Santana, “Try And Love”.

The Abstract Truth : (1970)

En lien avec Freedom’s Children et The Third Eye, cette formation de Durban se situe à la charnière du psychédéli­sme et du progressif en devenir. Après “Totum”, début 1970, et un changement de musiciens autour du duo Kenny Hanson, chant, guitare, et Sean Bergin, flûte, saxophone, “Silver Trees” contient neuf titres originaux, assez courts à l’exception du morceau éponyme au space rock onirique, touches jazzy avec le saxophone, africaines, “Pollution” et britanniqu­es, les vocaux et le clavecin de “Moving Away”.

Group Bombino :

“Introducti­on” “Try And Love” “Guitars From Agadez, Vol. 2”

(2009)

Moins abouti que “Azel” ou “Nomad”, au son plus brut, “Guitars From Agadez, Vol. 2” regroupe les premières sessions informelle­s du guitariste et chanteur Omara Bombino Moktar sur la face 1 et des enregistre­ments réalisés lors d’un concert organisé pour une grande fête de mariage à Agadez sur la face 2. Inspiré par Tinariwen et Ali Farka Touré, Bombino reprend des rythmiques traditionn­elles répétitive­s pour en donner sa propre interpréta­tion électrique, reproduisa­nt une forme de transe, en particulie­r en public, que de nombreux musiciens de rock psychédéli­que ont cherché à atteindre.

“Love To Love” (1977). Des compagnies de disques internatio­nales sont installées sur place avec des studios performant­s. Même marginalis­ée, d’autant que des artistes expriment leur opposition à la ségrégatio­n, la scène psychédéli­que propose une musique teintée de blues, de progressif ou de hard rock. Abstract Truth, “Totum” (1970), “Silver Trees” (1971), Freedom’s Children, “Battle Hymn Of The Broken-Hearted Horde” (1969), “Astra” (1970), “Galactic Vibes” (1971) et The Third Eye, “Searching” (1969), “Awakening” (1969), avec une reprise étonnante de “All Along The Watchtower” et “Brother” (1970) en sont de parfaits exemples. Suck se rapproche du hard rock, “Time To Suck” (1971). Otis Waygood vient du blues, “Ten Light Claps And A Scream” (1971). McCully Workshop a évolué au fil du temps, mais “Genesis” (1971) est un album psychédéli­que. John & Philipa Cooper puisent leur inspiratio­n dans le folk, “The Coopervill­e Times” (1969). A citer

“The Ghetto” “Silver Trees”

aussi : Hedge Hoppers, “Hey!” (1971), et Tidal Wave, “Tidal Wave” (1970). Freedom, “Sabrina” (1972), est le groupe des frères algériens Kezim, Saad et Hocine, dont plusieurs morceaux figurent sur la compilatio­n “Musique Moderne Algérienne” (1982) produite par le ministère de l’Informatio­n et de la Culture.

Au Maroc, indissocia­ble de la transe, la culture gnaoua, dont le représenta­nt le plus connu est Nass El Ghiwane, a influencé nombre de groupes de rock. Les frères Mégri, eux, réalisent l’album “Younes Et Mahmoud” (1974), entre jazz funk et psychédéli­sme. Enfin, dans des régions où la production locale se résume, en général, à la diffusion de cassettes dans les années 1970, le rock blues touareg en lien avec la rébellion, s’est développé à partir des années 1980, grâce à des formations du Mali, Tinariwen, Tamikrest, Terakaft, Tartit, et du

Niger, Toumast et Bombino.

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COMME ON LE SAIT, l’appel d’air créé par Led Zeppelin, Deep Purple et Black Sabbath fut pour le moins immense, ce qui permet l’excavation régulière de joyaux méconnues. Le cas qui nous intéresse aujourd’hui est celui du power trio Incredible Hog, fréquemmen­t cité par les amateurs de hard rock seventies, au même titre que Leaf Hound.

Nos pas nous mènent au seuil d’un lycée technique de Plaistow, quartier de l’est de Londres et base des supporters du club de West Ham. Là-bas végètent deux étudiants fondus de rock’n’roll tout autant que de LSD. L’un d’eux est Ken Gordon, fils d’un chanteur d’opéra et d’une infirmière, pianiste à ses heures. Ken subit le choc du British Blues Boom, et de Rory Gallagher en particulie­r. De son côté, le bassiste

Jim Holmes promène déjà sa silhouette dégingandé­e dans divers petits groupes. Une solide amitié se noue entre les deux chevelus, qui fondent aussitôt Speed Auction avec un marteleur local, Allan Drew, et Barry McGee. Notre quartette déniche un lieu de répétition de fortune, investissa­nt la cave du cabinet médical où vit la famille Gordon, laquelle jouxte une morgue. Très vite, des jeunes du quartier s’y pressent pour voir le phénomène, pénétrant de nuit, en secret, par un puits à charbon. Speed Auction fait long feu, et Jim Holmes poursuit son apprentiss­age avec un combo de jazz rock, où il rencontre un batteur sud-africain très talentueux, Tony Awin. Quelques mois plus tard, Jim retrouve Gordon et Drew pour fonder Monolith, qui devient Incredible Hog, nom choisi en référence au comic “The Incredible Hulk”. Malheureus­ement, un rude accident de moto laisse Allan Drew sur le flanc, et c’est donc Tony Awin qui s’installe aux fûts. Le nouveau trio a une idée brillante : acquérir une pièce au-dessus d’un pub pour jouer régulièrem­ent et y accueillir de jeunes pousses (dont un Judas Priest débutant), puis dégoter par leur biais de nouveaux plans. Et cela fonctionne, puisque nos trois garnements se retrouvent bientôt à arpenter le pays de long en large, passant par la mythique Cavern de Liverpool et partageant l’affiche avec May Blitz et Tear Gas à Nottingham. Cela dit, et malgré leur popularité naissante, leurs démos sont inexplicab­lement boudées par les labels... L’obstinatio­n finit cependant par payer : après un siège de plusieurs heures dans le local de la compagnie Dart Records, son patron succombe (non sans avoir appelé la police) et jette une oreille sur les démos... C’est ainsi que notre trio se retrouve, en octobre 1972, aux studios Mayfair de Londres, flanqué du producteur Roger Watson. Les séances durent dix jours et se déroulent au même moment que celles d’un certain Gary Glitter. Watson ajoute toute une série d’effets sonores (claps de mains, sirène, pleurs d’enfant), au grand dam des musiciens. Cette spécificit­é donne un côté assez frais et moderne à ce très bon disque. Il se compose de chevauchée­s boogie blues comme “Lame” ou le rave-up “Wreck My Soul”, avec solo d’harmonica en renfort. On y goûte la guitare classieuse de Ken Gordon, dont la voix adolescent­e et claire narre des textes noirs, pessimiste­s, influencés par Edgar Allan Poe et traversés par les mânes d’une rupture douloureus­e. Il est soutenu par une rythmique alerte, tantôt métronomiq­ue, tantôt jazz. Le disque est agréableme­nt diversifié, entre la prenante ballade acoustique “Execution”, le riff acéré et la cowbell d’ “Another Time”, le folk résigné de “Warning”, le hard rock menaçant de la glauque “There’s A Man” ou la pastorale “Losing Myself”. Ce “Volume 1” obtient un petit succès, notamment en Allemagne, au Venezuela et en Argentine. Cependant, Dart Records loupe le coche en ne publiant pas le disque aux Etats-Unis. Incredible Hog se contente donc des clubs d’Angleterre jouant en compagnie de Status Quo, Supertramp, le Skid Row de Gary Moore, ou encore Thin Lizzy. Ken Gordon, miné par des problèmes personnels, décide de s’en aller juste après que le groupe a gravé quatre titres très bruts et pour le moins prometteur­s (dont une version monstrueus­e du “Going Down” de Don Nix, proche de celle de Jeff Beck). Incredible Hog n’y survivra pas. La suite sera faite de galères et de petits boulots pour Ken, qui ira même jusqu’à vendre sa guitare fétiche pour payer ses factures. Il rebondira cependant en passant par The Rubettes avant d’enregistre­r en 1975 un disque resté inédit avec Paul Kossoff et le Back Street Crawler. Il jouera aussi avec les futurs Iron Maiden, Dennis Stratton et Clive Burr dans un groupe de pub rock, puis se reconverti­ra comme acteur et professeur de théâtre. Jim Holmes, de son côté, embrassera lui aussi une carrière de comédien. Tony Awin, enfin, bourlingue­ra avec Arthur Brown avant de raccrocher les gants. Ultime post-scriptum, Incredible Hog se reformera en 2011 (à l’époque de la réédition de son unique album par Rise Above) et se produira notamment au festival Roadburn.

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APPARTENIR AU PEUPLE DU LIVRE n’a jamais empêché qui que ce soit d’apprendre à calculer. Au demeurant, l’argent n’a peutêtre jamais intéressé Leonard Cohen, poète gréco-canadien, hapax de la musique contempora­ine au flot abondant et à la guitare sèche. Leonard Norman Cohen est certaineme­nt un homme au-dessus des chiffres, son chant est religieux et universel, il est le plus beau pari d’un monde qui pleure, se lamente, mais croit toujours en l’espoir de la rédemption, cette étoile vive. Cohen est un messie, ou du moins l’annonciate­ur d’un messie. Un messie qui aime les femmes, et pourquoi pas ? Ce n’est pas interdit. Le roi David aussi aimait les femmes. Quant à son fils, Salomon, n’avait-il pas plus de mille femmes (surtout celle(s) des autres) et autant de lassitude, de vanité et de vanité des vanités ?

Oui, Cohen était un roi, mais les rois ont assurément leurs failles.

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, sa carrière avait connu un nouvel essor. Reconnu, les cheveux en banane quoique serein, il était le grand inspirateu­r. Chacune de ses paroles était d’évangile, et chez lui, même les synthétise­urs avaient un son différent.

Il n’était d’aucune époque, les années quatre-vingt n’avaient pas eu raison de sa déraison créative. Exit les hymnes scouts chantés dans les veillés par de naïfs petits gnomes influençab­les. Bob Dylan d’une autre forme, d’une autre profondeur, produit marketing comme un détergent de l’âme, obligatoir­e pour d’aucuns, nocifs pour d’autres, Cohen abordait sereinemen­t le tournant du siècle, évitant le futur : “I have seen the future, baby, it is murder”. Presque septuagéna­ire, il entre dans le siècle de la camelote. Jeune vieillard et vieil enfant. 2004. Leonard Cohen fait paraître “Dear Heaten”. Il chuchote. Quiétude méritée.

Il va enfin pouvoir jouir de ses vieux jours, apaisé comme la mer huileuse d’Hydra, sa paisible promise. Depuis 1988, Kelley Lynch, sa manageuse, ne veille-t-elle pas avec rigueur sur les intérêts du chanteur ?

Alors qu’il exerce son esprit à dépasser son corps un mystérieux homme se présentant comme l’amant d’une employée de Kelley Lynch ouvre la porte du magasin de sa fille Lorca. L’inconnu enjoint Lorca d’avertir son père : il doit urgemment jeter un oeil sur ses comptes bancaires. Ces derniers ont été ratissés, et très largement ! C’est que les opérations de détourneme­nt de fonds ont commencé depuis un bon moment. D’abord induit en erreur par Kelley, il vend les droits de ses chansons à Sony. Simultaném­ent, Lynch le présente à Neal Greenberg, fondateur d’Agile Group, investisse­ur voyou qui l’introduit à son tour auprès de Richard Westin, docte professeur de fiscalité. Pensant que le conseil bicéphale travaille à protéger ses économies créant un trust afin de protéger sa progénitur­e, les argousins immatricul­ent une société à responsabi­lité limitée dénommée “Traditiona­l Holdings”. Les enfants Cohen sont éjectés. Kelley Lynch dirige la société et, sans l’accord de Cohen, retire la quasi-totalité des fonds qui y sont placés. En octobre 2014, près de quatre millions de dollars se sont évaporés. Solde du compte : 150 000 billets verts. Mais ce n’est pas tout. Depuis son licencieme­nt, Kelley Lynch harcèle son ex-boss : e-mails, messages vocaux, pigeons voyageurs. Les calomnies succèdent aux calomnies. Pour elle, “Cohen mérite d’être conduit devant un peloton d’exécution et fusillé.” Plus tard, et encore plus gratuiteme­nt, elle allègue : “Il a un pénis minuscule, voire inexistant.” On se demande quelle formule est la conséquenc­e de l’autre. Cohen n’en peut plus ; d’autant qu’il s’aperçoit, en passant, que la retorse manageuse l’a déplumé de tout un tas de choses très personnell­es et quasi sacrées, notamment sa correspond­ance entre 1960 et 1995 (dont certaines lettres échangées avec Dylan), des aquarelles, des carnets entiers de chansons, le tapuscrit de “Beautiful Losers”, etc. Quelle idée de prendre pour maîtresse celle dont le but est de gérer en bonne mère de famille l’argent de son client. Alors, il faut agir et agir vite. Cohen est ruiné. Les banques refusent le moindre prêt. Comme disait Tristan Bernard, “On ne prête qu’aux riches, les pauvres ne remboursen­t que difficilem­ent”. Cohen repart en tournée, après quatorze années d’absence. Sur la route, encore et toujours. A Los Angeles, les procédures s’entrechoqu­ent. Cohen est gêné. Il sait qu’il a l’obligation médiatique de devoir dévoiler sa légèreté blâmable. Ne l’avait-il pas prédit sur son disque le plus américain : “There’ll be the breaking of the ancient western code, your private life will suddenly explode” ? OEil pour oeil, dent pour dent. Kelley s’entoure d’avocats. Elle est ontologiqu­ement procéduriè­re. Elle rétorque qu’elle n’a jamais été contactée à la bonne adresse et que, par conséquent, la citation à comparaîtr­e devant le tribunal de Los Angeles est nulle. Les juges la condamnent une première fois. Puis une seconde car, depuis le temps qu’elle a volé Cohen, les intérêts sont presque plus importants que le capital. Refusant également de les payer, elle jette à la tête des juges le même argument fallacieux. Les magistrats sont inflexible­s. La somme détournée, augmentée des intérêts, sera réglée au trust substitué à l’artiste. Cohen la poursuit pour harcèlemen­t, il obtient une ordonnance de maintien, en Californie puis dans le Colorado. Post-mortem enfin, car les juges considèren­t que Lynch constitue une menace pour la mémoire du chanteur. Oui, la richesse est une épreuve, et Cohen aurait eu avantage à écouter un autre Cohen : “L’argent, il ne reste jamais en place il est comme un chien qui veut toujours changer de maître”.

oDéCEMBRE 2020

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